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Un gros chantier pour les RH

Dossier | publié le : 01.01.2019 | Judith Chétrit

La santé et la sécurité au travail peinent à dépasser les obligations réglementaires et légales. Pourtant, certaines maladies, comme les troubles musculosquelettiques (TMS), restent en constante augmentation. Quant à la prévention primaire, qui vise à anticiper des sources possibles de pathologies en réfléchissant à l’organisation du travail, elle souffre d’un déficit d’attention et de financement. La tendance lourde est encore au curatif.

Bien que le leader mondial de la chimie Solvay ait observé une baisse des accidents de travail, la direction du groupe a demandé à ses salariés de faire remonter les cas dans lesquels des accidents ont été frôlés sur des sites de production. Une remontée d’information dépendante du bon vouloir et de la collaboration des employés. Plus récemment, les médecins du travail en France et en Belgique se sont réunis pour mettre au point une méthodologie commune afin de détecter des situations de burn-out – une quinzaine a été répertoriée en 2017 – qui ne sont pas reconnues comme maladie professionnelle. « Nous savions qu’il y avait des accidents psychiques. Mais tant que nous ne les comptions pas, nous ne savions pas qu’il y en avait plus que des accidents physiques et nous ne pouvions donc pas en prendre la mesure et sensibiliser ensuite le top management. Nous avons observé que la durée d’arrêt était trois fois plus importante que pour l’accident physique », note Jean-Christophe Sciberras, directeur des ressources humaines de Solvay France. Car, avant même de déployer une série d’actions, encore faut-il parvenir à identifier et à hiérarchiser les priorités d’intervention. Cela passe par un diagnostic de l’état physique et psychique des troupes afin d’identifier et de quantifier les marges de progression, mais aussi par une meilleure information des salariés sur les dispositifs existants. « C’est une phrase que l’on entend souvent : il manque une tour de contrôle. Quand des entreprises investissent dans la santé au travail, soit elles réalisent que ce qui a été mis en place n’a pas été utilisé, soit elles ont du mal à voir l’impact de ce qui a été mis en œuvre », affirme Cédric Mathorel, directeur de la start-up Padoa qui a développé une plateforme en ligne à destination d’une dizaine de services de santé au travail pour faciliter le suivi des visites médicales. À travers un questionnaire de prévisite, composé d’une soixantaine de questions, ce sont autant « de données collectées de manière systématique et homogène pour que cela soit exploitable et analysable d’un point de vue scientifique », poursuit-il.

Des outils d’analyse sous-exploités

Pourtant, il existe une suite d’indicateurs sur lesquels s’appuyer, comme le nombre d’accidents du travail, le taux d’absentéisme, les rapports du service de santé au travail, ainsi que la fiche entreprise du médecin du travail, les remontées d’alertes des instances représentatives du personnel ou encore les deux obligations annuelles que constituent le bilan social et le document unique d’évaluation des risques. Autant de données et d’outils d’analyse sous-exploités, d’après les témoignages de professionnels des ressources humaines.

« Lorsqu’une entreprise remplit un document unique d’évaluation des risques, elle passe parfois beaucoup trop de temps sur l’état des lieux. Ensuite, il y a une difficulté générale à passer de ce diagnostic à un plan d’action qui reste finalement souvent standardisé d’une entreprise à une autre », cible Olivier Mériaux, ex-directeur général adjoint de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) devenu consultant. « Les systèmes d’information sont encore cloisonnés au sein de l’entreprise et peu partagés entre les acteurs institutionnels. Il faudrait aussi mieux utiliser les données de sinistralité récoltées par l’assurance maladie ou les complémentaires santé afin de produire des actions ciblées à des échelles très fines. Mais tous les opérateurs ne sont pas dans une logique d’open data, certains groupes de prévoyance pouvant être tentés de « refaire payer » l’analyse de leurs données aux entreprises », poursuit-il. À cet égard, les ressources humaines occupent une place prépondérante dans la mise en œuvre d’une politique de santé au travail, tant dans l’alerte, dans l’élaboration que dans le suivi.

« Il vaut mieux que ce soit un même service qui pilote afin d’avoir un plus grand impact et une plus grande légitimité auprès de la direction. Sinon, l’approche se fait en silo et de manière fragmentée. Les ressources humaines sont un interlocuteur pertinent si l’on veut faire des liens avec les pratiques d’entreprise, le management et les parcours professionnels », pointe Charles Parmentier, chargé de mission à l’Anact, qui a développé un outil gratuit d’analyse des données sociales mis à la disposition des entreprises et utilisé à 40 % par des fonctions RH. « Le principal problème reste une collecte hétérogène des données. Il n’y a parfois aucune centralisation dans des entreprises qui ont plusieurs sites quand ce n’est pas sous-traité par un prestataire. Par exemple, l’absentéisme n’est pas toujours calculé de la même façon », poursuit-il.

Chez Harmonie Mutuelle, les différents directeurs des ressources humaines ont accordé leurs violons pour définir un même mode de suivi de l’engagement et de l’absentéisme avec une cartographie commune en fonction de chaque région, métier et unité de travail. « Cela fait partie du tableau de bord et il y a un reporting mensuel pour repérer d’éventuelles zones de fragilité, les points positifs, et les leviers d’amélioration », développe Sandrine Brandt, directrice talents & engagement du groupe. Tous veulent surtout éviter le poids des perceptions et des représentations erronées, faute de moyens pour objectiver et pour croiser les éléments les plus pertinents qui proviennent du terrain. « Lorsque nous sommes contactés, le management, la direction et les syndicats s’accordent souvent sur un état de souffrance révélé par des arrêts maladie et des burn-out. Mais ils ont des perceptions contradictoires et ils n’ont pas le même thermomètre pour jauger ce qui est en train de se passer. Les RH ont souvent peu de connaissances de la santé au travail bien que la nouvelle génération maîtrise mieux les méthodes et les outils », précise Jean-Pierre Brun, consultant associé du cabinet Empreinte Humaine.

Faire appel à un cabinet de conseil

C’est pour dépasser ce cadre que de nombreuses entreprises élaborent, avec des cabinets de conseil, des études autour de la qualité de vie au travail évaluant aussi bien la charge de travail que la relation entre les collaborateurs et leurs managers, et en se plaçant de facto dans une prévention plutôt portée sur les risques psycho-sociaux. Ainsi, le directeur des ressources humaines du laboratoire pharmaceutique Pfizer, faute d’avoir un retour satisfaisant du service de santé au travail, a fait appel à un bureau d’études et a initié un groupe de projet réunissant la direction, des responsables RH, des élus du CHSCT, ainsi que l’infirmière d’entreprise pour mettre au point un questionnaire d’une dizaine de minutes à destination des salariés.

« On s’est aperçu, fin 2015, qu’une partie des visiteurs médicaux, qui représentent 40 % des salariés, ne se reconnaissait plus dans son activité car elle devait faire plus d’administratif et de reporting que de la diffusion d’information auprès des professionnels de santé, ce qui avait des conséquences sur leur état de santé », raconte Benoit Le Bournault, qui a constitué une équipe de neuf personnes chargées du reporting pour les personnels itinérants. Chez Nature & Découvertes, qui compte un peu plus d’un millier de salariés répartis dans deux entrepôts, dans 80 magasins et au siège, la périodicité de ce type d’enquêtes est devenue hebdomadaire, avec cinq questions sur l’engagement, sur l’autonomie ou sur le management. Le commentaire est facultatif, il faut surtout donner une réponse graduée en fonction d’un échantillon de couleurs. « Jusqu’à il y a an, on réalisait cette enquête tous les trois ans avec des élus du CHSCT, mais le temps que l’on produise des résultats et que l’on en fasse l’analyse, les choses étaient parfois compliquées à mettre en place », admet Anne Deneux, directrice des ressources humaines de Nature & Découvertes.

Si elle réfléchit aujourd’hui à réduire la fréquence d’envoi du questionnaire à deux fois par mois, elle se réjouit d’avoir une vision globale du nombre de réponses anonymisées et de leur contenu sur son tableau de bord, ainsi qu’une bonne participation du siège. Elle note toutefois un taux nettement moindre de retours de la part des entrepôts et des magasins… où les salariés n’ont pas d’adresse mail professionnelle.

Auteur

  • Judith Chétrit