logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Des mesures efficaces mais coûteuses

À la une | publié le : 01.02.2019 | Gilmar Sequeira Martins

Les dispositifs d’accompagnement vers l’emploi affichent une efficacité diverse mais réelle. En favorisant leur généralisation et en leur fixant des objectifs toujours plus élevés, les pouvoirs publics risquent cependant de les détourner des personnes qui cumulent le plus de difficultés.

Initialement créés pour les jeunes sortant sans qualification du système éducatif, les dispositifs d’accompagnement vers l’emploi touchent désormais les bénéficiaires des minima sociaux, les demandeurs d’emploi de longue durée ou les licenciés économiques. Depuis une dizaine d’années, ces dispositifs ont aussi évolué vers plus d’individualisation et d’intensification, indique Philippe Zamora, directeur de projet à la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) : « Cela s’est traduit, sur le terrain, par un nombre plus important d’entretiens pour les jeunes qui accèdent aux missions locales et, à Pôle emploi, par la création de différents types d’accompagnement. »

Même s’ils ont été rejoints par d’autres publics, les jeunes décrocheurs sont l’une des cibles clés des politiques d’accompagnement vers l’emploi. La garantie jeunes, mise en œuvre par les missions locales, a ainsi été conçue pour favoriser leur insertion sur le marché du travail. Lancée à titre expérimental en octobre 2013, elle est devenue la modalité la plus soutenue du parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie (Pacea), créé par la loi du 8 août 2016. La garantie jeunes a été généralisée à partir de janvier 2017. Les jeunes de moins de 26 ans qui s’y inscrivent perçoivent pendant un an une allocation forfaitaire mensuelle pouvant atteindre 484 euros. En contrepartie, ils doivent suivre un parcours d’accompagnement qui revêt durant les premiers mois une dimension collective très marquée. Une véritable avancée par rapport à la formule antérieure, estime Jean-Patrick Gille, président de l’Union nationale des missions locales : « Cela permet d’enclencher plus facilement une dynamique de projet – ce qui est plus difficile quand une personne est seule – mais aussi de définir plus facilement un positionnement. »

La garantie jeunes a fait l’objet d’une évaluation rendue publique en février 2018. L’analyse, menée sur deux cohortes de jeunes, fait apparaître des résultats positifs. Ainsi, seize mois après l’entrée dans le dispositif, « la part des jeunes (…) dans les territoires pilotes qui sont en emploi est de 36,3 %, au lieu de 29,2 % si la garantie jeunes n’avait pas été introduite ». Le rapport indique cependant que « les résultats de la deuxième cohorte ne permettent pas de confirmer ces effets », notant que « les effets évalués sont non significatifs au sens statistique du terme ». Les auteurs en concluent que « le plus prudent est donc de ne tirer aucune conclusion pour cette deuxième cohorte ».

Un parcours semé d’obstacles.

Cet impact positif ne doit pas faire oublier les nombreuses difficultés encore à surmonter, rappelle cependant Philippe Zamora : « Beaucoup de jeunes n’ont pas les savoirs de base pour entrer en formation, y compris dans le domaine digital. Être jeune ne signifie pas être virtuose de la bureautique. Or, acquérir ces savoirs de base prend énormément de temps. » La question du logement peut aussi jouer un rôle clé dans les parcours de ces jeunes, dont beaucoup ne sont plus domiciliés chez leurs parents. Trouver un toit reste une problématique majeure qui prend le plus souvent le pas sur la recherche d’un emploi. S’y ajoutent souvent les contraintes de déplacement, particulièrement aiguës sur certains territoires. « La question des « compétences interpersonnelles » est aussi un point crucial, de même que la dimension psychologique, précise Philippe Zamora. Beaucoup de jeunes en grande précarité financière ont une faible estime d’eux-mêmes. »

À toutes ces difficultés se greffe la question des arbitrages. Sur certains territoires, le public concerné peut en effet hésiter entre la garantie jeunes et d’autres dispositifs. Le réseau des écoles de la deuxième chance (E2C) compte déjà 124 sites implantés dans douze régions. Le plan d’investissement compétences (PIC) a prévu de les soutenir avec un financement de plus de 10 millions d’euros. « Ce montant permettrait d’accueillir 6 000 jeunes de plus sur la période 2019-2022, avance Alexandre Schajer, président du réseau E2C. À terme, avec ces places supplémentaires, 18 000 à 19 000 jeunes devraient être accueillis chaque année. On se rapprocherait alors d’un volume potentiel estimé à 25 000. »

En matière d’accès à l’emploi, le réseau E2C affiche des résultats intéressants puisque 55 % des élèves trouvent un emploi (seuls les CDD supérieurs à deux mois sont comptabilisés) ou une formation qualifiante dès le jour de leur sortie. « Grâce à l’accompagnement individualisé post-formation, ce taux d’insertion des stagiaires progresse de six points en un an, portant le taux de sortie positive total à 61 % », précise Alexandre Schajer. Pour des jeunes, l’option peut s’avérer d’autant plus tentante qu’en intégrant une E2C, ils deviennent stagiaires de la formation professionnelle et perçoivent une rémunération mensuelle de 300 euros.

Harmoniser les rémunérations ?

Les écoles de production sont une autre option. Elles disposent encore d’une capacité d’accueil réduite (2 000 places), mais elles projettent de créer 75 nouveaux sites dans les dix prochaines années, dont 60 dans le domaine industriel. « Ce plan devrait porter à 100, en 2028, le nombre total d’écoles de production, qui accueilleraient alors 4 000 jeunes », selon Patrick Carret, directeur général de la Fédération des écoles de production. S’ils ne perçoivent aucune rémunération du fait de leur statut scolaire, les élèves de ces établissements peuvent cependant envisager sereinement leur insertion professionnelle. « Nous avons un taux de réussite aux examens supérieur à 90 %, détaille Corentin Rémond, délégué général. Le taux d’accès à l’emploi est quasiment de 100 %, soit directement (dans 55 % des cas), soit après une formation complémentaire (dans 45 % des cas). » Pour faciliter les arbitrages auxquels doivent procéder les jeunes, il convient de se pencher sur les différentes allocations et de les clarifier, estime Jean-Patrick Gille : « Aujourd’hui, un jeune qui bénéficie d’une mise en situation de travail reste dans le dispositif garantie jeunes, mais c’est moins clair pour un départ en formation longue. Peut-être faut-il mettre les rémunérations au même niveau pour éviter ce processus d’arbitrage. » Indépendamment de tous ces obstacles, il faut aussi prendre en compte d’autres facteurs. Pour Bernard Gomel, chercheur associé au Centre d’études de l’emploi et du travail (Ceet) du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), « puisque la formation obtient des bons résultats en matière d’insertion, il faudrait l’ajouter dans tous les dispositifs d’insertion professionnelle ». Après avoir étudié l’accompagnement et les trajectoires d’insertion des jeunes bénéficiaires du Civis (contrat d’insertion dans la vie sociale), il reconnaît que ce dispositif « améliore sensiblement l’insertion professionnelle des jeunes les plus en difficulté ». Pour autant, sa généralisation lui semble inutile : « Si celle-ci consiste à élargir le public initial, les performances des dispositifs d’accompagnement baisseront, dans la mesure où la situation générale de l’emploi restera la même. On n’aura fait que déplacer les chances d’accès à l’emploi. »

Généraliser, une fausse bonne idée ?

Enfin, le dernier sujet que pose l’accompagnement est le mode de rémunération des opérateurs. « Le niveau de financement est désormais de plus en plus indexé sur le taux de retour à l’emploi des publics traités, indique Jean-Marie Pillon, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine. Aujourd’hui, à Pôle emploi, le taux de retour à l’emploi figure dans les évaluations de la hiérarchie, même s’il n’a pas d’impact sur les rémunérations. » Hormis cet effet qu’il estime « structurant sur l’organisation du travail », rémunérer les opérateurs – même partiellement – en fonction du taux de retour à l’emploi avec des contrats renouvelés régulièrement, tous les deux ou trois ans, a une conséquence bien plus préoccupante. « Les opérateurs seront tentés d’entrer dans une logique d’écrémage et d’aller chercher, parmi les publics cibles, les personnes qui disposent du niveau d’employabilité le plus élevé. » Le but initial de l’accompagnement se trouve alors dévoyé et fait surgir des situations paradoxales : « Une personne bien qualifiée, mais qui a un problème de logement, sera défavorisée au profit d’une autre avec une formation moindre, mais qui est sur un segment de marché, maître-chien par exemple, où le taux de retour à l’emploi est meilleur », note Jean-Marie Pillon.

Reste que la dynamique d’accompagnement réduit les chances des personnes aux prises avec les plus grandes difficultés. « Il y a des personnes laissées dans la nature, appelées dans le jargon de l’accompagnement les « cumulards », qui « cumulent » des problèmes de logement, des enfants en bas âge, l’absence de permis de conduire – qui ont donc beaucoup de mal à trouver des dispositifs susceptibles de les prendre en charge », constate Jean-Marie Pillon. En bout de course, l’efficacité des démarches achoppe toujours sur la même réalité, constate Philippe Zamora : « Actuellement, il est impossible de trouver rapidement un emploi à tous ceux qui le souhaitent. Le contingent de jeunes arrivant sur le marché est supérieur au nombre de créations d’emploi. » Pour autant, selon lui, l’accompagnement « constitue un filet de sécurité pour permettre d’éviter une exclusion durable du marché du travail ». Cet intérêt peut finalement paraître limité. « La vraie difficulté, c’est que la reprise économique amène les publics à faire un arbitrage en faveur de l’intérim ou des CDD au détriment des formations », constate David Margueritte, président de la commission emploi et formation professionnelle de Régions de France. Malgré l’évolution des dispositifs, l’accompagnement vers l’emploi reste toujours un chantier ouvert.

PSE : quel retour à l’emploi ?

Les personnes touchées par des licenciements économiques dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) font aussi l’objet d’un accompagnement renforcé, à travers le contrat de sécurisation professionnelle (CSP). Dans le cas de restructurations très « impactantes », le ministère du Travail peut mettre sur pied des cellules d’appui à la sécurisation professionnelle (CASP), qui ont « vocation à préparer l’entrée en CSP et qui peuvent comporter un volet d’appui psychologique pour traiter les effets négatifs liés à un arrêt brutal de l’activité de l’entreprise ». En 2017, il en a financé 36 qui ont accompagné 2 800 personnes. Sur la base des 1 300 bilans de PSE analysés depuis 2013, le ministère du Travail constate que 15 % des personnes licenciées retrouvent un emploi grâce au reclassement interne et que 40 % signent un contrat après un congé de reclassement ou un CSP, dont 70 % en CDI, « chiffre d’autant plus significatif que 85 % des offres d’emploi sont en CDD ou en intérim ».

RSA : d’autres urgences avant l’emploi

Les bénéficiaires du RSA apparaissent, eux aussi, particulièrement handicapés dans la perspective d’un retour à l’emploi. « Ce ne sont pas des « actifs » au sens où ils ne recherchent pas activement un emploi », constate Bernard Gomel, coauteur, avec Anne Eydoux, de « Apprendre (de l’échec) du RSA, la solidarité active en question », paru aux éditions Wolters Kluwer, collection Liaisons Sociales. « Dans deux tiers des cas, ils sont écrasés par des difficultés liées à l’exclusion sociale, par des charges familiales, des problèmes de santé, ils ont de grandes difficultés à se déplacer. Leur préoccupation première n’est pas l’emploi. Il leur faudra régler bien d’autres problèmes avant que ne se pose la question de l’emploi. » Pour autant, ce dispositif d’accompagnement spécifique enregistre des résultats. « L’accompagnement global pour les bénéficiaires du RSA permet d’enregistrer une hausse de 3 points du taux d’entrée en emploi, soit un gain de 20 % par rapport au taux d’emploi sans accompagnement », note Philippe Zamora, de la Dares.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins