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Des solutions à inventer pour les plus fragiles

À la une | publié le : 01.02.2019 | Lucie Tanneau

Dans un contexte d’aide à l’accès ou au retour à l’emploi généralisé, les plus fragiles, les non-diplômés ou les chômeurs de longue durée, bénéficient de dispositifs dédiés. Mises en place par les services publics, par les entreprises d’insertion ou par des associations, ces mesures d’accompagnement sont, en réalité, en phase de test permanent.

Handicap physique, handicap social, manque de qualification initiale ou absence de mobilité… certaines situations compliquent l’accès ou le retour à l’emploi. Depuis 2008, la dégradation des conditions d’emploi touche les populations les plus fragiles. En 2014, le Conseil d’orientation économique estime ainsi que 2,2 millions de personnes en France sont « durablement éloignées de l’emploi ». Parmi elles, les jeunes (avec un individu sur cinq entre 15 et 24 ans au chômage, selon l’Insee), les ouvriers non qualifiés (plus d’un sur cinq sont privés d’emploi), ou les non-diplômés (le taux de chômage des sans-diplôme, CEP et brevet, est de 18 %). Pour eux, les politiques de l’emploi prévoient un accompagnement spécifique. « Le problème du chômage, c’est l’isolement, et l’isolement se renforce quand on est au chômage depuis longtemps : retrouver une vie sociale prend plus de temps et la personne perd confiance », souligne Vincent Godebout, délégué général de Solidarité nouvelle face au chômage. Au sein de l’association, des bénévoles accompagnent les chômeurs de longue durée pour leur permettre de s’exprimer et de retrouver un projet, en les aidant à faire valoir leurs compétences. En moyenne, les personnes mettent neuf mois à trouver un emploi avec cet accompagnement individualisé, sans jugement, qui permet, par groupes de trois (un accompagné, deux accompagnants), de retrouver une sociabilité. Quatre mille personnes sont ainsi accompagnées par an. « Nous sommes un laboratoire, loin de la masse de personnes que doit gérer Pôle emploi », reconnaît Vincent Godebout, tout en plaidant pour un « grand service de l’emploi » qui rend plus visibles tous les dispositifs existants sur les territoires.

Car aujourd’hui, particulièrement pour les plus fragiles, les dispositifs d’accompagnements sont nombreux et différents selon les régions, en fonction des entreprises ou des associations présentes. Depuis les années 1970, de nombreuses entreprises d’insertion par l’activité économique se sont notamment développées. Elles ont été reconnues par le Code du travail en 1998. Quatre types de structures spécialisées, subventionnées par l’État, existent : les entreprises d’insertion (EI), les associations intermédiaires (AI), les entreprises de travail temporaire d’insertion (ETTI), et les ateliers et chantiers d’insertion (ACI) – de loin les plus nombreux puisqu’ils représentent presque la moitié des 3 700 établissements conventionnés au titre de l’insertion par l’activité économique (IAE). Ces mises en situation d’emploi sont encouragées par beaucoup d’acteurs. C’est le cas notamment d’Hervé Fernandez, le directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (Ancli). En France, 10,5 millions de personnes, qui ont pourtant été scolarisées, n’arrivent pas à faire une démarche, seules, sur le site de Pôle emploi. « 10 % des demandeurs d’emploi sont en situation d’illettrisme », relève même l’Ancli.

Investir dans les compétences de base.

« Cela appelle à un accompagnement particulier, à une prise de conscience et au développement de nouveaux outils », défend Hervé Fernandez, qui demande notamment qu’une partie de l’argent économisé, grâce à la digitalisation des services de l’emploi, soit réinvestie dans l’accompagnement physique de ces personnes. « Il faut investir dans les compétences de base : dire à quelqu’un qui est allé à l’école à Verdun qu’il doit prendre des cours de langue française ne fonctionne pas, puisqu’il s’exprime en français. On doit parler de compétences de base pour faire des propositions de formation. » Plus de la moitié des personnes en situation d’illettrisme ont un emploi : Hervé Fernandez milite pour les accompagner en amont. « S’ils perdent leur travaille, la situation sera beaucoup plus compliquée : aujourd’hui, pour décrocher un poste de cariste, il faut un permis, dont une partie relève de la théorie. Quelqu’un qui a fait ce métier toute sa vie, mais qui perd son emploi, devra le passer et butera sur l’écrit », explique-t-il dans le but de prévenir les risques de déclassement et d’encourager ces personnes à gérer leurs avoirs professionnels, à passer des certifications, à garder leur poste et à arrêter les stratégies d’évitement qui leur font même refuser des promotions. Dans le bâtiment, l’Ancli teste donc une expérimentation depuis cinq ans, « Apprendre autrement par le travail », qui permet d’ancrer les acquisitions des personnes en situation réelle de travail.

Quel rôle pour les entreprises ?

Pour Vincent Godebout, de Solidarité nouvelle face au chômage, accompagner les personnes les plus éloignées de l’emploi passe aussi par les entreprises. « Un recruteur de 35 ans peut hésiter à prendre quelqu’un de l’âge de son père par crainte de ne pas savoir le manager, ou qu’il ait des problèmes de santé, d’adaptation… On doit changer les représentations des employeurs », soutient-il. Nespresso France s’est engagé dans cette voie. « Les entreprises ont une responsabilité sociétale pour développer l’employabilité des jeunes », insiste Hélène Gemahling, la DRH France du groupe. Elle a ainsi signé plusieurs partenariats avec des associations pour accompagner des décrocheurs de la sixième à la troisième1, des jeunes de la mission locale de Paris dans la préparation de leur CV et de leurs entretiens2, ou dans la découverte de la relation client, et pour accueillir des collégiens en stage pendant une semaine3. « Cela permet à nos collaborateurs volontaires de s’investir dans la société, poursuit la DRH. On ne se substitue pas à Pôle emploi, mais on offre une passerelle vers le monde de l’entreprise. Je pense que cela peut aider. Les collaborateurs ne doivent pas être déconnectés du monde qui les entoure. Et pour ces jeunes, dont l’accès à l’emploi est compliqué de par leur environnement social ou familial, cela offre un premier contact avec l’entreprise et ses codes, que certains ne connaissent pas. » Nespresso France a également développé un partenariat avec l’association Wake up café pour aider à la réinsertion de personnes à la sortie de prison avec des ateliers de préparation aux entretiens ou à la découverte de la relation client.

L’accompagnement est aujourd’hui intégré à tous les dispositifs. Dans le plan pauvreté, présenté en septembre dernier par Emmanuel Macron, l’engagement numéro 5 défend l’autonomie par le travail et « refuse de considérer une partie des concitoyens comme inemployables ». « Depuis la crise de 2008, la dépense pour l’allocation du RSA a progressé de 80 %, quand la somme moyenne allouée à l’insertion reculait de près de 40 % et que se sont creusées les inégalités entre les départements en matière d’accompagnement », note le ministère des Solidarités et de la Santé. Ce dernier met en place un « droit à l’accompagnement » pour tous les allocataires du RSA avec deux mesures phares : la garantie d’activité combinant accompagnement social renforcé et insertion dans l’emploi pour 300 000 allocataires par an, et l’accueil de 100 000 salariés supplémentaires (+ 30 %) dans le secteur de l’insertion par l’activité économique. « Ces personnes ont désormais le devoir d’être accompagnées pour bénéficier des fonds publics : elles n’ont pas choisi », met en garde Maëla Paul, spécialiste de la notion d’accompagnement en France. Alors que la volonté de la personne accompagnée est un prérequis mis en avant par les professionnels de l’accompagnement, ce conditionnement des aides pourrait fausser la coconstruction du projet.

« Aujourd’hui, on a pris conscience que l’accompagnement devait rompre avec les anciennes méthodes qui ont produit de l’assistanat, nuance cependant la chercheuse. Ce n’est pas en coupant les aides, mais en mettant en place un travail éducatif de long terme, que l’on peut réellement accompagner les personnes. Les formations dans le travail social, pour mieux orienter les personnes et les amener à l’autonomie, se sont bien développées. »

La formation plébiscitée.

Car l’accès à la formation est l’un des incontournables, ou presque, de l’accompagnement vers l’emploi. C’est le pari fait depuis près de dix ans et renforcé avec le plan d’investissement compétences (PIC) cette année, qui vise particulièrement les Neets, ces jeunes de 15 à 24 ans ni en emploi ni en formation (« neither in employment nor in education or training »), et les chômeurs les plus éloignés de l’emploi. « Non seulement ils sont plus touchés par le chômage, mais les métiers qu’ils occupaient parfois sont les plus menacés par la robotisation, et ils ont peu recours à la formation », justifie Jean-Marie Marx, le haut-commissaire aux compétences et à l’inclusion par l’emploi. Pourtant, si certaines portes d’accès à des dispositifs peuvent être synonymes d’étiquette à porter ou de couperet qui tombe, elles offrent aussi la garantie d’un accompagnement réel. C’est le cas de la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé (RQTH). Alors que le taux de chômage des personnes handicapées est de 19 % – soit plus du double de la population globale – et que le handicap est la première source de discrimination au travail, selon le Défenseur des droits, la RQTH peut faciliter le recrutement dans certaines entreprises qui y sont sensibilisées. Elle permet surtout une adaptation de postes aux personnes en emploi, ce qui constitue aussi une forme d’accompagnement vers l’emploi durable. « Cette reconnaissance officielle peut faciliter la recherche d’emploi, mais elle favorise surtout la prise en compte du handicap dans l’environnement professionnel de la personne », confirme Dominique Le Douce, directeur des actions associatives de l’Association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (Adapt), dans la revue « Rebondir » en novembre 2018.

Si « toute personne doit pouvoir être accompagnée », selon Vincent Godebout, de Solidarité nouvelle face au chômage, la situation varie en fait considérablement d’un territoire à l’autre, en fonction des associations existantes, de la mobilité des personnes, des besoins des entreprises… Dans le monde rural, l’accès à la formation est plus compliqué. Hors des concentrations d’entreprises, l’inadéquation des compétences est un frein supplémentaire à la recherche d’emploi. Quand une ouvrière textile des Vosges perd son poste, c’est tout un engrenage qui se met en marche. Les employeurs du secteur, dont le nombre a considérablement diminué depuis trente ans, ne cherchent plus ces compétences spécifiques. Et pour l’ouvrière, retrouver un poste dans un autre domaine s’avérera compliqué. En cause : les compétences d’une part, mais aussi la représentation des employeurs. Depuis 2014, Pôle emploi et l’Assemblée des départements de France (ADF) ont signé un protocole d’accompagnement pour ces demandeurs d’emploi en situation de précarité : il s’agit de « l’accompagnement global ». Concrètement, Pôle emploi continue de suivre les demandeurs d’emploi dans leurs recherches, tandis que les Départements aident ces derniers en cas de difficultés sociales (logement, mobilité…). 56 % des chômeurs entrés dans ce dispositif en avril 2015 ont obtenu un poste dans les douze mois. En 2017, 120 000 personnes ont bénéficié d’un accompagnement global, selon le rapport annuel de Pôle emploi. Le service public de l’emploi pourrait aussi bientôt fusionner avec les missions locales, même si le Gouvernement ne parle encore que d’« expérimentation dans les missions locales volontaires ». Sur le terrain, des réticences se font jour. Reste que l’idée de départ prône une nouvelle fois un accompagnement au plus près des demandeurs et souhaite faciliter l’accès aux dispositifs d’accompagnement existants, pour tous ceux qui en ont le plus besoin.

(1) Énergie jeunes.

(2) La Cravate solidaire.

(3) Un stage et après, USEA.

Auteur

  • Lucie Tanneau