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Renégociations tous azimuts

Dossier | publié le : 01.05.1999 | M. W.

Être désigné dans un accord de branche pour couvrir la prévoyance des salariés est le rêve de tout organisme complémentaire.

C'est arithmétique, le marché de la prévoyance collective va être très actif cette année. L'explication de ce phénomène, il faut aller la chercher dans la loi du 8 août 1994, plus communément appelée loi Veil. Car ce texte comporte plusieurs dispositions capitales en matière de protection sociale. Par exemple, il prévoit que les contrats de prévoyance collective doivent faire l'objet d'un réexamen quinquennal. Tous les accords signés avant 1994, et en 1994, vont donc revenir sur le marché en 1999. Autre bouleversement, le Parlement a mis les assureurs, les mutuelles et les institutions de prévoyance sur le même pied d'égalité pour ce qui est des clauses de désignation. Dorénavant, ces organismes peuvent indifféremment être choisis par les partenaires sociaux, dans le cadre d'une négociation collective, pour assurer la prévoyance des salariés de l'ensemble d'une branche. Une disposition qui vaut de l'or. Ainsi, quand l'AGRR a été désignée dans l'accord de branche du nettoyage industriel, cette institution de prévoyance a récupéré d'un seul coup 230 000 assurés.

Inutile de dire que, cette année, la bataille va être rude. La plupart des branches professionnelles étant aujourd'hui dotées d'un régime de prévoyance collective aux mains d'un organisme assureur, la seule solution consiste donc à conquérir un marché au moment de la renégociation des accords. L'enjeu, pour les compagnies d'assurances et les mutuelles, est simple : 1999 est l'occasion rêvée pour faire une brèche dans le monopole de fait des institutions de prévoyance. Selon une étude de l'Ires, sur 130 accords de branche qui font mention de la prévoyance, quatre-vingt-un désignent un ou plusieurs organismes assureurs, soit au total 134 « nominations » d'assureurs. Les institutions de prévoyance en détiennent 126. Les groupements mutualistes n'en possèdent que quatre et les compagnies d'assurances quatre également. Sans compter que les mutuelles et les assurances interviennent rarement en tant qu'assureur unique. Une seule fois pour la mutualité et aucune pour les assureurs. L'avantage des IP, comme on les appelle dans le monde de la prévoyance, c'est qu'elles sont paritaires. Des représentants des syndicats et du patronat participent à leurs conseils d'administration. Et ce sont souvent les mêmes organisations qui négocient l'accord de branche, ce qui facilite singulièrement les choses.

Pas question de lancer des appels d'offres

Mais, cette année, les assureurs n'ont pas l'intention de rater le coche. « Il faut se battre pour une réelle équité des règles de concurrence », disent-ils. L'ennui, c'est que la loi Veil, si elle prévoit effectivement un réexamen quinquennal des clauses de désignation, n'apporte pas plus de détails sur les modalités pratiques de sa mise en œuvre. Par la voix du député André Santini, assureurs et courtiers d'assurance ont demandé à Martine Aubry de préciser les mesures qu'elle entendait prendre pour éviter les tentations d'autodésignation. Celle-ci a répondu dans le Journal officiel du 25 janvier 1999 qu'il appartient aux partenaires sociaux d'« introduire, dans les clauses de réexamen qui doivent être obligatoirement définies dans le cadre de l'accord collectif, toutes les mesures nécessaires pour assurer l'égalité entre les différents intervenants de la protection sociale complémentaire, par exemple des procédures d'audit externe et d'appel d'offres adaptées à la situation de la branche ». Ce qui a suffi pour faire le bonheur des compagnies d'assurances.

Seul bémol, les institutions de prévoyance sont également satisfaites de la réponse ministérielle. Pas question pour elles de procéder systématiquement à un appel d'offres. Pour cela, il faudrait, comme le rappelle Martine Aubry, que les partenaires sociaux le prévoient explicitement dans l'accord de branche. Or, on imagine mal les IP professionnelles se saboter. Un exemple : la CNPO (Pro-BTP) a été créée par l'accord de branche du bâtiment pour gérer le régime de prévoyance des ouvriers du secteur. Cette désignation est en cours de réexamen. Après avoir signé un protocole d'accord le 30 mars, les partenaires sociaux du bâtiment ont renouvelé le 15 avril leur confiance à la CNPO (pour les ouvriers) et à la CBTP (pour les Etam). Conformément aux souhaits d'Alain Émile, président (FO) de Pro-BTP, ce renouvellement n'a pas donné lieu à un appel d'offres. « Nous nous sommes appuyés sur l'avis d'un expert qui a fait une analyse détaillée des comptes, des provisions techniques et du fonctionnement des deux institutions », commente Serge Pujol, directeur général de Pro-BTP. Mais, au passage, les partenaires sociaux ont tout de même demandé aux institutions d'être plus compétitives. En clair, Pro-BTP ne doit pas s'endormir sur sa rente de situation. Dans l'agroalimentaire, où Isica règne en maître, la directrice générale de cette institution professionnelle, Marie Fabry, se dit « consciente des échéances et sereine sur la façon de les aborder ». Les désignations conventionnelles représentent plus d'un tiers du chiffre d'affaires d'Isica (200 milliards de francs sur 500), qui tire avantage de son statut d'IP professionnelle.

Cette année, ce sont les institutions interprofessionnelles, c'est-à-dire celles dont l'activité n'est pas cantonnée à un secteur précis de l'économie, qui risquent le plus gros. Celles qui se sont fait une spécialité des clauses de désignation, comme l'AGRR, l'INPC-GNP, le groupe Cri, vont devoir se défendre bec et ongles pour conserver leur portefeuille. Car, à n'en pas douter, il va être attaqué par les autres institutions interprofessionnelles. Du moins par celles qui sont absentes de ce marché et qui ont les moyens nécessaires pour développer cette nouvelle activité. Les principaux prétendants : Médéric et Malakoff. Le groupe Malakoff est, depuis son origine, présent auprès des grandes entreprises industrielles, comme Usinor ou Saint-Gobain. Avec, comme corollaire, la réputation de nourrir des sympathies du côté des syndicats patronaux. Mais, aujourd'hui, Malakoff doit se diversifier sur les PME, généralement couvertes en prévoyance par l'organisme désigné dans l'accord de branche. Le marché de la désignation fait partie pour Malakoff « de la politique de redéploiement vers les PME et vers des secteurs d'activité autres que l'industrie », comme le confirme Laurence Bouquet, directrice du développement. Quant au groupe Médéric, il a de sérieux arguments pour convaincre. « Au-delà du tarif, il y a l'action sociale, à laquelle les partenaires sociaux sont très sensibles », commente Jacky Brunel, directeur du marketing. En 1998, Médéric a investi 530 milliards de francs dans l'action sociale.

Le jeu en vaut vraiment la chandelle

Autre challenger : la Mutualité française. Elle a déjà pris pied dans les branches professionnelles, notamment celle de la bijouterie, qu'elle a gagnée en solo. La FNMF, dont les adhérents sont plutôt tournés vers le marché des particuliers, n'est certes pas un organisme paritaire. Mais elle ne manque pas d'atouts, à commencer par son excellent maillage régional, qui assure une proximité de gestion. La fédération présidée par Jean-Pierre Davant possède également ses entrées chez les syndicats de salariés. Car, « dans tout syndicaliste, il y a un mutualiste qui sommeille », rappelle Jean Cellier, directeur de la prévoyance à la FNMF. « La FNMF arrive sur le marché trop tard, il lui manque le paritarisme et la capacité de gérer la masse salariale », tempère un concurrent. Il n'empêche que l'un des derniers accords en date, celui de l'animation socioculturelle, a été remporté par plusieurs organismes, dont la Mutualité.

Devant la bataille qui s'annonce, toute la question est de savoir si le jeu en vaut vraiment la chandelle. En clair, si le marché des clauses de désignation peut être profitable à l'organisme assureur. Mutuelles, assurances et IP en sont convaincues. D'abord, l'organisme qui remporte un tel contrat de branche met la main sur un fichier d'entreprises, sans avoir eu à fournir un gros investissement commercial. Si le régime est excédentaire, les partenaires sociaux demandent généralement à ce que les garanties soient élargies en conséquence. Les gains techniques, quand ils existent, sont donc immédiatement réemployés. Sur la gestion, en revanche, la marge est plus significative. Excellent cas de figure : la convention des industries pharmaceutiques, qui va être remise sur le marché en décembre 1999. C'est l'un des rares accords où une compagnie d'assurances a été désignée. En l'occurrence, il s'agit de l'ex-UAP, actuellement Axa. L'assureur ne couvre que la prévoyance, l'institution de prévoyance Apgis ayant été désignée pour la couverture des frais de santé, mais également pour la gestion administrative de la prévoyance. Axa porte le risque, un point c'est tout. Pour Gaston Maitreau, « il est donc inutile d'aller se battre pour ne récupérer que de la couverture technique sans la gestion administrative ».

L'AGRR obtient un accord sur quatre

Dans le cadre des renégociations quinquennales, les organismes sortants mettront tous en avant leur savoir-faire. Gérer la protection sociale d'une branche professionnelle, ce n'est pas seulement couvrir un risque. L'assureur doit être en permanence au courant de ce qui se négocie dans la branche. Car une négociation sur les salaires peut déboucher très vite sur la prévoyance. Gaston Maitreau, directeur des grands comptes et des clauses de désignation à l'AGRR, le sait mieux que quiconque. Voilà près de vingt-cinq ans qu'il arpente les congrès syndicaux, à telle enseigne qu'il tutoie tout le monde aujourd'hui dans ces milieux. « Quand on a Gaston en face de nous, on fait attention », avouent ses adversaires. Il est vrai que l'AGRR décroche aujourd'hui un accord sur quatre, contre un sur deux il y a vingt ans, à l'époque bénie où son seul concurrent sérieux était l'INPC-GNP. Aujourd'hui, entre le groupe CRI et la Mutualité, ils sont plus nombreux. L'AGRR a forgé son succès sur ce relationnel inégalé, doublé de solides références en matière d'accords collectifs. Car, avant d'avoir décroché le premier accord, il faut faire preuve de patience et de persuasion. Une négociation collective peut durer plusieurs années : cinq ans pour les papetiers par exemple.

Le rôle de l'institution de prévoyance est également, en cours de négociation, d'orienter les partenaires sociaux vers la prévoyance collective. Une démarche souvent relayée par les organisations syndicales, qui savent bien que dans les secteurs essentiellement composés de PME le seul moyen valable pour que les salariés bénéficient d'un minimum de couverture sociale est de passer par l'accord de branche. Mais pour sortir vainqueur d'une telle négociation, mieux vaut ne pas découvrir l'existence de l'accord lors de la diffusion du cahier des charges. Car une autre institution aura déjà fait le travail en amont. Dans certaines branches peu structurées, les organisations patronales n'ont pratiquement aucune statistique sur leurs salariés. D'où le rôle de l'organisme assureur qui se charge de réunir des chiffres, d'évaluer la population concernée, son âge. Bref, de rendre un service aux employeurs afin que, lors des négociations, ils puissent afficher une meilleure connaissance de la branche. Plus que le relationnel, c'est parfois un dessous-de-table qui peut faire basculer le marché. Une « enveloppe » parfois utilisée à des fins avouables, par exemple pour la formation des syndicats à la protection sociale ou pour la participation à un congrès syndical. Mais personne n'est dupe. Une chose est certaine : 1999 sera une année mouvementée dans le monde de la prévoyance.

Être désigné ne suffit pas

En matière de prévoyance, un accord de branche n'a d'intérêt que s'il est étendu. C'est-à-dire si ses dispositions s'appliquent obligatoirement à toutes les entreprises.

Une décision du ressort du ministère des Affaires sociales. En cas d'extension, toutes les entreprises doivent se rallier à l'organisme bénéficiaire de la clause de désignation, sauf à démontrer que ses salariés disposent de garanties au moins équivalentes à celles prévues dans l'accord de branche. Quant aux entreprises nouvellement créées dans la branche, elles n'ont pas le choix : elles doivent impérativement rejoindre l'assureur désigné. Avant de recevoir cette bénédiction ministérielle, l'accord est soumis pour avis à la commission supérieure de la négociation collective, également composée de représentants syndicaux. Mais, Malakoff et Médéric en ont fait l'amère expérience, l'extension peut prendre du temps. Codésignés en mars 1997 pour la prévoyance collective des bureaux d'études (Syntec), une branche très convoitée parce que la population salariée est jeune et que les effectifs augmentent continuellement, les deux organismes attendent toujours l'aval ministériel. Or l'accord de prévoyance ne prendra effet… qu'après la publication de l'arrêté d'extension au Journal officiel ! Explication ? Des mauvais perdants font du lobbying auprès des confédérations syndicales pour bloquer l'extension. Et pendant ce temps, Malakoff et Médéric rongent leur frein…

Auteur

  • M. W.