logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

La réforme s’annonce complexe

Dossier | publié le : 01.01.2019 | Gilmar Sequeira Martins

Si la rénovation du système de santé au travail fait un quasi-consensus, le diagnostic et les propositions posés dans le rapport Lecocq n’ont guère déblayé le chemin. L’issue de la réforme dépendra des négociations entre les partenaires sociaux.Par Judith Chétrit et Gilmar Sequeira Martins

La négociation sur la réforme de la santé au travail, qui doit s’ouvrir en ce début d’année, ne part pas sur de bons rails. Le rapport Lecocq, du nom de la députée La République en marche ! (LREM) du Nord qui a mené ce travail (lire en encadré page suivante), n’a pas permis de rapprocher les positions des différents acteurs concernés, ni d’aplanir les difficultés. Reconfigurer le système de fond en comble a contrarié Force Ouvrière (FO). « Aborder la réforme de la santé au travail, comme le fait le rapport Lecocq, par le prisme des questions de gouvernance, est réducteur », estime Serge Legagnoa, secrétaire confédéral en charge de la protection sociale collective. Il fustige une démarche assimilée à « un processus d’étatisation » qui n’avoue pas ses intentions : « Le rapport Lecocq préfigure une reprise en main de l’État et des économies, sous couvert de simplification. »

Sans rejeter la gouvernance proposée autour d’une structure régionale de santé au travail, d’autres acteurs s’inquiètent des équilibres proposés dans le conseil d’administration du futur organisme. Mireille Chevalier, secrétaire générale adjointe du Syndicat national des professionnels de la santé au travail (SNPST), estime qu’il devrait inclure davantage de représentants des salariés. « Lorsque le nombre de représentants des salariés et celui des employeurs sont identiques, c’est souvent le point de vue des entreprises qui prévaut, car elles ont une influence sur l’emploi. » Mireille Chevalier constate que dans les services actuels de santé au travail qui présentent ce cas de figure, les salariés ont du mal à faire valoir leur point de vue. « D’autant plus, ajoute-t-elle, que la présidence de ces services est occupée par un représentant des employeurs. »

Séparer prévention et contrôle ?

En proposant de faire de la future structure régionale « l’interlocuteur de confiance pour les entreprises en matière de conseil en prévention n’exerçant aucune mission de contrôle », le rapport suscite des réactions tranchées. Pour Jean-Michel Pottier, vice-président chargé des affaires sociales de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) : « Il faut dissocier les opérations de prévention de celles du contrôle, sinon c’est le contrôle qui prime afin de sécuriser celui qui en est chargé. » Pour Alain Carré, vice-président de l’association Santé et médecine du travail, c’est la position initiale du rapport qui est à remettre en cause : « Le rapport part du principe que la coercition est contre-productive. Or, tout professionnel un peu sérieux a une position strictement opposée. Il n’y a pas de prévention sans coercition. » Il redoute que la réorganisation envisagée « laisse les organismes de contrôle sans moyen de constater les atteintes à la santé et donc sans possibilité d’imposer des mesures ».

Pour Mireille Chevalier : « Cantonner le médecin et les autres préventeurs de la santé au travail à l’évaluation des risques, c’est nier leur rôle d’alerte. Qui va tenir ce rôle ? » Une analyse qui recoupe celle de Jérôme Vivenza, de la CGT, responsable de la centrale de Montreuil : « Tous les retours du terrain sont très clairs. Il est très difficile de fournir de bons conseils sans contrôle préalable. » Il considère que cette séparation va empêcher la détection de problèmes susceptibles de générer des accidents et entraver l’émergence de propositions utiles. Il annoncerait même une remise en cause des métiers de contrôle et d’ingénieur Carsat (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail) : « Il n’est pas possible de remplacer un agent de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) par un ingénieur Carsat parce qu’ils ne font pas le même travail. Ce qu’il faut, c’est assurer une meilleure coordination entre eux. »

La réparation sacrifiée ?

La CFDT fait une lecture plus nuancée. Catherine Pinchaut, secrétaire nationale, estime que le maintien des responsables du contrôle dans les Carsat et l’intégration des préventeurs dans les futures agences régionales ne constituent pas un problème en soi : « Cela ne présente un risque que si la réforme n’est pas pensée en proximité, ni pour répondre aux besoins des entreprises et des salariés, et si on reste dans un fonctionnement en silo. Mais les médecins doivent déjà aller faire des analyses de postes de travail, ils ne sont pas cantonnés à la visite médicale. » La suppression envisagée de la fiche d’entreprise, corollaire de l’accompagnement des entreprises vers une meilleure prévention par la structure régionale, laisse sceptique Mireille Chevalier : « La fiche d’entreprise permet d’avoir un point de vue basé uniquement sur la santé des salariés, indépendamment de toute autre considération. Il s’agit de pouvoir donner l’alerte sans s’arrêter au point de vue économique de l’entreprise ou à la question de la faisabilité. »

Quant au sort réservé aux salariés victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles, il inquiète Alain Carré : « Pour ne pas stigmatiser les entreprises, le rapport Lecocq s’inspire du système allemand et préconise une reconnaissance uniquement à partir de 20 % d’incapacité. C’est énorme. » Selon lui, un tel taux remet en cause l’objectif de prévention : « On ne verra plus que les atteintes graves ou catastrophiques, qui vont augmenter, et il deviendra impossible d’anticiper les atteintes. »

Sur la conduite de la réforme, beaucoup s’opposent sur concertation ou négociation. Pour la CPME, « la concertation permet de mieux faire comprendre la situation des entreprises qui se retrouvent parfois dans un état de semi-paralysie du fait d’injonctions contradictoires face au risque au travail, explique Jean-Michel Pottier. La négociation avec les partenaires sociaux ne permet pas cette prise en compte de la situation des entreprises, car les organisations syndicales restent dans une vision réglementaire et législative ». Les échanges promettent d’être vifs avec les organisations syndicales. La CFDT pose comme « incontournable » le dialogue social « dans la conduite de la réforme et le fonctionnement du système de santé au travail ». « La place des partenaires sociaux doit être réaffirmée et consolidée, en lien avec un État stratège », résume Catherine Pinchaut. Pour la confédération, l’organisation de la prévention, aux niveaux local et régional, ainsi que la question de la traçabilité des expositions aux risques doivent rester dans le champ du dialogue social, en tenant compte de la filière d’activité, de l’entreprise, et d’autres critères. « Nous voulons aussi inclure dans ce domaine la qualité du travail (QVT) et la question de l’organisation du travail », ajoute Catherine Pinchaut.

Interrogations sur le financement unique

Quant au nouveau mode de financement proposé dans le rapport Lecocq, il soulève bon nombre d’objections. La CPME se montre « plus que dubitative » sur la fusion des différents flux de financement et leur collecte par les Urssaf. « Il ne sera plus possible de distinguer ce qui doit financer tel ou tel poste, constate Jean-Michel Pottier. Il y a un fort risque de voir l’État rediriger les fonds vers d’autres utilisations, comme c’est déjà le cas avec la branche AT-MP (accident du travail-maladie professionnelle). Le principe de collecte unique ne peut qu’accélérer ce système de « siphonnage ». » FO nourrit le même soupçon : « Dès qu’il y a des excédents, Bercy essaie de les récupérer pour les reverser au budget de l’État », estime Serge Legagnoa. La centrale estime le risque d’autant plus élevé que les premiers signaux ne sont guère positifs quant au maintien des moyens relatifs au contrôle et à la prévention. « Nous avons obtenu l’engagement réaffirmé par écrit du Premier ministre dans la convention d’objectifs et de gestion de la branche AT-MP, mais, depuis, nous avons déjà eu des signalements de suppression de postes de préventeurs au plan local, affirme Serge Legagnoa. Il est clair que les engagements ne sont pas respectés. »

Rediriger les fonds excédentaires de l’AT-MP vers les politiques de prévention provoque aussi l’incompréhension du Syndicat des professionnels de santé au travail. « Il n’est pas normal d’envisager que les excédents de la branche AT-MP aillent financer la prévention, estime Mireille Chevalier. Nous craignons une dérive : les besoins de financements vont peser sur le traitement des dossiers et défavoriser les salariés atteints par des accidents du travail ou des maladies professionnelles. » Censé définir un horizon pour faire converger les échanges et accélérer la réforme de la santé au travail, le rapport Lecocq semble avoir manqué son but. On le saura vite lors de l’ouverture de la négociation – ou de la concertation.

Le rapport Lecocq prône la cohérence et la rationalisation

Confié à Charlotte Lecocq, députée LREM du Nord, à Bruno Dupuis, consultant en management, et à Henri Forest, ancien secrétaire confédéral CFDT, le rapport « Santé au travail : vers un système simplifié pour une prévention renforcée » a été divulgué le 28 août. Il propose de créer un organisme public (France Santé Travail) qui réunirait l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) et l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP). Dotée d’un cahier des charges national, cette entité passerait ensuite des contrats avec des structures régionales qui deviendraient un « guichet unique » de proximité. Elles regrouperaient les compétences des structures régionales du réseau de l’Anact et de l’OPPBTP, celles des agents des caisses régionales d’assurance retraite et du travail (Carsat) affectés aux actions de prévention et celles des services de santé au travail interentreprises (SSTI). Le rapport propose aussi que les Carsat et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) se recentrent sur leurs rôles respectifs d’assureur et de contrôle. Pour financer ce système, le rapport préconise une cotisation unique « santé travail ». Elle réunirait les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celles concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent avec celles des AT-MP, le tout étant directement recouvré par les Urssaf. Un schéma identique est proposé pour réunir au sein d’un fonds national unique les différents leviers de financement actuels (fonds de l’État, de la branche risques professionnels de l’assurance maladie, ceux issus des cotisations finançant des structures régionales de prévention…).

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins