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Décodages

Halte au bruit !

Décodages | Travail | publié le : 01.02.2019 | Valérie Auribault

L’ambiance sonore constitue un élément essentiel du bien-être au travail. La surdité se situe au quatrième rang des maladies professionnelles. Il est grand temps d’y prêter une oreille attentive.

Les éclats de rire ou les discussions des collègues, les téléphones qui sonnent tout au long de la journée, le ronronnement du ventilateur ou du distributeur automatique de boissons… autant de bruits que l’on n’entend plus, tant ils font partie de l’environnement de travail. Pourtant, ceux-ci ont une incidence directe sur les salariés. Stress, irritabilité, troubles du sommeil et fatigue, surdité, maladies cardiovasculaires, effets sur le système endocrinien, aggravation des états anxio-dépressifs, absentéisme. L’ambiance sonore au travail peut engendrer de graves conséquences sur la santé et sur l’efficacité des salariés. Pour 59 % d’entre eux, le niveau sonore de l’environnement professionnel s’avère gênant, selon une enquête Ifop pour la Journée nationale de l’audition (JNA) de 2018. Près de 20 % seraient soumis à des niveaux sonores équivalents à 85 dB, un seuil à partir duquel l’oreille peut subir des dommages. La douleur, elle, est mesurée dès 120 dB. 38 % des salariés ressentent des difficultés de compréhension du fait du bruit, 50 % éprouvent de la fatigue, de la lassitude et des difficultés à se concentrer. « Certains collègues vont parler fort et s’interpeller d’un bout à l’autre d’une pièce sans se soucier des autres, explique Valérie Rozec, psychologue de l’environnement au CIDB (Centre d’information et de documentation sur le bruit). L’« autre » devient alors source de stress. Cela peut entraîner un manque de communication entre les salariés, sans oublier l’état de tension, la charge mentale et la concentration qui s’en trouve perturbée, surtout sur les postes où il y a un fort besoin de créativité. »

Le vieillissement des salariés risque d’accentuer ce type de situations. « Avec l’allongement de la durée de vie au travail, les managers vont être de plus en plus confrontés à des salariés souffrant d’hyperacousie ou d’acouphènes, voire à des personnes en situation de handicap », souligne Alain Londero, médecin ORL à l’hôpital européen Georges Pompidou. Le bruit quotidien peut avoir une répercussion sur l’absentéisme et les arrêts maladie. « Le bruit gêne la cicatrisation et favorise les infections, poursuit le Dr Londero. Lorsqu’il y a du bruit, nous sommes en tension permanente. Concentré sur le bruit, le corps ne peut pas se défendre contre d’autres maux. » Sans compter les chocs acoustiques. « Il faut immédiatement consulter en cas de sifflements ou de souffles, au lendemain d’un choc auditif, insiste Alain Londero. Ces derniers peuvent survenir lors d’un concert, mais aussi dans un environnement professionnel bruyant. Un traitement administré rapidement peut éviter certains traumatismes irréversibles. »

Sensibiliser pour réduire les risques.

Ces traumatismes sont particulièrement présents en milieu industriel. Les cellules ciliées de l’oreille interne sont détruites lors d’expositions répétées à des niveaux sonores élevés. La perte auditive est alors insidieuse et progressive. La personne ne va s’en rendre compte que lorsqu’elle va rencontrer des difficultés de compréhension en groupe, ou lorsqu’il lui faudra augmenter le volume de la télévision. Une surdité de perception irréversible. Les accidents acoustiques (explosion, détonation, sifflement de type Larsen…) peuvent, eux, engendrer des traumatismes immédiats. Surviennent alors les acouphènes. Un handicap très invalidant, notamment aux plans psychique et professionnel. En France, 2,5 millions de personnes souffrent régulièrement d’acouphènes (JNA, 2008), 20 à 30 % de malentendants sont appareillés. Aujourd’hui, plus de 3 millions de salariés sont exposés sur leur lieu de travail à des niveaux de bruit prolongés, et potentiellement nocifs. Un risque sous-estimé. Les habitudes professionnelles font que le bruit est considéré comme une composante normale de l’activité. Or, depuis 1963, celui-ci est reconnu comme une maladie professionnelle. La surdité se situe au 4e rang de ces troubles liés au travail. Les seuils d’exposition au bruit sont réglementés et l’employeur a pour obligation de les évaluer, d’en combattre les sources, de former les salariés sur les risques et sur leur prévention, et de prendre des mesures de protection collective.

En 2016, GRT Gaz a mis en place un plan d’actions avec le CIDB pour ses 3 000 agents répartis sur tout l’Hexagone. « Nos agents sont confrontés au transport du gaz naturel à haute pression sur les réseaux de distribution. Le bruit est inhérent à notre activité. Par conséquent, il nous fallait prendre des mesures de sensibilisation, y compris pour nos employés du tertiaire », explique Olivier Serrière, responsable du département prévention et maîtrise des risques sur le territoire Nord-Est. Durant quinze jours, plus d’une centaine de réunions participatives, avec la médecine du travail, ont permis de sensibiliser les managers et les collaborateurs aux bonnes pratiques et aux différents risques, par le biais de kits d’animation pour chaque type d’activité. Des petits clips sont venus compléter la formation afin d’expliquer aux agents le bon mode d’application des bouchons d’oreilles notamment.

« Depuis, nos managers et nos agents mesurent ponctuellement le volume du bruit avec des sonomètres, poursuit Olivier Serrière. D’autres mesures sont plus régulières, y compris pour connaître le niveau sonore près des fenêtres qui donnent sur la rue, dans les open spaces, ou lors de l’installation d’une nouvelle machine. »

Les open spaces ont désormais leurs détracteurs. « Souvent, le design y est privilégié. L’endroit doit être beau, esthétique. Puis, se pose la question du bien-être, notamment acoustique, voire visuel à cause de la réflexion lumineuse », souligne Elyzabeth Pellegrin-Genel, architecte DPLG, urbaniste et psychologue du travail. « Finalement, l’open space est moins collaboratif qu’il n’y paraît, constate Pierre Guiu, acousticien et cofondateur d’Orosound. Car les gens communiquent moins. Avoir besoin d’échanger ou de se concentrer est propre à chacun. » De plus en plus, les casques fleurissent sur la tête des employés dans les bureaux ouverts afin de pouvoir préserver une bulle de concentration. Et des cabines ou des bureaux vitrés agrémentent l’espace central pour qui souhaite téléphoner ou parler en toute sérénité avec un client ou un collègue. « La répartition de l’espace doit être pensée en amont, avant l’appel d’offres, et en fonction de l’activité, explique l’ergonome Élise Rebourg. Dans le cas contraire, l’ambiance sonore ne sera pas adaptée. »

Déjeuner en paix.

Et quand vient l’heure de la pause déjeuner, le bruit est plus présent que jamais. « Notre restaurant de Bois-Colombes était très bruyant, nous avions de nombreuses remontées de la part de nos collaborateurs, se souvient Olivier Serrière. Les travaux étant trop onéreux, nous avons fait installer des panneaux pour absorber le bruit. Les salariés ont aussi été incités à décaler leur arrivée afin de manger soit plus tôt, soit plus tard, et de ne pas être tous présents en même temps. » En plus des panneaux, d’autres privilégient la moquette au sol pour limiter l’impact du bruit. « Je me souviens qu’une entreprise avait installé des balles de tennis au bout de tous les pieds de chaises, pour plus de silence. C’était peu esthétique, certes, mais la pièce y était bien plus calme », sourit Mathieu Lamotte, responsable commercial et marketing au sein du cabinet Bruiz. Les espaces entre les tables sont tout aussi importants pour retrouver un sentiment de quiétude. En cuisine, cependant, les solutions demeurent complexes. « Les hottes à vitesse variable sont impératives », insiste l’acousticien et directeur de Peutz, Stéphane Mercier. Bruits d’assiettes et de couverts à la plonge, fours qui sonnent, plats qui s’entrechoquent sur des plans en inox qui résonnent… un vrai casse-tête. « L’isolation du plafond permet de diminuer au mieux jusqu’à 3 dB. Le port de casques ou de bouchons d’oreilles évite les chocs auditifs trop importants », poursuit Stéphane Mercier. Des solutions qui limitent pourtant la communication aux heures de rush. Plus que jamais, la sensibilisation des salariés, notamment dans certains secteurs comme l’industrie, l’agriculture et la construction, est indispensable afin que chacun puisse travailler en bonne entente.

Prendre en compte les salariés appareillés

« Contrairement à ce que l’on pourrait croire, un environnement sonore bruyant a de réelles répercussions sur une personne sourde ou malentendante », rappelle Marie-Pascale Stérin, gérante de Surdicité. Machine à café, imprimante ou ventilation du vidéoprojecteur sont autant de sons et de vibrations ressentis. « Ces salariés sont appareillés afin de communiquer au mieux avec les autres, poursuit Marie-Pascale Stérin. L’appareil va amplifier tous les sons – voix et bruits ambiants. Toutes ces données sonores vont demander davantage de concentration de la part du salarié, notamment pour comprendre la parole des autres. » Un effort qui va générer une fatigue importante, du stress et de l’anxiété. « Les collègues non appareillés peuvent se demander pourquoi la personne fait répéter plusieurs fois son interlocuteur, et certains peuvent s’en agacer. La méconnaissance de la surdité peut engendrer un repli sur soi chez la personne malentendante », constate Marie-Pascale Stérin. Lors de séances de jeux de rôles organisées par Surdicité, managers et salariés sont munis de bouchons d’oreilles. « La prise de conscience est immédiate quand ils voient l’effort à fournir pour comprendre l’entourage », note Marie-Pascale Stérin. Avec les amplificateurs, une deuxième prise de conscience a lieu : trop de sons arrivent aux oreilles. Pour le bien-être de ces salariés, il est nécessaire d’aménager la pièce. Ils ne doivent pas être dos à la porte, ce qui les oblige à rester à l’affût, mais ils doivent être face à leur environnement de travail et tourné vers leurs collègues. En réunion, il s’avère crucial de respecter la parole de chaque participant afin que la discussion soit correctement suivie. Et le niveau sonore de l’environnement de travail doit être pris en compte en amont. « Le poste de travail doit être pensé avec le salarié, explique l’architecte Laurent Duquesne, lui-même atteint de surdité depuis la naissance. Les pièces de transit sont à bannir. L’idéal est un bureau de 50 m2 maximum, composé de deux personnes, pour pouvoir converser. La pièce doit être fermée avec des panneaux de verre, afin d’avoir un visuel depuis l’extérieur. Les matériaux qui absorbent les sons sont à privilégier. » Avec l’âge, certains employés sont confrontés à ce handicap. « Beaucoup de personnes ont des troubles auditifs, mais elles ne s’en rendent pas compte ou elles le cachent, constate Arnaud Porte, directeur du pôle « Mieux vivre au quotidien », de la Fondation pour l’audition. Le handicap peut être nié par la personne. » La médecine du travail ou l’infirmière peuvent accompagner le salarié afin qu’il soit appareillé ou orienté vers un poste plus adapté. Mais, selon Arnaud Porte, les lacunes des entreprises sont encore conséquentes dans ce domaine.

Auteur

  • Valérie Auribault