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Idées

Effets nocifs du capitalisme sur notre écosystème

Idées | Livres | publié le : 01.02.2019 | Irène Lopez

« Cheap » ne veut pas simplement dire « bon marché ». Rendre une chose cheap est une façon de donner une valeur marchande à tout, même à ce qui n’a pas de prix. Le capitalisme est-il synonyme de nivellement par le bas ? C’est la thèse que soutiennent l’économiste et activiste américain Raj Patel et l’historien Jason W. Moore. Ils décrivent avec originalité comment sept choses ont été rendues cheap : la nature, l’argent, le travail, le « care », la nourriture, l’énergie et nos vies.

Les téléphones portables représentent-ils ce qu’il y a de plus négatif dans le capitalisme ? Inutile d’aller chercher un tel exemple d’informatique ou de téléphonie sophistiquée. De simples morceaux de poulets vendus dans les établissements de restauration rapide en disent davantage. On ne les achète que 50 centimes, alors qu’une organisation phénoménale a permis leur production : des animaux (une viande de poulet de mauvaise qualité), des plantes pour les nourrir, des financements, de l’énergie, des travailleurs mal payés… Les auteurs mettent en lumière tout un système du « cheap », effet du capitalisme mondialisé : la « cheapisation » du monde touche la nature, les vies, le travail, le « care » (le secteur du soin), l’énergie et l’argent lui-même, et désigne « les processus par lesquels le capitalisme transmute la vie non monnayable en circuits de production et de consommation dans lesquels ces relations ont le prix le plus bas possible ».

Les manuels scolaires font naître le capitalisme à la fin du XVIIIe siècle avec la première industrialisation. Or, Raj Patel et Jason W. Moore remontent bien plus loin.

Un angle inédit, une autre lecture du monde

Déjà, au XIVe siècle, la cité de Gênes, endettée auprès des banques, mettait en gage le Saint-Graal. Christophe Colomb, découvrant l’Amérique, calculait ce que valaient l’eau, les plantes, l’or… ou les Indiens. Les auteurs rapportent les propos qu’il aurait tenus au huitième jour de son premier voyage dans les Caraïbes : « Je ne peux jamais lasser mes yeux du spectacle d’une végétation si ravissante, si différente de la nôtre. Elle contient, je crois, de nombreuses herbes et de nombreux arbres qui auront beaucoup de valeur en Europe comme teintures et médicaments. »

Au XIXe siècle, les colons britanniques interdisaient aux femmes de travailler pour les cantonner aux tâches domestiques gratuites. Jusqu’à la Grèce de 2015, qui remboursait ses dettes en soldant son système social et ses richesses naturelles. Le capitalisme a façonné notre monde : son histoire, d’or et de sang, est faite de conquêtes, d’oppression et de résistances.

En la retraçant sous l’angle inédit de la « cheapisation », Raj Patel et Jason W. Moore offrent une autre lecture du monde. Elle est plutôt noire si l’on s’en tient au constat. Heureusement, de cette vision globale des crises et des luttes pourrait naître une ambition folle : celle d’un monde plus juste. Des solutions existent : sortir du consumérisme plutôt que « changer nos habitudes de consommation », ou encore compter sur les mouvements citoyens plutôt que sur la classe politique. Plus surprenante est l’amour qui est, selon eux, « un détonateur beaucoup plus puissant que la conscience de classe », pour faire advenir un monde post-capitaliste.

Comment notre monde est devenu cheap. Une histoire inquiète de l’humanité.

Raj Patel et Jason W.Moore. Flammarion. 336 p., 21 euros.

Auteur

  • Irène Lopez