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Débat

Le choc démographique de 2005 peut-il venir à bout du chômage ?

Débat | publié le : 01.05.1999 |

Et si le départ à la retraite des baby-boomers nés dans l'immédiate après-guerre avait un effet positif, celui de libérer massivement des postes de travail ? C'est la thèse que défend Jean Boissonnat, en pariant sur des pénuries de main-d'œuvre et sur un chômage résiduel de 4 à 5 % avant la fin de la prochaine décennie. Que faut-il penser de cette heureuse prédiction ? La réponse de trois experts.

« C'est l'évolution de l'activité qui déterminera l'emploi, plus que le niveau de l'offre de travail »

OLIVIER MARCHAND Statisticien économiste

Les évolutions démographiques passées ou en cours en France ont des conséquences assez faciles à prévoir sur l'offre de travail : réduction éventuelle si la fécondité se maintient à un niveau bas, mais aussi vieillissement, qui apparaît inéluctable et qui est d'ores et déjà amorcé. Cela doit-il conduire d'ici à une dizaine d'années à une résorption du chômage et à l'apparition d'une pénurie globale de main-d'œuvre ?

Il convient d'abord de relativiser le choc démographique dans la mesure où la diminution de la population active sera très progressive entre 2005 et 2020 (– 25 000 par an en moyenne). Jusqu'en 2006, les ressources en main-d'œuvre vont continuer à progresser à un rythme rapide (+ 145 000 par an en moyenne entre 2000 et 2005), ce qui fait que l'on ne devrait pas revenir au niveau de 1995 avant 2034. La situation de la France n'est pas la même que celle de la moyenne de ses partenaires de l'Union européenne, qui se caractérise par un moindre dynamisme démographique. Il est donc abusif de laisser croire que l'inversion de tendance va se produire très rapidement et très brutalement.

Mais le point le plus important tient à la faiblesse du lien que d'aucuns établissent, de façon quasi mécanique, entre la diminution des ressources en main-d'œuvre et la résorption du chômage. Non qu'il ne puisse apparaître à l'horizon 2010 certaines pénuries de main-d'œuvre localisées, mais en aucun cas on ne doit envisager à cette date une inversion du déséquilibre global actuel entre l'offre et la demande de travail.

D'abord, parce que près de 1 million de personnes supplémentaires devraient se présenter d'ici à 2006 sur le marché du travail. Ensuite, et surtout, parce que le lien entre croissance économique, emploi et chômage s'avère, dans le temps et dans l'espace, beaucoup plus serré que celui qui relierait démographie et chômage. C'est l'évolution future de l'activité économique qui déterminera les conditions d'emploi plus que le niveau de l'offre de travail. Or il n'est pas du tout avéré que l'économie française parvienne à assurer pendant les dix années à venir un rythme de croissance proche de son potentiel ; cela n'est jamais arrivé depuis le premier choc pétrolier. Et, même si c'était le cas et que se poursuive l'enrichissement de la croissance en emplois que nous observons actuellement, le volume du chômage resterait encore significatif en 2010, étant donné le niveau élevé que nous connaissons aujourd'hui.

Par ailleurs, le chômage présente une composante structurelle importante : inadéquation entre structure de l'offre et de la demande de travail, freins à la mobilité, rigidités diverses. Dans ce cas, la contraction de l'offre de travail n'apporte pas de solution et il n'est pas exclu que le chômage se maintienne à son niveau actuel. Maintien du chômage et pénurie de main-d'œuvre pourraient ainsi coexister.

Enfin, d'autres facteurs d'ajustement que le chômage pourraient remédier à d'éventuelles pénuries de main-d'œuvre : reprise de l'immigration, accroissement de la durée de vie active ou de l'activité féminine, nouveaux progrès de productivité liés à des réorganisations du travail ou à un développement de la formation initiale ou continue.

« Sans dynamisme économique, une population déclinante ne garantit pas un recul du chômage. »

OLIVIER DAVANNE Chargé de mission au Conseil d'analyse économique

Le rôle important joué par la démographie pour expliquer l'évolution du chômage français fait partie des idées ancrées dans notre débat public. Il est souvent affirmé que la croissance démographique plus soutenue ici qu'à l'étranger serait en partie responsable de nos performances médiocres en matière de chômage. Symétriquement, beaucoup d'espoirs sont placés dans le retournement démographique des années 2005-2006 : le départ à la retraite des générations nombreuses du baby-boom pourrait libérer des emplois pour les chômeurs et permettre un fort repli du taux de chômage.

Une minorité d'observateurs réfute vigoureusement ce lien entre croissance de la population et chômage. Ils font observer qu'aux États-Unis et au Canada, où la croissance démographique a été la plus soutenue depuis le début des années 70, les performances en matière de chômage ont été de loin les meilleures. Depuis 1947, la population active américaine est passée de 60 à 140 millions, mais le nombre d'emplois a aussi augmenté de plus de 70 millions, de sorte que le taux de chômage a à peine bougé. Rien n'illustre mieux la relation positive qui existe entre création d'emplois et démographie. Sur une longue période, un pays en forte expansion démographique n'est nullement condamné à un chômage de masse. Si les conditions sont réunies, notamment en matière de politique économique, la croissance économique permettra de créer les emplois nécessaires. Inversement, une population vieillissante et déclinante ne constitue aucunement la garantie d'un recul du chômage si ce vieillissement s'accompagne d'un très faible dynamisme économique et de la destruction d'emplois. C'est le cas si ce vieillissement conduit à prélever de façon excessive sur les travailleurs actifs.

En l'absence de politiques monétaires nationales, les pays d'Europe continentale perdent individuellement un des instruments de pilotage de la croissance et des créations d'emplois. En simplifiant, on pourrait dire que la politique monétaire unique sera adoptée à la démographie moyenne de la zone euro, pas nécessairement à celle de chacun des pays. Un pays s'écartant significativement de la moyenne euro en matière d'évolutions démographiques, donc de besoins en emplois, pourrait avoir des difficultés à s'ajuster.

Au cours des prochaines années, la croissance de la population active française sera sensiblement plus forte que celle de l'Allemagne, mais assez voisine de la moyenne compte tenu du dynamisme démographique de plusieurs petits pays. Au total, l'ensemble de la zone euro a besoin d'une croissance forte pour absorber les nouveaux arrivants sur le marché du travail et faire baisser le taux de chômage. On peut ainsi espérer des politiques économiques européennes tournées vers l'emploi une baisse sensible du chômage avant même le retournement démographique de 2005-2006. Tout attendre de celui-ci serait un pari bien hasardeux !

« L'emploi dépend surtout de la balance des revenus prêts à alimenter la demande intérieure. »

MICHEL-LOUIS LEVY Directeur de la communication de l'Institut national d'études démographiques

On parle beaucoup de deux phénomènes démographiques qui bouleversent l'équilibre prévisionnel des retraites : l'accroissement de l'espérance de vie qui allonge la durée de versement des pensions et l'arrivée à 60 ans, à partir de 2006, des générations nées après 1946 qui va faire exploser le nombre des candidats au départ.

Un troisième phénomène, celui du rétrécissement de la base de la pyramide des âges, lié à la baisse de la natalité depuis vingt ans, n'a donné lieu qu'à peu de réflexions. D'aucuns présentent la réduction du nombre de jeunes arrivant sur le marché du travail comme de nature à faciliter la baisse du chômage ; d'autres en font au contraire un élément récessif, diminuant la demande globale. Comment peut-on concilier ces idées contradictoires ?

Les variations du nombre de jeunes en âge de travailler ou de travailleurs atteignant l'âge de la retraite sont des contraintes dont il faut tenir compte. On pourrait en dire autant du nombre de mères de famille disposées à quitter leur travail pour s'occuper de leur foyer, du nombre d'étrangers entrant en France ou la quittant, tout comme des dispositions réglementant la durée du travail ou l'âge de la retraite, des innovations techniques ou des importations concurrençant une production nationale. L'emploi dépend de la balance des revenus disponibles prêts à alimenter la demande intérieure.

La baisse du nombre de jeunes rend à la fois plus nécessaire et moins coûteuse que précédemment une politique d'expansion. Plus nécessaire, puisque cette baisse contribue à la récession. Moins coûteuse, dans la mesure où peu d'expansion suffira pour réduire significativement le chômage. Mais aujourd'hui, les jeunes ménages qui s'installent cherchent deux emplois à temps complet et à durée indéterminée avant de se marier et d'avoir des enfants. Par ailleurs, la stabilité des prix rend bien plus lourd le remboursement des prêts immobiliers.

C'est pourquoi il faudra fonder la politique d'expansion sur un programme de redistribution des revenus vers les couples et les ménages. Il inclurait l'allégement des charges sociales et des impôts pesant sur les ménages modestes, l'augmentation des allocations familiales par suppression des conditions de ressources et la création d'une allocation au premier enfant.

On pourrait confondre les recettes de CSG-RDS avec celles de l'impôt sur le revenu, calculer pour un produit équivalent un nouveau barème progressif et familial, avec abattement à la base et impôt négatif. Les prélèvements mensuels de CSG seraient considérés comme des provisions d'impôt et donneraient lieu, pour les salariés et les familles les plus modestes, à un remboursement annuel.

Le financement d'un tel programme ainsi que la nécessité de constituer des réserves pour garantir les retraites par répartition conduiront à accroître la pression fiscale sur les niveaux de vie moyen et supérieur, sur les recettes de privatisations, sur les patrimoines assurés, sur le capital. Mais cet accroissement sera d'autant plus faible et supportable que le chômage baissera vite et sensiblement.