Elles vous promettent une carrière passionnante, en même temps qu'un strict respect de votre vie privée. Pour séduire les candidats, les annonces presse ne savent plus quoi inventer. Profil recherché : des gens bardés de diplômes, mais aussi sportifs, heureux en famille, bien dans leur peau.
Bref, des tempéraments.
Florence, deux nattes insolentes, ouvre une bouche à avaler tout un paquet de Chamallow. Mutine, elle sourit de toutes ses dents sur la photo. Elle doit avoir 5 ou 6 ans. En légende, Jean-Claude, le papa, déclare : « Je me retournais souvent pour voir si Florence me suivait. Et je ne la voyais pas : elle était loin devant. » La petite fille pressée est devenue responsable des ressources humaines études et projets à Bouygues Telecom. Avec d'autres collègues, elle illustre la campagne de recrutement de l'opérateur qui a délibérément choisi de publier des photos de salariés en poste. Les concepteurs de l'annonce sont allés jusqu'à interviewer leurs parents, feuilleter les albums de famille et recueillir des anecdotes sur les qualités dont les collaborateurs de Bouygues Telecom faisaient preuve, tout petits déjà. « Vous avez du tempérament, nous l'affirmons », conclut Bouygues Telecom qui met clairement en avant la personnalité comme critère de sélection. Cette campagne, qui a le mérite de détonner dans l'univers des petites annonces – ou PA pour les initiés –, reflète un changement dans les messages. « Il y a encore dix ans, les petites annonces relevaient davantage du contractuel. L'entreprise machin recherchait tel profil avec tels diplômes pour tel poste », note Stéphane Wahnich, directeur de SCP Communication, qui a réalisé pour le compte du groupe de communication BDDP Corporate une analyse lexicale sur les offres d'emploi parues dans Le Monde en 1987-1988, puis en 1997-1998. « Aujourd'hui, elles entrent dans le domaine du sensitif. Le candidat est impliqué dans l'entreprise. Il est directement interpellé par l'annonce qui ne dit plus “il” ou “elle” mais “vous”. »
Un simple coup d'œil aux rubriques PA suffit pour s'en persuader. « Personnalité recherchée », titre le groupe suédois de prêt-à-porter H & M. « Ne vous y trompez pas, chez Patrick, c'est son relationnel qui nous plaît », annonce Carrefour qui affiche en pleine page une photo de pilier de rugby. « Celio recrute sans préjugé, affirme la chaîne de prêt-à-porter masculin. Seules comptent la performance et l'implication […]. Vous êtes tous différents, tant mieux. » Mais au-delà du caractère bien trempé des postulants, Pierre-Yves Frelaux, directeur adjoint de l'agence de communication BDDP Corporate, qui s'est diversifiée dans le recrutement il y a deux ans, reste interloqué devant la somme de qualités professionnelles et personnelles requises aujourd'hui par les entreprises. « Le candidat idéal est devenu un superhéros. Il est compétent, polytechnicien mais fait aussi du rafting, de la voile ou de la varappe. Sa femme est formidable, sa vie de famille un vrai bonheur. Qu'en pense le candidat, qui se révèle être un bon ingénieur du lundi au vendredi, mais qui aime pantoufler le week-end devant Téléfoot ? » L'étude lexicale commandée par BDDP conclut à une distanciation, le lecteur ne se reconnaissant pas dans le miroir des PA.
Mais toutes les entreprises ne s'en plaignent pas. À l'image de Bouygues Telecom qui a procédé à plus de 5 000 recrutements depuis octobre 1994, date de son arrivée dans le monde de la téléphonie. « Nous n'avons pas eu envie de tenir des promesses irréalisables. On ne dit pas aux candidats : “Venez, l'herbe est plus verte chez nous.” Nous sommes un opérateur de tempérament, le troisième sur le marché, et nous n'avons pas le choix. Nous sélectionnons sur la personnalité, reconnaît Jean-François Villard, directeur du développement des ressources humaines du groupe. Mais les collaborateurs de la campagne ne sont pas stéréotypés, les yeux tournés vers la ligne bleue des Vosges. Chacun peut s'y retrouver. Même si l'objectif n'est pas non plus de drainer le maximum de candidatures. Si le candidat ne s'y reconnaît pas, cela permet une autosélection. C'est une logique gagnant, gagnant. »
Autre tendance nouvelle, les annonces agressives destinées aux jeunes candidats aux dents longues des années 80 sont passées à la trappe. La terminologie gagnant-battant-fonceur s'est éclipsée au profit de promesses d'épanouissement, d'humanité et de projet de vie. « Dans leur brief, les entreprises veulent toutes des illustrations de collaborateurs qui font du sport », avance Bertrand Berrulier, PDG de l'agence de communication de recrutement Curriculum. L'enseigne Flunch illustre son slogan, « L'esprit positif, les initiatives, la diversité : on aime ; et vous ? », avec deux jeunes gens, homme et femme, blonds, sains et sportifs qui, sac au dos, poussent leur VTT en bordure d'un lac de montagne. Dans leurs techniques de séduction, les sociétés ont bien intégré la volonté des 25-35 ans, principale cible des PA, de ne plus s'investir autant dans leur vie professionnelle. « Et c'est une réalité, déclare Robert Rochefort, directeur général du Credoc. Mais ne nous y trompons pas. Les jeunes ne sont pas plus sensés, équilibrés dans leur recherche de conciliation entre vie privée et vie professionnelle que leurs aînés. Cet intérêt vers les loisirs relève plus du dépit. La nouvelle génération sait qu'elle ne peut plus tout miser sur une seule entreprise. Les patrons n'y sont d'ailleurs pas étrangers. À force de marteler que les carrières n'existent plus et que les salariés seront amenés à changer souvent de fonction et d'entreprise, ils ont du mal à garder les salariés qu'ils souhaiteraient conserver. » Résultat, les entreprises utilisent pour cette tranche d'âge désabusée le langage qu'elle souhaite entendre.
Côté recruteurs, les 35 heures arrivent à point nommé dans cette recherche d'une meilleure qualité de vie. « Font-elles contre mauvaise fortune bon cœur, saisissent-elles la perche pour en faire un argument concurrentiel ? Toujours est-il que lorsqu'une entreprise, à l'instar du laboratoire pharmaceutique Boiron, octroie vingt-deux jours de vacances supplémentaires à ses salariés, cela fait des vagues », souligne Jean-Pierre Gauthier, consultant chez Aznar Savel Gauthier, cabinet spécialisé dans l'aménagement et la réduction du temps de travail. Mais Stéphane Wahnich dénonce pour sa part la tendance des recruteurs à brosser dans le sens du poil. « Les jeunes veulent des champs de coquelicots, on leur donne des champs de coquelicots, ironise-t-il. Et l'on oublie l'objectif premier d'une annonce : cibler le bon candidat pour le bon poste. » Ce consultant dénonce les dérives du discours humaniste des années de crise. « Au début des années 90, l'entreprise voulait montrer, et c'est légitime, aux enfants des cadres des Trente Glorieuses qu'il y avait une vie après le travail. Mais, progressivement, cette irruption de la vie privée dans les annonces est devenue partie intégrante du recrutement. »
Pourtant, les discours sur l'épanouissement personnel ne semblent pas faire mouche. Selon une enquête réalisée par Manpower, seuls 3 % des jeunes diplômés interrogés estiment que travailler leur offrira une occasion de développement personnel contre 73 % qui pensent que l'entreprise leur procurera tout simplement un revenu. Bertrand Berrulier, de l'agence Curriculum, très « énervé » par le discours sur les 35 heures, va jusqu'à remettre en cause les déclarations d'intention des candidats et des recruteurs sur le temps libéré. « Chacun vous dira qu'il veut réussir sa vie privée, quoi de plus naturel ? C'est un procédé démagogique. En plus, on met dans la tête des gens que l'entreprise est une voleuse, qu'il faut lui donner le moins de temps possible et qu'on peut réussir en travaillant peu. Or, sur le terrain, les jeunes s'investissent. Dans une annonce, nous avions pris le parti de titrer : “Venez chez nous, ce sera dur mais… ” Et la campagne a obtenu un bon taux de retour. »
Comment trier le bon message de l'ivraie ? La langue de bois domine encore largement le marché des petites annonces. « Le langage convenu des annonces n'a plus de sens, affirme Jean-Marie Blanc, délégué régional à l'Apec de Strasbourg. Écrire “entreprise leader de son marché” revient à mettre “jeune femme jolie” dans une annonce matrimoniale. Cela ne trompe plus personne. » Dans les locaux de BDDP Corporate à Boulogne, Pierre-Yves Frelaux fait le même constat et joint le geste à la parole. Sur deux pages d'annonces feuilletées au hasard dans 01 Informatique, il pointe du doigt quatre entreprises leaders. « La communication de recrutement, beaucoup plus publicitaire que sociale, provoque une double imposture. De la part de l'entreprise et du candidat. Chacun jouant bien son rôle lors des entretiens. » Car, de l'avis de tous les experts, les postulants se sont considérablement armés. Familiers du parcours du combattant qu'impose la recherche d'un job, ils décryptent de mieux en mieux le langage caché des annonces. Ils savent se vendre, leur discours est bien rodé et répond aux attentes des entreprises. « Pour une annonce de chef de pub, nous recevons des centaines de candidatures, souligne Pierre-Yves Frelaux, qui prend sa casquette de recruteur. Et c'est fantastique. Toute la France pratique un sport. Plus personne ne mentionne “lecture” dans la rubrique divers. “Passionné de romans scandinaves de la seconde moitié du XIXe siècle” est davantage accrocheur. »
Mais le danger de ce marché de dupes est que, petit à petit, un décalage entre les attentes des entreprises et celles des candidats s'accentue. « Les demandeurs d'emploi se sentent souvent sous-évalués par rapport aux exigences des recruteurs. Malgré tout, un candidat mollasson ne va pas s'abstenir de répondre à une annonce parce qu'elle recherche un profil dynamique, constate Jean-Marie Blanc, de l'Apec. Les profils ou les diplômes requis sont trop souvent des solutions que les sociétés ont imaginé pour leurs besoins.
Ils ne correspondent pas à la réalité du marché. » Les consultants de cabinets de recrutement sont d'ailleurs unanimes à constater qu'en dépit d'un discours ouvert les recruteurs demeurent très conformistes. Ce sont toujours les mêmes écoles qui apparaissent dans le peloton de tête. « Diplômé, pas trop vieux, avec une expérience tout de même… Tout le monde court après les mêmes candidats », relève Maryvonne Labeille, consultante du cabinet de recrutement Labeille Conseil.
Pour accrocher le candidat, la plupart des experts en communication préconisent davantage de parler vrai. Les groupes doivent pouvoir prouver ce qu'ils avancent. Ainsi, une entreprise n'a pas hésité à faire figurer les résultats de son baromètre social. Didier Pitelet, président de l'agence de communication de recrutement Guillaume-Tell, préconise de rester en phase avec ses valeurs.
« Les sociétés sont dépositaires d'une marque employeur. Elles sont toutes différentes. Autant marquer sa différence avec ses propres atouts. » Certaines entreprises ont jeté leur dévolu sur la relation contractuelle au détriment de l'affectif. « La campagne de Transpac est à ce titre exemplaire. Le visuel montre un cadre, noir, de 45 ans, qui parle de son métier. Il utilise un langage abscons, incompréhensible pour le quidam mais destiné aux informaticiens. C'est d'ailleurs le but recherché. » Valérie Mellul, responsable du recrutement et de la gestion des carrières à Carrefour France, répondait elle-même aux annonces il y a dix ans. Elle ne se laisse pas abuser par la rhétorique. Sa recette ? « Inutile d'être tapageur, ne rien promettre et rester humble. »
Même démarche pour Manpower, qui a recruté cette année 950 salariés permanents, dont la moitié grâce à des petites annonces. « Nous nous en tenons à un message fort sur la croissance, un descriptif précis des postes et une liste à la Prévert de toutes les zones géographiques concernées », relate Jean-Pierre Lemonnier, DRH France du groupe. Après dix-huit ans de métier, dont quinze à l'Apec, Jean-Marie Blanc propose même de supprimer le paragraphe sur le profil dans l'annonce et de se concentrer sur le poste. « Essayer de trouver de la personnalité dans une annonce, c'est chercher une odeur sur une photo. D'ailleurs, tout le monde possède une personnalité. En revanche, tous les candidats ne sont pas attirés par un même type de poste. Pourquoi utiliser les termes animer, piloter, fédérer quand il s'agit de contrôler, surveiller, voire diriger ? Pourquoi ne pas expliquer que la mission de tel DRH sera de remonter la pente dans telle filiale qui a connu un plan social ? »
Le délégué alsacien de l'Apec est également un farouche partisan de la transparence sur les compétences requises. « Au lieu d'exiger l'allemand courant, autant préciser tout de suite qu'il s'agit de démarcher des clients au fin fond de l'Autriche. Les candidats postuleront ou s'élimineront d'eux-mêmes. Les entreprises n'ont pas une envie délibérée de tricher, mais elles sont prises dans une ritualisation du recrutement. L'annonce est un attrape-mouches généralisé. Aujourd'hui, le vrai choix intervient encore lors des entretiens. » Il est vrai qu'après le filtre des annonces il reste tellement d'autres étapes avant de recruter un collaborateur.
44 000 offres confiées à l'Agence pour l'emploi des cadres ont été passées au peigne fin. Cinquante-cinq critères ou qualités psychologiques se sont détachés du lot. Dans les PA de cadres confirmés, l'autonomie se taille la part du lion avec 4 858 citations, sur un total de 37 251. Elle est suivie par la rigueur (3 635 mentions), le sens des relations (3 235) et la disponibilité (2 100).
Lanternes rouges, la capacité de persuasion, citée vingt-trois fois, et le sens de l'effort, mentionné seulement six fois. Chez les cadres débutants, le sens du relationnel arrive en tête avec 806 citations sur un total de 8 766. La rigueur, l'autonomie et la motivation occupent une bonne place. En revanche, l'autorité (citée seize fois) et la vivacité (dix fois) sont oubliées.
« Un passionné ne parle pas salaire », souligne l'enquête de SCP Communication pour BDDP. Du coup, les fourchettes de rémunération, déjà très peu présentes dans les annonces il y a dix ans, sont passées aux oubliettes. « En Grande-Bretagne, tous les salaires sont affichés, y compris le montant du variable, souligne Pierre-Yves Frelaux, DGA de BDDP Corporate. Chez nous, cela reste encore opaque.
Cela permettrait pourtant au candidat de se décider. » « Cette absence d'information sur les salaires positionne les candidats en concurrence les uns par rapport aux autres, poursuit Stéphane Wahnich, DG de SCP Communication.
La question monétaire est renvoyée sur le demandeur d'emploi qui va devoir s'évaluer lui-même. »
Prosaïques, les entreprises préfèrent conserver une marge de manœuvre. « On ne prend pas le risque d'afficher un salaire définitif sur l'annonce, explique Véronique Carquis, responsable emploi et carrière d'Extand, une SSII de 880 salariés. Nous possédons une grille de salaires, mais les rémunérations offertes peuvent varier en fonction du profil du candidat. » Mêmes explications chez H & M, implanté en France depuis un an, en pleine phase de recrutement de « personnalités ». « Nous embauchons à la fois des débutants et des confirmés avec des compétences et des diplômes très variables. Impossible de fixer des rémunérations standards », relève Chris Decat, le DRH.