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Idées

Vœux (juridiques) pour 2019

Idées | Juridique | publié le : 01.01.2019 | Jean-Emmanuel Ray

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Vœux (juridiques) pour 2019

Crédit photo Jean-Emmanuel Ray

Non, non, on ne parlera ni du prélèvement à la source, ni des « gilets jaunes ».

Mais notons toutefois que :

1. Les « Cinquante nuances de jaunes » de décembre dernier ont démontré l’intérêt très concret d’avoir des « représentants » pour négocier une sortie de crise, par ailleurs vraiment « représentatifs » pour qu’elle soit suivie d’effets.

2. Si la soutenabilité environnementale est à l’évidence un sujet essentiel, la soutenabilité humaine de nombre de métiers mérite aussi considération.

Mais venons-en à nos trois vœux !

Vœu n° 1. Halte au feu !

Après les ordonnances du 22 septembre 2017, la loi de ratification du 29 mars 2018 qui en a parfois modifié le contenu, puis celle du 5 septembre 2018 – et sans même évoquer la loi Pacte devant une nouvelle fois « impacter » le droit du travail – il est temps de laisser du temps aux partenaires sociaux pour s’approprier ces nouvelles règles. Entre les nouvelles articulations accord d’entreprise/convention de branche et la montée en puissance du CSE, qui n’est pas simplement la fusion des instances existantes, un ou deux ans de calme ?

Vœu n° 2. L’effet utile du Big Bang du CSE unique

Dans la majorité des entreprises françaises, l’année 2019 sera celle des élections pour l’unique Comité social et économique (CSE) : tout doit être bouclé avant le 1er janvier 2020. Au-delà de la campagne électorale propice aux surenchères sur le marché des voix, mais aussi du nombre des mandats parfois en chute libre, l’angoisse est réelle des deux côtés.

Car sur les scores eux-mêmes, souvent, rien ne se passe comme prévu. Ainsi, à la SNCF, le score final de chacun reste presque inchangé suite aux élections du 22 novembre 2018, alors que tout le monde pensait que l’équilibre syndical allait être bouleversé après l’échec de la grève-parenthèse de plus de trois mois, suivie par l’implosion de l’intersyndicale. À la RATP, au contraire, lors du scrutin du 29 novembre 2018, la participation a chuté de 20 % ; et SUD, qui avait obtenu 15,4 % en 2014, va devoir quitter la table des négociations suite à la présentation de deux listes concurrentes ayant fait 8,95 % et 3,27 % Mais l’essentiel est ailleurs en 2019, car l’enjeu dépasse de très loin l’habituel protocole d’accord préélectoral. Il s’agit de fixer (de facto, pour longtemps) le périmètre des établissements distincts, et surtout les nouvelles règles du dialogue social. Accessibles sur le site du ministère du Travail, les accords récemment signés montrent trois groupes :

• premier groupe, les nombreuses entreprises où, dans un grand consensus tacite sur le très formaliste et ronronnant écosystème politique et social antérieur, le Comte de Lampedusa règne en maître : « Tout changer, pour que tout reste comme avant. » Les (nécessaires) « représentants de proximité » ressemblent aux anciens délégués du personnel, et, dans les entreprises de plus de 300 salariés, la nouvelle Commission, santé, sécurité et conditions de travail au défunt CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), même si elle n’a plus la personnalité morale et reste donc dans la main du CSE ;

• deuxième groupe, opposé au premier : les entreprises voyant l’immense intérêt de pouvoir refonder leurs relations sociales, donc l’intérêt d’une vaste remise à plat. Après un état des lieux paritaire sans concession sur les forces, les faiblesses et le formalisme du fonctionnement antérieur, l’accord sur le passage à l’unique CSE permet de faire du sur-mesure1 : créer une instance adaptée à l’entreprise en cause et à son secteur d’activité, tant sur le plan des moyens que des compétences du CSE. Favoriser « un dialogue social efficient, agile et proche », indique l’accord Renault du 17 juillet 2018. Les six accords signés le 12 octobre 2018 dans le groupe Airbus évoquent, pour leur part, une « pierre angulaire », celle « [relative] à la refondation du dialogue social ». Avec parfois en contrepartie un généreux accord sur le droit syndical, cet entre-soi n’étant pas toujours apprécié par le reste du personnel.

Ici, des « désignés de proximité » au mandat à durée limitée, là des « représentants de vie sociale » eux aussi désignés, délégués supplémentaires, heures de délégation, subventions en hausse… Mais aussi reclassement des futurs ex-représentants, et construction de parcours favorisant les allers-retours entre prise de mandat et vie professionnelle. Pour que ces délégués restent en phase avec l’entreprise et les aspirations de leurs mandants, mais aussi pour attirer de jeunes collaborateurs légitimement soucieux de ne pas couler leur carrière. Cette fluidité permet enfin de ne pas les pousser à la radicalisation ;

• troisième groupe : la même mise à plat, mais basée sur les dispositions supplétives de l’ordonnance du 22 septembre 2017. Il s’agit alors de réduire le coût du dialogue social, un coût parmi d’autres. Au-delà de certaines entreprises publiques à l’extrême générosité au fil des conflits et revenant simplement dans la norme, moins de représentants du personnel (donc de salariés protégés), de réunions, d’heures de délégation, d’experts, etc. Politique comptable se révélant littéralement « payante » à court terme, mais plombant les négociations des années à venir tout en se méprenant sur les bénéfices du dialogue social.

Vœu n° 3. Que les juges appliquent sans tarder les réformes

Dans l’intérêt des salariés comme des entreprises, la chambre sociale de la Cour de cassation doit prendre rapidement position sur les questions essentielles. Elle va avoir du travail, ces nouveaux textes donnant nécessairement lieu à contentieux.

D’abord, les litiges individuels devant les conseils de prud’hommes. Problème : renouvelés en janvier 2018, 8 107 des 13 482 conseillers désormais désignés n’ont encore jamais siégé. Or, ils vont se prononcer sur des textes n’ayant pas encore fait l’objet d’une interprétation de la Cour de cassation, et rarement des cours d’appel. L’année prud’homale 2019 pourrait donc être assez mouvementée. Pour éviter d’attendre 2020 ou 2021 pour avoir l’interprétation de la chambre sociale, les questions posées « étant nouvelles et se positionnant dans de nombreux litiges », il serait utile que les juges saisis relancent la « demande d’avis », la Cour de cassation ayant alors trois mois pour se prononcer.

Même idée côté contentieux collectif. Le contentieux de la désignation (tribunal d’instance, pas d’appel possible, mais pourvoi en cassation) ou des attributions du CSE (tribunal de grande instance) va partir en flèche. Alors, deux sous-vœux.

1. Que la Cour de cassation ne tombe pas dans le travers naturel du spécialiste : le « magnifique arrêt » réjouissant par son extrême finesse technique les éminents collègues magistrats et quelques professeurs de droit, mais un « solublème » (solution posant davantage de problèmes que le problème qu’elle est censée résoudre) pour les praticiens ou pour les partenaires sociaux chargés de le mettre en œuvre.

Deux exemples récents touchant les si sensibles élections professionnelles :

• la fragilisation du vote électronique, avec l’arrêt du 3 octobre 2018 annulant des élections car deux salariées avaient confié leur clef de vote à une troisième, alors que cette irrégularité ne modifiait en rien le résultat final ;

• l’application rigide de la proportionnalité hommes/femmes le 9 mai 2018 : l’exigence de parité/proportionnalité des listes étant d’ordre public absolu, l’élection encourt la nullité.

« La perfectitude n’est pas ce monde », aurait dit une ancienne ministre.

2. Que la chambre sociale ne retombe pas dans ses erreurs passées, quand elle était devenue acteur du social en confondant parfois légalité et légitimité. Dans une démocratie, si une règle paraît inadaptée voire injuste, c’est au Parlement de la modifier, et non à l’autorité judiciaire de « résister ». Deux exemples :

• le nouveau barème légal visant les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse : la chambre sociale peut le vider de son sens en ouvrant très larges les portes du déplafonnement ;

• en matière d’accord d’entreprise, pour favoriser l’innovation sociale, le législateur de 2017-2018 a fait le choix de la confiance dans les partenaires sociaux. Au-delà des règles d’ordre public (discrimination, santé), il n’appartient donc pas au juge de contrôler la légitimité, voire l’opportunité, de leurs choix : en cas de PSE négocié, de ruptures conventionnelles collectives ou d’accord de performance collective.

On espère donc qu’un peu échaudée, la Cour de cassation ne réitérera pas l’irruption de l’éléphant Pain (CS. 1er juillet 2009) dans le magasin de porcelaines d’accords collectifs à l’équilibre global millimétré, résultat d’une négociation collective avec des syndicats représentatifs, concrétisée par un accord collectif nécessairement majoritaire. Mais qu’elle s’en tiendra plutôt à sa doctrine de confiance dans les partenaires sociaux initiée dans son revirement du 27 janvier 2015. Pour en éviter d’autres.

Erratum

La chronique du mois dernier (LSM n° 197) a été attribuée par erreur à Jean-Emmanuel Ray. Pascal Lokiec en était l’auteur. Nos excuses à nos lecteurs et aux intéressés.

(1) L’association des étudiants du master 2 « Développement des ressources humaines et droit social » de Paris 1 organise à la Sorbonne le vendredi 29 mars 2019 une conférence : « Comment construire un CSE idéal car adapté ? ». Renseignements : https://www.facebook.com/m2drh.sorbonne

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray