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Les ressorts d’une politique parentale

Dossier | publié le : 01.02.2019 | Adeline Farge

Rééquilibrer le rapport hommes-femmes au sein du couple parental est un préalable à l’égalité professionnelle. À condition de mettre à mal quelques stéréotypes solidement ancrés.

Les absents ont toujours tort. En 2013, de retour de congé maternité, Mélanie, assistante administrative à la SNCF dans le Gard, apprend que son poste a été supprimé et qu’aucun n’est vacant en vue d’un reclassement : « Les quatre hommes concernés en ont bénéficié, mais comme j’étais sortie des radars, l’entreprise m’a oubliée et n’avait rien à me proposer. Comme je ne pouvais pas être licenciée, on m’a conseillé de partir à la retraite à 38 ans. » Après un congé parental forcé, cette mère de trois enfants enchaîne, depuis 2016, les missions à cinquante kilomètres de son domicile. Cet exemple en est l’illustration : entre placardisations et absences de promotions, passages subis au temps partiel et moindre progression salariale, l’arrivée d’un enfant continue de porter préjudice à la carrière de certaines femmes. « Les stéréotypes sont encore bien ancrés dans la culture des entreprises. Certains managers imaginent qu’avec l’arrivée d’un enfant, les salariées sont moins investies dans leur vie professionnelle. Ils ont tendance à ne pas leur confier de responsabilités et à les oublier pour les promotions », constate Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise.

Charge mentale

Récupérer l’enfant chez l’assistante maternelle, s’absenter pour se rendre chez le pédiatre, gérer l’intendance du foyer… Étant donné que 71 % des tâches domestiques et 65 % des tâches familiales reposent sur les épaules des femmes et que les journées ne sont pas extensibles, celles-ci manquent également l’occasion de réseauter avec les collègues après le boulot, d’effectuer des heures supplémentaires ou encore d’accéder à des formations, qui sont pourtant autant d’atouts pour se démarquer. Certaines finissent même par décrocher. Ainsi, en 2015, selon la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), 63 % des mères en couple avec deux enfants, dont un de moins de 3 ans, étaient en situation d’emploi, contre 86 % des hommes.

Pour éviter à leurs collaboratrices de sacrifier leur carrière lorsqu’elles envisagent une grossesse, les entreprises s’impliquent de plus en plus dans des politiques de soutien à la parentalité. Places en crèches réservées, dispositifs pour dénicher un mode de garde en cas d’urgence, reprise du travail la première semaine à temps partiel tout en étant payé à temps plein, télétravail et souplesse dans la gestion des horaires, sensibilisation des managers au respect de l’équilibre des temps de vie, atelier parentalité sur le lieu de travail… Le cabinet d’audit et de conseil EY a déployé une palette de mesures pour aider les jeunes parents à mieux jongler entre leurs contraintes familiales et professionnelles. « Dans nos métiers, nous faisons face à une guerre des talents. Ces mesures permettent d’attirer des candidats et de les fidéliser, y compris au moment où ils envisagent de fonder une famille. Nous leur montrons qu’il est possible de réussir sa carrière chez nous, tout en étant épanouis en tant que parents. Plus nos salariés seront sereins dans leur vie personnelle, plus ils seront performants et investis », justifie Audrey Deconclois, DRH du cabinet.

Aux pères de jouer

Avant leur départ en congé maternité, les futures mamans bénéficient d’entretiens professionnels avec un responsable des ressources humaines et avec l’associé en charge de leur périmètre d’activité. L’occasion de faire un point sur leur carrière, de discuter des aménagements nécessaires pendant leur grossesse, mais aussi d’échanger sur leurs aspirations professionnelles. « Lorsque les salariées partent en congé maternité, elles peuvent s’inquiéter des impacts de leur absence sur leurs perspectives professionnelles. Ces entretiens nous permettent de les rassurer et d’anticiper leur retour en les positionnant sur des missions correspondant à leurs souhaits. Avant leur reprise, nous reprenons contact avec les collaboratrices pour confirmer le projet. À l’arrivée d’un enfant, les femmes peuvent décider de donner une nouvelle orientation à leur carrière », poursuit Audrey Deconclois.

Alors que l’arrêt lié au congé maternité peut générer des écarts de salaires flagrants entre les femmes et les hommes, L’Oréal s’assure que les salariées concernées soient augmentées au même titre que les autres collaborateurs, tant pour la part individuelle que collective de leur rémunération.

Mais, aujourd’hui, le challenge de l’égalité professionnelle passe par une plus grande valorisation du rôle du père. « La parentalité est encore un bagage qui freine les carrières des femmes. Lors de leur embauche, elles sont soupçonnées d’être moins disponibles et moins flexibles que les hommes car elles doivent s’occuper de leurs enfants. En ne faisant plus seulement peser le risque parental sur les mères, l’allongement du congé paternité est un instrument puissant pour réduire les inégalités professionnelles. Si les hommes sont susceptibles de s’arrêter, le délit de maternité deviendra moins grave », estime Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Actuellement, 70 % des pères prennent leur congé paternité de onze jours consécutifs pour une naissance simple et de 18 jours pour une naissance multiple, généralement à la suite du congé de naissance de trois jours à la charge de l’employeur. Ces derniers mois, les collectifs Congé Parent Egalité et pour une Parentalité féministe, qui le jugent trop bref pour être efficace, ont multiplié les tribunes et les pétitions pour réclamer un congé aligné sur celui de la mère. Dans un rapport remis à l’exécutif en septembre, l’Inspection générale des affaires sociales est allée dans ce sens, en préconisant de porter le congé paternité à trois, voire à quatre semaines, et de le rendre pour partie obligatoire. « Le décalage dans la répartition des tâches familiales et domestiques est une source profonde d’inégalités au travail. Aujourd’hui, le congé paternité est trop court pour favoriser un rééquilibrage équitable au sein des couples. Les pères doivent avoir le temps de s’approprier leur rôle auprès de leur enfant. Car quand la parentalité est partagée, les femmes peuvent se consacrer davantage à leur vie professionnelle », pointe Olga Trostiansky, présidente fondatrice du Laboratoire de l’égalité.

Le culte de la performance

Si le Gouvernement, qui a allongé le congé maternité des travailleuses indépendantes en janvier 2019, traîne encore des pieds, des entreprises ont pris les devants et offrent à leurs employés un congé paternité surcalibré et rémunéré à 100 %. Aviva propose ainsi un congé parental de dix semaines pour l’autre parent, une durée inédite en France. Des avancées qui répondent aux aspirations des nouvelles générations de papas qui n’hésitent plus à quitter à 17 heures, à poser leur mercredi ou à télétravailler pour pouponner. « Aujourd’hui, les hommes n’ont pas d’autres choix que de s’impliquer dans leur vie familiale. La garde alternée progresse rapidement. D’autre part, dans les jeunes couples, les conjoints ont souvent des situations professionnelles comparables. Lorsque l’enfant arrive, ils sont tous les deux en pleine ascension. Le fait que ce soit à la femme de lever le pied n’est donc plus automatique », remarque Antoine de Gabrielli, fondateur du réseau Happy Men.

Reste que cet engagement paternel n’est pas toujours vu d’un bon œil dans les entreprises, où la culture du « présentéisme » et de la performance a la vie dure. De peur des répercussions sur leurs carrières et de subir les sarcasmes de leurs collègues, les hommes sont peu enclins à prendre un congé parental d’éducation, qui peut s’étendre jusqu’à un an si les deux parents y participent. Seuls 4 % sont pris par des hommes. Vu la faible indemnisation (environ 400 euros mensuels), le calcul financier est aussi vite fait. Les femmes gagnant généralement moins que les hommes, il est moins pénalisant de les voir, elles, s’arrêter… Quitte à creuser encore les inégalités salariales.

Auteur

  • Adeline Farge