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Un besoin impératif de résultats

Dossier | publié le : 01.02.2019 | Judith Chétrit

Neuf des 24 % de l’écart de salaires hommes-femmes demeurent inexpliqués. Le reste vient du plus grand pourcentage de femmes travaillant à temps partiel, et de leur forte présence dans des entreprises et dans des secteurs moins rémunérateurs. Plus on monte dans la hiérarchie, plus l’inégalité se creuse. Pourtant, la première loi sur l’égalité de rémunération remonte à 1972. C’est pourquoi le Gouvernement veut passer d’une « obligation de moyens » à une « obligation de résultats ».Par Judith Chétrit et Adeline Farge

En matière d’égalité professionnelle, les pratiques diffèrent sensiblement d’une entreprise à une autre. Les méthodologies pour analyser les écarts salariaux aussi. Depuis 2012, les entreprises qui emploient plus de 50 salariés sont censées négocier un accord avec leurs représentants du personnel, incluant un état des lieux et des mesures pour y remédier. Mais d’après le Conseil économique et social, moins de 40 % d’entre elles en ont signé un, sans compter que « les plans et accords sont de simples rappels à la loi, sans objectif ni stratégie ou indicateurs chiffrés pour parvenir à l’égalité ». Pour ce motif, certains accords ont ainsi été retoqués par l’inspection du travail, alertée par les organisations syndicales. L’étude « L’égalité professionnelle est-elle négociable ? », commandée par le ministère du Travail, relève que, parmi l’échantillon de 200 accords d’action ou plans unilatéraux analysés, certaines entreprises ont tendance à utiliser des chiffres du secteur ou de la branche « pour relativiser les écarts qui existent dans l’entreprise », à ne pas reconduire une mesure en cas d’évolution positive ou négative d’un indicateur, à considérer comme « acceptables » des taux d’écart de rémunération à 5 %, voire 10 %, ou à ne pas réfléchir aux « mécanismes sous-jacents et de discrimination indirecte mal connus ». De plus, les enveloppes de rattrapage salarial restent rares ; les corrections s’effectuent surtout sur réclamation individuelle.

« Une prise de conscience »

« C’est quelque chose qui n’est plus toléré socialement. C’est un sujet d’équité mais aussi de performance économique », a souligné la ministre du Travail Muriel Pénicaud, en présentant le nouvel index désormais retenu par le Gouvernement pour mesurer les progrès réalisés par les entreprises. « Il va y avoir une prise de conscience. L’immense majorité d’entre elles ne font pas de discrimination volontaire, mais si on avait voulu continuer à résoudre le problème à petits pas, il aurait fallu attendre 2234 », a-t-elle ajouté. Cette fois, l’échéance est fixée à la fin 2022, avec des contrôles de l’inspection du travail qui devraient être quadruplés. La négociation avec les partenaires sociaux a finalement donné naissance à une grille d’évaluation de cinq critères, assortis de points à cumuler – a minima 75, pour éviter des pénalités allant jusqu’à 1 % de la masse salariale. Parmi les données qui devront être renseignées dans un logiciel – dès 2019 pour les plus grandes entreprises, à partir de 2020 pour celles comptant moins de 250 salariés – figurent le calcul des écarts de rémunération par âges et par catégories socioprofessionnelles (CSP), la mesure de l’écart entre le nombre d’hommes et de femmes ayant été augmentés, ou la proportion de femmes qui se classent parmi les dix plus hauts salaires de l’entreprise. Les deux autres paramètres sont l’augmentation obligatoire de salaire au retour d’un congé maternité, à partir d’une moyenne des augmentations qui ont été attribuées aux salariés de même catégorie et la mesure de l’écart entre le nombre d’hommes et de femmes ayant reçu une promotion.

Autant de calculs automatisés reposant sur des éléments contenus dans les rapports de situation comparée ou les bases de données économiques et sociales. « Il est pédagogique de sortir d’une analyse focalisée sur le seul écart de rémunération pour amener les partenaires sociaux à avoir une appréhension plus dynamique et multifactorielle des causes des écarts », estime Sophie Pochic, sociologue au Centre Maurice Halbwachs. Toutefois, pour certains observateurs, si la démarche est à saluer, cet index comporte encore des angles morts. « Le choix d’une tranche d’âge d’une dizaine d’années et d’une CSP qui manque de « granularité » est propice à des manipulations. En regardant le taux de salaire horaire, on laisse tomber la problématique des temps partiels, pourtant grand facteur des inégalités de rémunération. Par ailleurs, même si les primes de performances seront intégrées au calcul, ce n’est pas le cas des primes liées au poste, qui sont également à l’origine d’inégalités dans certaines branches », commente Dominique Meurs, chercheuse au laboratoire EconomiX et à l’Ined (Institut national d’études démographiques). Selon elle, il sera important d’isoler les promotions quasi mécaniques des promotions décidées et négociées par l’entreprise.

À défaut, des situations plus complexes risquent d’échapper aux mailles du filet des mesures correctrices. Dans certaines entreprises, des processus ont déjà été élaborés en interne pour suivre l’évolution des écarts et des indicateurs. « On a toujours eu beaucoup de mal à savoir comment les entreprises estiment et justifient les écarts salariaux. Il y a une grande hétérogénéité des modes de calcul, chacun résulte d’un choix politique », convient Tanguy d’Orange, consultant au sein du cabinet Syndex. Il faudra voir comment ceux-ci se conjugueront désormais aux critères retenus par le Gouvernement. « On peut espérer que le décret soit accompagné de guides méthodologiques, de matrices Excel gratuites, pour aider les employeurs, notamment les PME, à s’approprier ces calculs et, plus largement, le Code du travail concernant l’égalité au travail. À la différence des grandes entreprises qui disposent de systèmes d’information RH, les PME vont devoir établir une traçabilité des actes de gestion pour pouvoir comptabiliser les augmentations annuelles et les promotions », ajoute Sophie Pochic. À la BNP, il existe depuis 2015, lors du processus annuel de révision des rémunérations, un indicateur mesurant le volume d’augmentation salariale accordée aux femmes et aux hommes. Les managers sont priés de veiller à ce que les éventuels rattrapages effectués n’empêchent pas des femmes de bénéficier d’augmentations individuelles… ou de creuser l’écart originel en attribuant une hausse plus importante aux hommes. Chez L’Oréal, qui s’appuie comme Michelin sur l’Ined depuis une dizaine d’années pour analyser les écarts de rémunération, la direction s’est engagée à envoyer un courrier aux salariés les renseignant de leur positionnement par rapport aux collègues assurant un même niveau de responsabilités.

Devoir de transparence

Cependant, si l’écart a tendance à se résorber au niveau des salaires à poste et à âge comparables, le déroulement des carrières et la promotion des femmes restent un point où le bât blesse, un enjeu à corriger bien plus en amont, en repensant notamment les procédés de promotion, les présentations des postes, le mentoring ou le développement des capacités de négociation. « Au sein d’Engie, les salariés sont classés dans des groupes fonctionnels liés à une grille de rémunération, censés traduire le niveau de qualification du poste qu’ils occupent. Pour chaque groupe, la direction calcule le salaire moyen des hommes et des femmes. Mais, pour une même classe d’âge, cela ne fait pas apparaître les ralentissements de carrière », plaide Eric Buttazzoni, coordinateur CGT du groupe, qui n’a pas signé le dernier accord relatif à l’égalité professionnelle en raison d’objectifs revus à la baisse par la direction. « Une autre façon de piéger ces inégalités à la source serait de mettre sous observation les parents d’enfants de moins de 3 ans et de comparer leurs augmentations de salaires et leurs promotions avec celles des salariés qui n’ont pas eu d’enfants dans les trois dernières années », ajoute-t-il. Il a lui-même été sollicité dans un groupe de travail pour définir une méthodologie d’évaluation des progressions de carrières, mais celle-ci n’a jamais été appliquée.

C’est précisément sur cet angle d’approche que mise l’avocate Emmanuelle Boussard-Verrecchia quand elle défend des clientes pour des procès en discrimination, où une petite partie du contentieux se déplace. Elle s’appuie sur la comparaison de panels retraçant le parcours d’une cohorte de collègues arrivés la même année, et à diplôme et à expérience équivalents. Des données qu’elle obtient par l’intermédiaire de la justice, car « les rapports de situation comparée ne raisonnent pas en termes d’évolution professionnelle, mais d’égalité salariale ». « Le sentiment de discrimination se niche souvent en voyant passer les gens devant soi. Une fois qu’on obtient ces éléments de comparaison fiables et pertinents, c’est à l’entreprise de prouver que la différence de traitement est étrangère à tout motif discriminatoire. Elle s’appuie alors souvent sur les entretiens annuels de performance, mais est-ce qu’on exige autant des hommes pour qu’ils ne progressent pas ? Ou tous ceux qui ont progressé étaient-ils meilleurs ? » demande-t-elle. Ce ne sont pas des questions que ce nouvel index tranchera, mais encore reste-t-il à voir comment et sous quelle forme ces données seront communiquées aux salariés, aux représentants syndicaux et au grand public. Avant et après la parution du décret précisant les modalités d’évaluation, les principales organisations syndicales ont émis des réserves. Critiquant un barème trop progressif, elles estiment qu’une entreprise pourrait très bien atteindre 75 points sur 100 et ne pas être sanctionnée en ayant trois années supplémentaires pour effectuer des mesures correctrices. Et ce, malgré un écart réel dans la rémunération.

Un accord plus ardu que prévu dans le secteur public

Il y a plusieurs mois, la négociation du protocole d’accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes était bien l’un des rares dossiers à faire consensus entre le Gouvernement et les organisations syndicales, au vu des autres chantiers de réforme de la fonction publique. Et pourtant, la signature a été reportée à plusieurs reprises et, finalement, le texte n’a pas été paraphé par la CGT, par Force Ouvrière ou par Solidaires, ce qui le rend difficilement applicable en raison d’une représentativité suffisante. Malgré cela, avec les résultats des dernières élections professionnelles et la promesse d’une signature in extremis par Solidaires, le Gouvernement entend en profiter pour refaire valider ce texte, qui devrait être désormais intégré dans le projet de loi de réforme de la fonction publique en 2019. Si celui-ci prévoit davantage de nominations équilibrées dans les cadres supérieurs, un fonds dédié à l’égalité professionnelle et des plans d’action de collectivités pour résorber les écarts salariaux, les employeurs publics ne risquent pas de lourdes sanctions, faute de résultats probants comme dans le privé.

Auteur

  • Judith Chétrit