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Décodages

Le plan de tous les dangers pour l’Afpa

Décodages | Formation | publié le : 01.01.2019 | Benjamin d’Alguerre

1 541 postes supprimés. Un PSE jamais vu à l’Afpa. C’est ce que prévoit la direction de l’Agence nationale pour la formation des adultes pour « réorganiser » l’opérateur. Les syndicats sont vent debout… mais pas tous.

« On est venus pour se battre… » Ce jeudi du début de décembre, sous un ciel gris et froid, Lydia et ses amis font le pied de grue sur l’esplanade qui fait face à la tour Montparnasse. Tous ont débarqué de Lorraine, drapeaux CGT au vent, à l’appel de l’intersyndicale de l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) pour manifester contre le « plan de réorganisation » que prépare la direction de l’Agence. Du jamais vu dans l’histoire de l’Afpa, puisque le projet prévoit rien de moins que la suppression de 1 541 postes (dont 600 départs en retraite « favorisés »), un redéploiement de 454 autres postes, la fermeture de 38 sites et la création de 603 emplois « sur de nouvelles compétences ». « Le Gouvernement et la direction à sa botte veulent détruire l’Afpa pour confier la formation au seul marché privé ! Il n’y a aucune rénovation en vue, juste des licenciements », s’énerve Daniel, formateur en chaudronnerie et militant SUD, venu de Touraine et vêtu d’un gilet jaune pour afficher son soutien à l’autre mouvement social du moment. Il est 14 heures quand le cortège – entre 1 000 et 2 000 manifestants – s’ébroue en direction de la rue de Grenelle où une délégation doit être reçue par un conseiller de Muriel Pénicaud, ministre du Travail. « Comme si ça allait nous suffire ! Non : une fois à l’intérieur, on y reste et on demande à voir la ministre ou son directeur de cabinet. Et s’il faut que ce soit la police qui nous sorte, elle nous sortira ! » lance Nathalie Tondolo, secrétaire générale du syndicat FO Afpa. Finalement, l’entrevue ne virera pas au drame. Pas de police sur les lieux… mais pas de ministre non plus. Les délégués ne repartiront qu’avec l’assurance d’un rendez-vous futur.

725 millions d’euros de pertes.

Un air de déjà-vu flottait cependant sur ce 6 décembre, tant les manifestations et autres défilés de délégations de l’Afpa au ministère du Travail se suivent et se ressemblent depuis bientôt dix ans que les comptes de l’opérateur sont dans le rouge. Conséquence conjointe de la politique de décentralisation de l’État, qui a confié en 2009 la commande de formation pour les chômeurs aux Régions, et d’une recommandation du Conseil de la concurrence, en date de la même année, estimant que la formation des chômeurs relevait du marché économique concurrentiel. En clair : la fin des subventions publiques directes à l’Afpa et l’obligation de passer par des appels d’offres régionaux aussi ouverts au marché privé, souvent moins coûteux. « Résultat : trois ans plus tard, l’Afpa était au bord du dépôt de bilan. Il a fallu l’élection de François Hollande et l’annonce d’un grand plan de sauvetage en 2012 pour faire repartir l’activité », se souvient Catherine Perret, administratrice CGT. Un sauvetage cependant sans lendemain pour l’Afpa qui continuera à vivoter et à perdre de l’argent pendant les années suivantes. Elle ne profitera même que très marginalement du plan « 500 000 formations pour les demandeurs d’emploi » lancé en fin de quinquennat. La transformation de l’association en établissement public industriel et commercial (Epic) en 2017 ne rééquilibrera pas davantage ses finances puisque ses pertes sèches sur cinq ans frôlaient les 725 millions d’euros. « Et si l’on ajoute les diverses subventions exceptionnelles que l’État a versées, notamment pour payer les salaires, on approche en réalité du milliard », calcule un connaisseur du dossier.

C’est face à ce risque de dépôt de bilan que la direction a concocté un traitement de choc prévoyant le départ de plus d’un septième des effectifs et la fermeture de 38 établissements. Au risque d’amputer une partie de son appareil de formation territorial. « Onze départements risquent de se retrouver privés de tout établissement », calcule Jean-François Guérut, secrétaire général du Synarpa CFDT. Parmi les régions les plus exposées, Auvergne – Rhône-Alpes, Pays de la Loire ou Centre-Val de Loire, dont le président, François Bonneau, est monté au créneau pour exprimer sa colère face aux cinq fermetures de centres annoncées. Une réaction qui fait cependant toussoter les élus de l’Afpa : « En tant qu’administrateur, il savait ce qu’il allait se passer. Et comme président de Région, il n’a pas été le dernier à acheter des actions de formation low-cost ! », grogne un syndicaliste. Et de déplorer le comportement de certains conseils régionaux ayant parfois fait baisser les tarifs jusqu’à… 2,82 euros de l’heure ! Sans compter les régions affichant franchement leur hostilité à l’Agence, comme Auvergne – Rhône-Alpes ou Paca.

Boycott.

Sollicités sur le plan de rénovation, ni Jean-Pierre Geneslay, président de l’Afpa, ni Pascale d’Artois, sa directrice générale, n’ont souhaité s’exprimer. Mais dans l’entourage de Muriel Pénicaud, on décrypte la situation mezzavoce : « Si on laisse cette situation de déséquilibre économique perdurer, l’Afpa ne peut aller qu’à la faillite. L’Agence doit impérativement rééquilibrer son budget. Le plan de rénovation ambitionne de permettre à l’Afpa de développer de nouvelles activités sur le digital ou de multiplier les partenariats avec d’autres opérateurs publics ou privés. Elle pourra également trouver sa place dans les futurs appels à projets liés au plan d’investissement compétences (PIC). » Rassurant ? Pas aux yeux des syndicats. « La spécificité de l’Afpa, c’est l’apprentissage par le geste dans des centres équipés ! Pas la simulation numérique ! Les formations Afpa sont coûteuses, mais qualitatives et surtout diplômantes. Or, nous soupçonnons le ministère de vouloir la fin des titres Afpa qui ouvrent sur des métiers adossés à des grilles salariales au profit de « compétences » négociables au rabais sur le marché du travail », s’agace Yann Cherec, secrétaire général de la CGT Afpa. Le 5 novembre, les quatre organisations représentatives (CGT, CFDT, FO et SUD) ont d’ailleurs refusé de se présenter à la première séance de négociations sur le plan de rénovation. Elles affirment vouloir boycotter les suivantes. Plusieurs raisons à cela : non seulement les mesures drastiques en termes de pertes d’emploi et de fermetures de sites leur paraissent inacceptables, mais elles remettent également en question la légitimité d’un projet de PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) co-conçu par le cabinet de conseil RH Alixio, propriété de l’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, Raymond Soubie. Un cabinet dont les dirigeants, Philippe Vivien et Raphaëlle Gauducheau, connaissent bien l’Afpa. pour en avoir été respectivement administrateur et directrice du pôle entreprises ! « La situation est tendue… La proximité des dirigeants d’Alixio avec l’Afpa rend le projet très fragile, surtout devant la justice », explique un proche du dossier. C’est d’ailleurs au tribunal que la suite pourrait se jouer, les syndicats ayant décidé de faire appel à Fiodor Rilov – l’ancien avocat des Goodyear d’Amiens – pour faire casser le PSE par les juges.

« Négocier ne sert à rien ».

Mais dans ce concerto syndical, la CFE-CGC a choisi de jouer sa partition en soliste. Raison invoquée par son président, André Thomas : la faillite de l’Afpa est un risque réel à court terme et seule la négociation permettra de limiter les dégâts et de transformer l’Afpa pour la rendre pérenne (lire l’entretien ci-dessus). À cet effet, le syndicat des cadres a lancé, le 19 novembre dernier, une consultation des salariés sur l’hypothèse d’une négociation. Résultat : 1 635 votants en 24 heures : 61,25 % exprimant leur souhait de voir les organisations syndicales reprendre la « négo ». Des résultats cependant contestés par les autres centrales pour cause de conditions de consultation insuffisamment sécurisées. « Le sondage était « trucable », et il a été truqué dans la mesure où moi-même j’ai voté plusieurs fois ! », sourit Richard Lalau, délégué syndical central SUD-FPA. Pour Yann Cherec, le sondage ne changera rien à la détermination des syndicats engagés dans le bras de fer : « La CFE-CGC ne semble pas avoir pris la mesure du PSE. Lors d’un CSE (conseil social et économique) extraordinaire, il nous a été communiqué le montant de l’enveloppe globale du plan social. Elle s’élève à 126 millions d’euros. Nos experts économiques ont calculé que le maximum des indemnités qui pourront être allouées aux partants ne mérite pas l’entrée en négociation ». Conclusion ? « Négocier ne sert à rien. »

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre