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Idées

Plafonnement des indemnités de licenciement : l’impossible sécurisation

Idées | Juridique | publié le : 01.02.2019 | Pascal Lokiec

Les jugements de conseils de prud’hommes rendus ces dernières semaines insécurisent un dispositif qui avait été pensé pour sécuriser les entreprises. Fallait-il s’obstiner à mettre en place un barème dont la raison économique (en connaissant le coût de la rupture, les employeurs vont embaucher) et les bases juridiques ont toujours été vacillantes ?

I. Quel plafond ?

La controverse juridique née du plafonnement tient au fait que ce dernier bride ce qui constitue l’un des rôles essentiels du juge : la réparation du préjudice. Non seulement le juge qui veut octroyer davantage que le plafond ne le peut pas, mais il est également très limité dans la possibilité, qui devrait être la sienne, de compléter l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse par d’autres indemnités. S’il n’est pas surprenant qu’aucun cumul ne soit possible avec l’irrégularité de procédure (défaut de convocation à l’entretien, par exemple), les ordonnances vont jusqu’à prévoir, pour mieux sécuriser le licenciement, que l’indemnisation pour non-respect des procédures de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative, en cas de licenciement collectif, celle pour non-respect de la priorité de réembauchage et celle consécutive à l’absence illicite d’institutions représentatives du personnel ne peuvent se cumuler que dans la limite du plafond ! Concrètement, si le juge estime que l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être au plafond, ces autres préjudices ne seront pas indemnisés. Ce qui ne sera pas simple à motiver pour le juge, puisqu’il est prévu qu’il « justifie dans le jugement qu’il prononce le montant des indemnités qu’il octroie (C. trav., art. L. 1235-1 al. 4) ». Certes, et fort logiquement, l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse se cumule avec l’indemnité de licenciement, mais – ce qui constitue une nouveauté – le juge pourra désormais ajuster le montant de la première (tout en restant dans les limites du barème) en fonction de la seconde (sauf l’indemnité légale, dont on rappellera que son montant vient d’être relevé à un quart de salaire par année d’ancienneté, contre cinq auparavant), ce qui vise notamment les indemnités versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

Ce qui précède montre à quel point la logique du plafonnement a été poussée très loin. Et que, ainsi, tout a été fait pour permettre aux entreprises de connaître à l’avance le coût d’une rupture injustifiée. Ce qui n’est nullement choquant s’agissant de l’indemnité de licenciement l’est lorsqu’il est question d’une rupture contraire à la loi, puisque l’on parle ici de licenciements sans cause réelle et sérieuse ! Et ce, d’autant plus que le licenciement n’est pas seul concerné. Toutes les ruptures produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse le sont, ce qui inclut la prise d’acte et la résiliation judiciaire injustifiées, la rupture conventionnelle irrégulière, ou encore les ruptures d’un CDD requalifié en CDI, comme l’illustre l’affaire jugée à Amiens.

II. Un plafond de plus en plus fragile

Au vu de la portée du barème et de la fragilité de ses bases, on ne sera pas surpris que des contestations se soient développées. Les premières ont porté sur la constitutionnalité du dispositif. Elles se sont soldées par un échec, le Conseil constitutionnel ayant rejeté les griefs énoncés par les requérants, notamment celui tenant à l’égalité devant la loi. Il est vrai que le grief le plus sérieux, fondé sur le principe de réparation intégrale qui gouverne le droit de la responsabilité civile, est voué à l’échec, faute de reconnaissance constitutionnelle. D’où la tentation d’aller sur le terrain de la conformité aux normes internationales, dès lors que tant l’article 10 de la convention 158 de l’OIT que l’article 24 de la Charte sociale européenne habilitent le juge à ordonner « une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». C’est sur ce fondement que se sont prononcés les jugements de conseils de prud’hommes invalidant le barème, avec un raisonnement en deux temps.

Premier temps, qui ne fait pas vraiment débat : les dispositions européennes et internationales invoquées à l’encontre du barème sont-elles d’applicabilité directe horizontale, c’est-à-dire invocables dans un litige entre particuliers – en l’occurrence entre salarié et employeur ? Si celle de l’article Charte sociale européenne fait débat, la Cour de cassation l’a d’ores et déjà admise pour la convention 158 de l’OIT (Organisation internationale du travail), ce que, du reste, reconnaissent l’ensemble des jugements rendus sur le plafonnement, y compris celui du Mans qui conclut à la conventionnalité du dispositif.

Le débat porte avant tout sur le second temps du raisonnement : le barème, tel qu’institué par les ordonnances, heurte-t-il le principe de réparation adéquate ? Sans entrer dans le détail, on constatera que pour les faibles anciennetés, non seulement les planchers et les plafonds sont très bas, mais, de plus, l’écart entre les deux, et par conséquent l’espace d’appréciation du juge, est très faible (un demi mois à deux ans d’ancienneté, et un mois à trois ans). On ne sera pas surpris que deux des quatre jugements (Troyes et Amiens) concluent que le barème empêche les juges de prendre en compte les situations individuelles, le troisième (Saint-Quentin) posant une question préjudicielle à la Cour européenne des droits de l’homme. Seul le jugement du Mans valide le barème en s’appuyant, d’une part, sur le fait que, malgré les bornes fixées par le législateur, le juge conserve un pouvoir d’appréciation, d’autre part, sur l’existence d’exceptions. Des exceptions qui renforcent l’insécurité inhérente à un dispositif qui se voulait sécurisant pour les entreprises.

III. Une situation insécurisante pour les acteurs

L’insécurité touche aussi bien les salariés que les entreprises, et ce à double titre.

Il y a d’abord ces décisions de justice qui insécurisent, et qui resteront insécurisantes jusqu’à ce que la Cour de cassation se prononce. L’ambition de faciliter les transactions par l’adoption du barème subit ici un sérieux revers.

Il y a ensuite les exceptions. Première exception : le licenciement attentatoire à une liberté fondamentale, ou encore à l’interdiction de la discrimination et du harcèlement. Même si les premiers jugements n’en rendent pas compte, il ne fait guère de doute que les salariés, désireux de voir leur préjudice intégralement ou adéquatement réparé, iront sur ces terrains. Avec un possible phénomène de « glissement ». Qu’entendons-nous par là ? Des argumentations juridiques qui, jusqu’à présent, ne faisaient pas ou peu appel aux droits fondamentaux, pourraient glisser vers ce terrain. Par exemple, s’agissant des licenciements reprochant aux salariés d’avoir critiqué en public l’entreprise, sur les réseaux sociaux, voire sur des sites de notation des entreprises, le collaborateur licencié pourrait ne plus se contenter de contester la faute, mais se déplacer plus systématiquement sur le terrain de la liberté d’expression. La Cour de cassation a ainsi reconnu la nullité du licenciement du lanceur d’alerte, en référence à la liberté d’expression. De la même manière, on se souvient que la liberté de se vêtir à sa guise n’a pas le statut de liberté fondamentale ; les salariés pourraient alors se déplacer vers la discrimination à raison de l’apparence physique, qui par exemple avait été invoquée, avec succès, dans l’affaire du salarié licencié au motif qu’il portait une boucle d’oreille. Les salariés pourront-ils aller jusqu’à invoquer le droit à l’emploi, doté d’une valeur constitutionnelle ? La Cour de cassation a pris le soin de préciser qu’il ne s’agit pas d’une liberté fondamentale.

Deuxième série d’exceptions : le préjudice distinct. Les salariés vont être tentés d’invoquer, en sus des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une indemnité réparant un préjudice distinct, laquelle pourra se cumuler sans se heurter au plafond. Il peut s’agir de dommages et intérêts pour procédés vexatoires dans les circonstances de la rupture (l’employeur jette les affaires de sa salariée par la fenêtre ou porte atteinte à son honneur en ébruitant au maximum la faute commise), d’une faute de l’employeur à l’origine du motif de la rupture, par exemple dans l’hypothèse où la détérioration de l’état de santé du salarié est imputable au comportement fautif de l’employeur. Une autre voie peut être envisagée : la « découverte » dans le contrat d’obligations implicites. C’est ce qui s’est produit en 1992, lorsque la Cour de cassation a extrait du contrat des obligations implicites d’adaptation et de reclassement qui, toutes deux, sont devenues, quelques années plus tard, des obligations légales, inscrites dans le Code du travail. Or, le manquement à une obligation contractuelle pourrait être constitutif d’un préjudice distinct, la Cour de cassation ayant d’ores et déjà admis que le manquement à l’obligation d’adaptation et de formation constitue un préjudice distinct de celui réparé par l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

À supposer que l’on soit convaincu par le raisonnement du conseil des prud’hommes du Mans, la situation actuelle est, en définitive, insatisfaisante pour l’ensemble des parties prenantes. Que faire ? Attendre plusieurs années la position de la Cour de cassation ou en revenir à un référentiel indicatif, quitte à laisser les chiffres du barème inchangés, ce qui purgerait immédiatement le plafonnement des vices qui lui sont affectés ? Cette dernière solution serait, selon nous, la meilleure, mais elle supposerait un acte politique fort ! Affaire à suivre…

Auteur

  • Pascal Lokiec