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Décodages

Les bonnes vieilles médailles du travail encore au goût du jour

Décodages | Carrière | publié le : 01.02.2019 | Lucie Tanneau

Apparue en 1886 pour récompenser les salariés fidèles à leur entreprise, la médaille du travail est aujourd’hui devenue un marqueur du nombre d’années de carrière. Si une telle reconnaissance semble ringarde, elle reste pourtant demandée. Pour la prime souvent associée ?

Levée de boucliers dans le petit monde des banques : après BNP Paribas fin 2017, la Société générale vient d’annoncer la diminution des primes associées à la médaille du travail. Le symbole, habituellement peu mis en avant par les syndicats, est subitement devenu un bibelot à ne pas toucher. De quoi parle-t-on ? La distribution de médailles du travail remonte à la fin du XIXe siècle (1886), à l’initiative du ministère du Commerce et de l’Industrie, qui souhaitait alors récompenser les ouvriers et les employés « qui comptent plus de trente années de service consécutives dans le même établissement ». La médaille a vu le jour sous sa forme actuelle en 1948. Le décret 84-691 stipule alors qu’elle récompense « l’ancienneté des services honorables effectués par toute personne salariée ou assimilée » et « la qualité exceptionnelle des initiatives prises par les personnes salariées ou assimilées dans l’exercice de leur profession ou de leurs efforts pour acquérir une meilleure qualification ».

De 59 à 1 110 euros.

Car au début du siècle dernier, il est d’usage d’effectuer sa carrière chez un seul et même employeur, et la médaille récompense donc le salarié fidèle. Mais à partir de 1984, il est possible d’obtenir la fameuse breloque en ayant connu quatre employeurs. Depuis 2000, il n’y a plus de limites. Fini le temps où elle récompensait « les bons serviteurs », la médaille du travail est désormais une reconnaissance de l’ancienneté, parmi d’autres. « Au début de la Troisième République, la médaille a été imaginée pour fidéliser la main-d’œuvre venue du monde rural », indique Bernard Vivier, le directeur de l’Institut supérieur du travail. « Mais, aujourd’hui, ce n’est plus son but, et le nombre d’employeurs est devenu illimité, sinon, plus personne ne l’aurait ! » Néanmoins, « elle reste la reconnaissance par la puissance publique d’un engagement professionnel », note-t-il.

La médaille du travail est surtout pour lui « un symbole d’égalité », puisqu’elle est attribuée à tous, peu importe le niveau hiérarchique. C’est au salarié d’en faire la demande, en remplissant un formulaire Cerfa (11 796 01, pour les salariés vivant en France, ou 11 797, pour les Français de l’étranger ou les salariés étrangers employés par une entreprise française). Gérée par les services de l’État (Dirrecte ou préfecture), la médaille est décernée deux fois par an, au 1er janvier ou au 14 juillet, à tous ceux qui en font la demande.

Une tradition hors d’âge…

À défaut de « médaille », l’État fournit en fait un simple diplôme papier, et c’est ensuite à l’employeur, au salarié ou à toute personne souhaitant lui offrir, de commander la médaille, auprès de la Monnaie de Paris, principal fabricant, ou auprès de prestataires comme Mouret, Martineau, Stadium ou Doublet, implantés sur ce marché plutôt lucratif. Sur le site de la Monnaie de Paris, les médailles sont en effet vendues entre 59 euros pour une médaille en argent doré de 20 ans, à 96 euros pour une médaille en argent doré 40 ans, voire 1 120 euros pour une médaille récompensant quarante ans de carrière, en or massif. Très souvent, c’est l’employeur qui offre la breloque à son collaborateur.

Alors que la reconnaissance est décernée, à tous, par l’État, comment l’employeur, à l’instar du secteur bancaire, peut-il s’attirer les foudres de ses collaborateurs sur le sujet ? C’est de tradition qu’il est question. Si les entreprises ne décernent pas la récompense elles-mêmes, il est d’usage, pour la grande majorité d’entre elles, d’offrir la médaille, d’organiser un pot de remise des breloques, et surtout, d’y associer une prime. D’une centaine d’euros à un mois de salaire brut (montant jusqu’auquel la prime est défiscalisée et non soumise aux charges sociales), voire davantage, selon les entreprises. « Cette prime n’est pas une obligation, et peu de conventions collectives ont négocié ses montants », relève toutefois Jacques Andrieu, le président de la Fédération nationale des décorés du travail du France (FNDT).

Comme la Société générale, qui s’est attiré les foudres des syndicats juste avant Noël, BNP Paribas a décidé d’économiser sur les gratifications relatives à l’ancienneté. La prime de la médaille du travail s’élevait alors à un mois de salaire affecté d’un coefficient de 0,875, qui multiplie le nombre d’années d’ancienneté en interne divisées par le nombre total d’années d’activité professionnelle. « Ces dispositifs ne répondent plus aux enjeux d’attractivité et de fidélisation, ni aux attentes des salariés, particulièrement ceux récemment embauchés », a fait valoir la direction. Car la récompense de l’ancienneté coûte cher, d’autant qu’elle peut être demandée rétroactivement, et même à titre posthume (par les ayants droit, dans les cinq ans qui suivent le décès).

Dans l’immobilier, la convention collective prévoit le versement d’un mois de salaire brut pour la médaille d’argent. Dans le monde des casinos, 750 euros sont versés aux récipiendaires de la première médaille, et jusqu’à un mois de salaire brut (dans la limite du plafond de la Sécurité sociale) pour la médaille Grand Or. D’autres employeurs offrent des jours de congé, des chèques-cadeaux (notamment dans le secteur de la grande distribution) et jusqu’à un tiers du salaire brut annuel dans certains grands groupes. Forcément, l’annonce de la diminution des primes déçoit.

Valeur travail.

Pourtant, pour Bernard Vivier, « la prime vient enrichir la médaille, mais elle ne l’explique pas ». « On supprimerait la prime, la médaille continuerait d’exister, car le côté affectif, avec lequel on honore le travail, est important », croit-il. Il n’empêche : le nombre de médailles distribuées a baissé ces dernières décennies. En 1985, 585 820 médailles avaient été décernées. Désormais, 300 000 salariés en moyenne en bénéficient. Un chiffre en légère augmentation avec l’arrivée des baby-boomers à l’âge de la retraite, mais qui ne connaît pas le sursaut attendu. « La désaffection est liée au fait que l’attachement à l’entreprise est moins fort qu’avant », tente Bernard Vivier. « Les plus jeunes sont peut-être moins attachés à la médaille… Mais au moment de partir en retraite, beaucoup de salariés sont émus de cette reconnaissance », nuance Jacques Andrieu. « La médaille l’emporte sur la gratification, car l’employeur peut verser une prime à tout moment, alors que la médaille a un sens : elle récompense la valeur travail, même si, aujourd’hui, on est davantage sur la quantité d’années que sur la qualité du travail », reconnaît le président de la FNDT. « Elle récompense l’effort du salarié qui a contribué à faire tourner son entreprise et à faire fonctionner l’économie : c’est une reconnaissance d’État. Quelqu’un qui a travaillé toute sa carrière a le droit à une récompense, autre que de l’argent », défend-il.

Un rituel égalitaire nécessaire ?

Au sein de la Cristallerie Saint-Louis, en Moselle, elle reste une tradition respectée. Entre dix et quinze salariés sont ainsi décorés chaque année, au cours d’une cérémonie organisée généralement le dernier vendredi de l’année par la société, avec ses dirigeants, les partenaires sociaux, les élus locaux et les députés du secteur. « C’est un moment important pour la vie de la société, car nous avons une véritable fidélité de nos collaborateurs : nous remettons régulièrement des médailles Grand Or à des salariés qui ont fait quarante ans de carrière à la Cristallerie », se réjouit Jérôme de Lavergnolle, le président de la Cristallerie Saint-Louis (groupe Hermès). S’il reconnaît que « c’est une médaille du travail, et pas du bon travail », il ne regrette pas pour autant cette médaille, qui permet au collaborateur, via la publication de la photographie des médaillés dans le quotidien local et le moment convivial de la cérémonie, de se sentir fier d’appartenir à l’entreprise. Les récipiendaires reçoivent aussi une prime (30 euros par année d’ancienneté chez Saint-Louis) et la médaille (80 euros en moyenne, offerte par l’employeur), mais, pour le président, « la fierté ne tient pas qu’à cela ». « La médaille du travail est une forme de rituel dans les entreprises, et dans les communautés de travail, on a besoin de ces rituels », approuve Jean-Paul Bordot, ancien directeur de la stratégie sociale de Naval Group. « C’est un marqueur du temps, qui offre un moment de convivialité entre collègues, alors qu’il n’y en a pas tant que ça. » Dans l’industrie, la tradition – très « Trente Glorieuses » – reste respectée. « Bien sûr, la prime est plaisante, reconnaît Jean-Paul Bordot, mais la médaille cultive aussi un sentiment d’égalité, pas si courant par les temps qui courent. » « En tant que gestionnaire RH, ajoute-t-il, on peut se dire que c’est complètement dépassé de donner de l’argent qui n’est pas lié à la performance, mais on remarque aussi que la France a le goût des médailles. Il faut voir comme on parle, à chaque promotion, des remises de la Légion d’honneur… » Pour lui, difficile de prédire si la médaille du travail survivra au modèle d’entreprise traditionnelle, mais nombre de salariés ont encore beaucoup d’ancienneté dans leur entreprise, particulièrement en région, où les mobilités sont moins fréquentes. « J’ai souvent remarqué, lors des cérémonies de remises de médailles auxquelles j’ai assisté, la fierté des salariés décorés : à l’heure où il y a beaucoup de débats autour des organisations horizontales, la médaille permet de mettre tout le monde, un jour, sur le devant de la scène. C’est aussi un stabilisateur de lien social. Il ne faut pas dénigrer ces moments-là. »

La médaille du travail comme lien social ? Une vertu à laquelle ses créateurs n’avaient pas forcément songé au XIXe siècle…

En chiffres

4

C’est le nombre de médailles du travail existant en France. Elles dépendent du nombre d’années de service : la médaille Argent (qui récompense 20 ans de carrière), Vermeil (30 ans), Or (35 ans) et Grand Or (40 ans de vie professionnelle).

1 179 601

Le numéro du formulaire Cerfa de demande de médaille du travail (pour les salariés habitant en France). C’est en théorie au salarié de le remplir, en joignant à sa demande les justificatifs d’emploi et d’ancienneté. En pratique, nombre d’entreprises font elles-mêmes la demande pour leurs collaborateurs.

300 000

C’est le nombre de médailles attribuées en France chaque année, sachant qu’il y a deux promotions, celle du 1er janvier et celle du 14 juillet, toutes deux publiées au Recueil des actes administratifs des départements.

10 000

Le nombre de médailles régionales, départementales, et communales décernées en moyenne par an : c’est l’une des médailles associées à la médaille du travail. Elle a été créée en 1987 et permet de récompenser les travailleurs de la fonction hospitalière ou de la fonction territoriale (exclus de la médaille de travail réservée au secteur privé, NDLR). D’autres ministères, comme celui de l’Agriculture, ont également leur médaille.

Auteur

  • Lucie Tanneau