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Idées

La transparence salariale a-t-elle un sens ?

Idées | Débat | publié le : 01.01.2019 |

Les députés ont approuvé en octobre dernier un amendement au projet de loi Pacte obligeant les entreprises cotées à publier les écarts entre la rémunération de leurs dirigeants et les salaires moyens et médians de leurs salariés. Certains députés voulaient aller plus loin, avec la publication des écarts par quartiles. Notion jugée trop absconse, voire invasive par d’autres… Face aux crispations sur le pouvoir d’achat, que vaut cette transparence ? Question que l’on peut aussi poser autrement…

Laurence Bourgeois : HR and Training & Development Manager du laboratoire Novo Nordisk.

Avec les mesures annoncées à la rentrée visant à rendre transparents au sein des entreprises les salaires moyens, nombreuses sont celles qui se posent la question de communiquer ouvertement sur leur politique de rémunération, et plus spécifiquement sur les salaires. Si, à mon sens, une politique globale de rémunération, parce qu’elle vise avant tout à assurer la compétitivité de l’entreprise ainsi que l’équité interne, a tout intérêt à être communiquée (dans un souci de compréhension des collaborateurs et d’appropriation par l’ensemble des managers), la question est plus délicate quand il s’agit des salaires. En effet, évoquer son salaire reste un sujet tabou en France. Ce qui n’est pas forcément le cas dans les pays anglo-saxons, où il semble moins gênant de déclarer combien l’on gagne. Il est vrai que la transparence impose la plus grande vigilance, car elle peut facilement alimenter les discussions de couloir et faire l’objet de comparaisons incessantes entre les collaborateurs. Afin que la motivation soit maintenue, ce qui, au demeurant, constitue l’un des objectifs recherchés par toute politique de rémunération attractive et compétitive, la transparence doit s’assortir d’une communication précise, qui ne supporte aucun écart à la règle. Un autre point de vigilance concerne les évolutions de marché de certains postes d’une année sur l’autre, qui peuvent susciter de l’incompréhension de la part des équipes. Je pense qu’une organisation doit être suffisamment mature, notamment au niveau managérial, afin d’accueillir la transparence salariale. Elle nécessite en effet d’accepter que certains collègues gagnent davantage, parce qu’ils n’ont pas le même poids de poste, le même impact sur le business, le même historique. Elle est bénéfique si elle conduit à se poser la question suivante : comment faire (développement de compétences, bifurcation sur d’autres passerelles métiers…) pour augmenter ma rémunération ?

Alain Godbille : consultant associé, cabinet de recrutement Hapi Conseil.

La transparence salariale est de plus en plus dans l’air du temps, et ce pour plusieurs raisons. Déjà, parce que les managers peuvent trouver de l’information, même partielle, via les données de « Compensation & Benefits » et les enquêtes de rémunérations sectorielles, mais aussi parce que les partenaires sociaux et les salariés ont la possibilité d’étudier les bilans sociaux, et enfin, parce que l’on sait que les nouvelles générations, qui se renseignent auprès de plateformes sur le niveau de salaire dans un secteur, l’exigent. Toutefois, si la transparence salariale est vertueuse, puisqu’elle tend à lever les soupçons que les salariés pourraient nourrir envers l’entreprise, nombre d’éléments peuvent influer mécaniquement sur les disparités dans une même fonction : doubles formations, compétences rares, mobilités inter-entreprises, niveaux de séniorité, de package antérieur, marge de négociation à l’embauche ou succession de CDD (phénomène qui touche davantage les femmes que les hommes). Ainsi, un jeune ingénieur en informatique qui entre dans une entreprise pourra être mieux rémunéré qu’un collaborateur déjà en poste. D’autant que le simple fait de changer d’employeur apporte généralement une augmentation. Est-ce juste ou injuste ? Difficile à dire. Reste enfin, au-delà du salaire de base, que les bonus sont des éléments encore plus difficiles à gérer au niveau de la communication pour les RH, du fait des aspects « subjectifs » qu’ils peuvent comporter, en plus des objectifs atteints… L’entreprise parle d’équité, tandis que les collaborateurs, eux, sont en quête de justice personnelle. Quoi qu’il en soit, et malgré les écueils, la transparence salariale, et plus largement, la question culturelle sur les rémunérations, est un mouvement historique sur lequel les entreprises jouent leur réputation, alors autant qu’elles s’en emparent…

Sébastien Damart : Professeur à l’université Paris-Dauphine, chercheur (UMR CNRS) et responsable de l’équipe de recherche M-Lab.

Je suis assez sceptique sur cette idée de transparence salariale, qui n’est pas nouvelle, puisque quelques entreprises – rares, il est vrai – la pratiquent, sous des formes diverses, depuis plusieurs dizaines d’années. Surtout, je ne suis pas vraiment convaincu par l’argument sous-jacent qui consiste à dire que la transparence fera forcément changer les pratiques… Au contraire, elle pourrait même servir à confirmer certaines idéologies de la part de quelques parties prenantes dans l’organisation, voire à créer de nouveaux fantasmes. Sans oublier que la publication des écarts de salaires pourrait avoir un effet réducteur, ayant tendance à simplifier une situation complexe. En effet, la fixation d’un salaire dépend d’éléments aussi variés que le contrat, la négociation individuelle, le métier ou encore le marché, le pays… Autant dire que cette transparence, voulue sans doute à la suite de quelques affaires retentissantes sur le salaire de certains patrons et dont l’objectif était d’apporter une certaine pression et donc une certaine responsabilité sociale, est, de mon point de vue, davantage de nature à créer de la défiance que de la confiance ! Aussi, la transparence salariale pourrait engendrer des situations où les ressources humaines se sentent « affranchies » d’efforts à consentir dans d’autres domaines. Ainsi, pour créer de la confiance – et donner des perspectives à leurs collaborateurs – il serait plus opportun pour les entreprises d’être transparentes sur d’autres aspects RH, tels que la gestion des talents, la mobilité ou encore l’offre de parcours, que sur les salaires.

Ce qu’il faut retenir

// Casse-tête : emmenés par Oxfam, 86 députés, dont Matthieu Orphelin, élu LREM (Maine-et-Loire), avaient publiquement soutenu l’idée de demander aux entreprises de plus de 1 000 salariés de publier dans leur rapport annuel les écarts de rémunération par seuil de 25 % pour chaque pays dans lesquels elles sont présentes. Mais ces fameux quartiles (le premier étant le salaire au-dessus duquel se situent 75 % des salariés), présentés comme une photographie plus fine de la situation, ont non seulement été considérés par certains comme incompréhensibles du grand public – et des journalistes, disait-on dans l’entourage de Matthieu Orphelin – mais en plus, ils auraient révélé des « informations essentielles sur les entreprises pouvant porter atteinte à leur compétitivité », affirmait Coralie Dubost (LREM), co-rapporteure du projet de loi Pacte. Matthieu Orphelin a abandonné l’idée.

// Ailleurs : passée à l’origine pour défendre l’égalité salariale femmes/hommes, la loi allemande, en vigueur depuis juillet 2017, stipule que les employés de sociétés de plus de 200 personnes peuvent demander à leur employeur sur quels critères leur salaire est fixé, de même que combien gagnent les salariés de l’entreprise dans des fonctions similaires. Des informations sur les écarts médians sont également prévues par le texte.

En chiffres

70 %

C’est le pourcentage de Français favorables à la publication des écarts de salaires par niveau dans les grandes entreprises, selon un sondage Harris Interactive pour Oxfam, l’ONG de lutte contre la pauvreté que dirige aujourd’hui Cécile Duflot. Par ailleurs, les trois quarts des Français ont le sentiment que les écarts de salaires sont aujourd’hui trop larges dans les grandes entreprises.

Source : www.oxfamfrance.org

70 fois

Selon le Global CEO Pay Index compilé par l’agence d’informations Bloomberg et publié en fin 2017, les patrons du CAC 40 gagnent 70 fois plus que le revenu moyen français annuel, qui s’élevait à 39 474 dollars (soit 34 800 euros selon le cours actuel). Avec un revenu moyen annuel de 2,75 millions de dollars, les patrons français sont classés 15e au palmarès des rémunérations.

Source : www.lefigaro.fr