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La mixité, c’est encore loin

Dossier | publié le : 01.02.2019 | Adeline Farge

Dans nombre de professions, la présence féminine relève de l’exception. Des initiatives sont prises pour tenter d’inverser la tendance.

Mécanicien, ingénieur, sage-femme, puéricultrice… Nombre de professions peinent à se détacher de leur étiquette genrée. Aux garçons, les jeux de construction ; aux filles, les poupées. Dès leur enfance, les premiers seraient prédestinés à embrasser des carrières scientifiques et technologiques, les secondes se verraient réserver les emplois dans le social et la santé. Le poids des stéréotypes est tel que seuls 17 % des métiers sont aujourd’hui mixtes, et beaucoup sont loin d’être paritaires. Selon le CIDJ (Centre d’information et de documentation jeunesse), les talents féminins constituent moins de 30 % des troupes dans l’ingénierie et la R&D, l’industrie et le numérique, et 12 % dans le BTP. « Les filles continuent de s’autocensurer sur les filières techniques qui ont une connotation masculine. Elles voient ces métiers comme physiques, pénibles, aux contraintes horaires incompatibles avec une vie de famille. Leur entourage peut aussi les décourager de se diriger dans cette voie », constate Rachel Silvera, économiste et directrice adjointe du Mage (groupe de recherche « Marché du travail et genre »).

Déséquilibres flagrants

Plus de la moitié des femmes se concentrent dans douze familles professionnelles sur les 87 reconnues par l’Insee, bien souvent les moins qualifiées et les moins rémunératrices. Elles représentent près de 100 % des aides à domicile, 90 % des aides-soignants, 66 % des salariés des sociétés de nettoyage. Une division sexuée du monde du travail qui dissuade les hommes d’exercer dans les métiers de la petite enfance, où ils représentent 1,5 % des effectifs. « Les garçons ont peur de ne plus paraître virils s’ils choisissent un métier féminin. Éduquer, soigner, écouter… Les compétences requises, qui renvoient aux tâches domestiques, seraient l’apanage des femmes. On doute de leurs capacités et ils sont parfois perçus comme des dangers pour les enfants », raconte Adrien Charlot, accompagnant éducatif petite enfance et secrétaire de l’association Agir, pour la mixité et l’égalité dans la petite enfance.

Si le milieu éducatif a encore du pain sur la planche pour casser ces déterminismes, les entreprises ont bien saisi l’intérêt de disposer d’équipes mixtes. « Elles ont compris que la parité était un vecteur de performance. L’équilibre entre les sexes amène une richesse de points de vue et une diversité d’approches. L’innovation vient de la confrontation des idées. Il est également essentiel de refléter la société pour s’adapter aux besoins des clients », remarque Dominique Maire, secrétaire générale adjointe du cercle Inter’elles. Attirer des femmes, c’est l’opportunité d’élargir son vivier de candidats. Un levier clé pour le secteur du numérique et de l’électronique, qui pourrait compter 80 000 postes vacants d’ici 2 020. « Alors que les entreprises du numérique font face à une pénurie des talents, elles ne peuvent pas compter sur une seule partie de la population pour combler leurs besoins. Les femmes doivent se diriger davantage vers ces métiers qui sont bien rémunérés », insiste Henri d’Agrain, délégué général du Cigref (Club informatique des grandes entreprises françaises) et administrateur au comité exécutif de la fondation femmes@numérique, lancée par des associations et entreprises des nouvelles technologies. Ses objectifs ? Éveiller, dès l’école primaire, l’intérêt des jeunes filles pour l’informatique, et valoriser les parcours des femmes à des postes à responsabilité.

Dès le plus jeune âge

Pour encourager les collégiennes et les lycéennes à poursuivre leurs études dans des filières industrielles et technologiques, l’association Elles bougent multiplie les rencontres entre les élèves et des salariées lors d’événements comme le Mondial de l’auto ou le Salon aéronautique du Bourget, ainsi que les interventions en milieu scolaire. « Les jeunes filles ont une image déformée des métiers de l’industrie et manquent de modèles féminins auxquels s’identifier. Nos marraines leur racontent leur parcours et leurs missions. Ces rencontres les aident à se projeter dans leur avenir professionnel », explique Marie-Sophie Pawlak, présidente fondatrice de Elles bougent. Susciter des vocations féminines commence dès le plus jeune âge, aussi, 400 collaborateurs d’Engie arpentent-ils les collèges et lycées pour sensibiliser les futures jeunes pousses à la diversité de leurs métiers durant l’opération « J’apprends l’énergie ». « Nous leur présentons des métiers qu’elles n’avaient pas envisagés et qui peuvent leur promettre des carrières intéressantes. Pour les convaincre, on insiste sur les sujets portés par l’entreprise tels la lutte contre le réchauffement climatique ou les énergies renouvelables », précise Rachel Compain, directrice développement social et diversité d’Engie. Dans la même logique, Natixis invite les étudiantes de la L1 à la L3 à se plonger, durant une journée, dans le quotidien d’une collaboratrice et à découvrir les différentes opportunités de carrière dans la finance.

Peser sur le choix d’orientation des petites Françaises est un enjeu de taille. Avec seulement 27 % d’étudiantes présentes dans les écoles d’ingénieurs, les entreprises redoublent d’efforts pour dénicher des talents féminins. « Quitte à allonger le délai du recrutement, on garantit de présenter aux managers une candidature féminine sur les trois qui leur sont proposées dans la short list. Cela nous pousse à nous ouvrir à des profils plus variés, issus notamment des universités. Sur les métiers peu mixtes, à compétences égales, les femmes sont privilégiées », assure Jean-Baptiste Obeniche, responsable du pôle innovation et performance au travail d’EDF, dont les jurys de recrutement sont mixtes pour éviter de voir ressurgir des stéréotypes et de reproduire des clones.

Pour sortir des sentiers battus, Michelin mise sur les méthodes de recrutement par simulation de Pôle emploi. Sur un groupe de 40 candidats évalués sur un poste de travail fictif, le groupe essaie d’avoir dix femmes. « Comme les formations initiales ne nous permettent pas de trouver suffisamment de femmes sur les métiers d’opérateurs de fabrication et de pilote de production, les schémas de recrutement basés sur les compétences techniques et sur le parcours industriel ont été abandonnés. On mesure plutôt leurs aptitudes dans un contexte professionnel. Des formations internes leur apprendront le métier. Ces techniques permettent de repérer des candidates en dehors de notre secteur », indique Charles Fiessenger, manager diversité chez Michelin, qui ambitionne d’atteindre la proportion de 20 % d’ici 2020 (contre 17,6 % actuellement) et qui parie sur l’alternance pour féminiser ses troupes.

Sensibilisation

Entre les blagues graveleuses et l’isolement, l’intégration des femmes dans des milieux masculins est cependant parfois éprouvante. Pour y remédier, EDF sensibilise ses collaborateurs et ses managers au sexisme et au harcèlement au travail, à l’aide d’une charte éthique et de vidéos humoristiques. De son côté, Engie veille à ce que les salariées recrutées en alternance ne se retrouvent pas en solo dans des équipes. Dernier levier pour rendre les métiers plus accessibles aux femmes : travailler sur la qualité de vie au travail, l’articulation des temps de vie et la pénibilité des postes de travail, en automatisant les ports de charges. Si les initiatives fleurissent pour féminiser les bastions masculins, les hommes, a contrario, sont peu encouragés à investir les métiers dits « féminins ». Bien que l’ADMR (Aide à domicile en milieu rural) cherche à communiquer auprès des demandeurs d’emploi sur la place des hommes dans les services à la personne, ces actions restent rares. Pour Rachel Silvera, « c’est un volet de la mixité oublié par les entreprises et les pouvoirs publics. Pour donner envie aux hommes d’aller vers les filières à prédominance féminine, il faudrait commencer par les revaloriser. On ne peut pas les inciter à rejoindre des professions payées au smic qui n’offrent aucune possibilité d’évolution professionnelle ».

Auteur

  • Adeline Farge