logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Le gardien de HLM change de métier

Décodages | Carrières | publié le : 01.01.2019 | Lucie Tanneau

Digitalisation, paupérisation des locataires, changement d’orientation politique… Les bailleurs sociaux doivent avancer dans un contexte incertain. Leurs métiers évoluent pour apporter davantage de service aux clients, en misant encore plus sur la proximité.

« La bignole n’est plus dans l’escalier », aurait dit Michel Audiard ! « Nos métiers vont connaître les mêmes évolutions que ceux du secteur de l’automobile hier », affirme Serge Laurent, directeur général du bailleur social champenois Mon Logis. « L’essentiel, demain, ne sera ni de vendre ni de louer, mais d’apporter les services qui gravitent autour. » Pour les 694 organismes gestionnaires de logements HLM ainsi que leurs 82 000 salariés, les changements s’annoncent énormes. En cause : des évolutions sociétales et législatives qui contribuent à la baisse des revenus des offices publics de l’habitat, des entreprises sociales pour l’habitat et des sociétés coopératives HLM. Avec la loi de finances pour 2018, les coupes budgétaires ôtent aux bailleurs sociaux 8 % de leurs recettes (soit 1,5 milliard d’euros en moins par an). « Il s’agit du regroupement des acteurs liés au 1 % logement, de la loi Elan qui pousse à la concentration du secteur, de la réduction de loyer de solidarité qui fait baisser nos revenus de 10 % et de la loi Cosse (qui soutient les propriétaires privés dans la location de logement à loyer modéré, NDLR). Autant de facteurs qui conduisent à la paupérisation de nos locataires », analyse Norbert Fanchon. Pour y faire face, le président du directoire du Groupe Gambetta, gestionnaire de 5 000 logements en Île-de-France et en Pays de la Loire, n’anticipe pas une baisse d’effectifs dans le secteur, mais un accompagnement plus poussé des locataires. « Soit on expulse tout le monde, soit on joue notre rôle, au plus près des locataires », résume-t-il, alors que les bailleurs sociaux hébergent 18 % de la population française.

Médiation sociale.

Une vision partagée dans le secteur, qui se réorganise et qui accroît le nombre de postes correspondant à des métiers de proximité. « Les bailleurs sociaux constituent de plus en plus souvent le dernier lien social sur le terrain, et les métiers de la sécurité ou de la médiation se multiplient », note Vaya Dratsidis, experte emplois, métiers et formation à l’Union sociale pour l’habitat (qui apporte un appui professionnel auprès de 720 structures en France, représentant 82 000 salariés). « Le poste de gestion urbaine de proximité est un métier qui se développe », cite-t-elle en exemple. « Nous devons réinventer nos présences de proximité grâce à de la médiation sociale ou des animateurs de quartier », confirme Serge Laurent. Les objectifs sont de rester au plus près des locataires malgré une communication de plus en plus digitale, et de tenter de limiter la violence. « L’accroissement des difficultés sociales sur un certain nombre de résidences entraîne de plus en plus de passages à l’acte ou d’incivilités, et nous oblige à renforcer nos compétences dans la relation », confirme Marie-Annick Fedeli, la responsable du développement RH de Valophis Habitat, l’OPH du Val-de-Marne (45 000 logements et 950 salariés). Emblématique du secteur, le poste de gardien d’immeuble est notamment en pleine transformation. « Le cœur du métier (nettoyage des communs, sortie de poubelles) n’est pas modifié, mais la relation avec les locataires change », souligne Willy Girard, le directeur RH de l’office public de l’habitat, qui regroupe 240 adhérents et 47 000 collaborateurs. « Le gardien d’immeuble est en train de se numériser : les loges sont informatisées, le logiciel de gestion intégré permet une vision complète de la gestion du parc, et le métier de la relation locataire est également numérisé. Le gardien perd de son rôle administratif pour apporter davantage de service au client », analyse-t-il. Auparavant, le locataire venait demander au gardien à qui s’adresser en cas de fuite d’eau. Aujourd’hui, le gardien saisit le problème sur sa tablette et prévient directement le service compétent. Dans de nombreux organismes, il réalise aussi les états des lieux dématérialisés. « Le gardien devient multicompétent, et davantage au cœur de la relation de service qui s’instaure avec le locataire », résume Willy Girard. « D’un métier de nettoyage, il est en train de passer à un métier de veille aux niveaux technique, sécurité et social », complète Marie Godard, la DGA en charge de l’innovation, des RH et des usages numériques chez Paris Habitat. Depuis mai 2018, le bailleur francilien teste ainsi un dispositif de gardiens assermentés. 100 volontaires sont déjà passés devant le tribunal pour être reconnus gardes particuliers, et peuvent désormais dresser des procès-verbaux, en cas de dépôts d’ordures sauvages par exemple. « C’est une expérimentation qui vise à améliorer la qualité de nos sites », témoigne Marie Godard. De nombreux anciens gardiens, usés par le métier, sont également réorientés, chez plusieurs bailleurs interrogés, sur les plateformes téléphoniques qui voient le jour. Moins exposés, ils répondent désormais au numéro unique mis en place pour répondre aux sollicitations des locataires.

Logements connectés.

En effet, les bailleurs sociaux, comme l’ensemble des entreprises, doivent aussi s’adapter à la digitalisation des process et des échanges. « Il faut numériser toutes les tâches qui peuvent l’être pour préserver notre qualité de service en proximité », résume-t-on chez Paris Habitat, qui a déjà nommé un Data protection officer et qui travaille, avec son centre des métiers, à faire évoluer les offres de formation sur les sujets informatiques, notamment. « On ne doit plus imposer à nos clients l’agence comme seul canal de communication », résume Serge Laurent, le directeur général de Mon Logis, qui parle de digitalisation des services et de la relation. « On doit créer des métiers pour satisfaire les nouveaux besoins des clients. Les récents logements sont de plus en plus connectés : il va nous falloir des techniciens pour gérer cela, mais aussi des médiateurs afin d’expliquer aux clients. » Pour lui, la digitalisation est donc source de proximité. Il envisage ainsi des partenariats avec des supermarchés pour fournir à ses clients des camions de déménagement, des services de conciergerie ou encore des portages de repas. « On doit s’entourer de gens capables de gérer ces prestataires : c’est un métier nouveau », complète-t-il. Sa DRH, Céline Varenne, anticipe déjà ces nouveaux besoins dans son recrutement : « Les personnes qui sont en capacité d’appréhender les objets connectés nous sont nécessaires, mais nous devons aussi former les personnes présentes, qui utilisent des Smartphones ou des tablettes au quotidien, pour qu’elles apprennent à utiliser ces outils en milieu professionnel. » Avec un risque à ne pas négliger, alors que les bailleurs sont plutôt en retard sur le chemin de la digitalisation : « Cette dernière laisse potentiellement les métiers de scan ou de saisie sur le carreau », met en garde Marie Godard, chez Paris Habitat. « Il y a un enjeu d’employabilité pour ces personnes. Nous avons lancé un programme pour les accompagner dans un bilan de compétences ou dans des mises en situations type ’vis ma vie’ pour les reclasser. » « Dans la maîtrise d’ouvrage, les métiers se numérisent vitesse grand V », nuance Willy Girard, au sein de l’office public de l’habitat. Mise en place du building information modeling (BIM), modélisation du patrimoine pour la construction ou l’entretien, création d’alertes pour le suivi des bâtiments… « Ces nouveaux outils créent beaucoup plus de transversalités entre les équipes et permettent des économies d’échelle », anticipe-t-il. Au niveau environnemental, de nombreuses expérimentations voient aussi le jour dans les organismes de logement social. Dans le secteur de la construction, beaucoup testent des matériaux plus verts, en s’entourant de start-up, d’experts ou de personnel en interne qui sont porteurs de ces sujets. « On nous a aussi incités à mettre en place des expérimentations, comme des ambassadeurs pour améliorer le tri des déchets », poursuit Willy Girard. Des contrats de services civiques ont également été signés dans le secteur, afin de former les locataires à diminuer leur impact environnemental, en baissant la température des logements notamment. Les grosses structures ont depuis cinq ou six ans des responsables développement durable, et ces métiers deviennent de plus en plus pérennes. « Nos formations et nos métiers évoluent au fur et à mesure que les exigences des labels environnementaux des bâtiments se transforment », reconnaît-on chez Valophis Habitat. « Il existe un nouvel aspect laboratoire dans la construction neuve : on teste des nouveaux matériaux d’étanchéité, de nouveaux systèmes de chauffage, de revêtement de façade, ce sont des choses qui se sont largement développées », résume Marie-Annick Fedeli, chez Valophis Habitat.

Management de projet.

Une facette du secteur, portée vers l’innovation, qui reste méconnue du public comme des candidats, de même que les métiers de la vente, une branche qui s’étoffe chez les gestionnaires HLM. « Pendant des années, on nous a encouragés à construire pour louer. Aujourd’hui, la vente de logements HLM est une priorité des pouvoirs publics », présente Serge Laurent, de Mon Logis. « Nous avons une pression pour mettre en vente une partie de notre parc, mais les ventes d’HLM sont réglementées, et les métiers de l’accession à la propriété ou de vente du patrimoine su multiplient », constate-t-il. « Pour notre part, nous avons aussi renforcé notre équipe de développement foncier », indique Marie-Annick Fedeli. Ces profils sont maintenant chargés de prospecter les terrains. « Les contraintes budgétaires limitent nos recrutements, mais nous consacrons de plus en plus de temps à négocier les budgets avec les entreprises de construction, les prestataires d’entretien… », ajoute-t-elle. Ainsi, les bailleurs sociaux n’échappent pas aux transformations des organisations. « La maîtrise d’ouvrage s’organise depuis quelques années grâce à du management de projet », acquiesce Willy Girard. « On veut avancer davantage par objectifs, en apprenant à manager les différentes générations ensemble, notamment celles qui sont habituées à travailler de manière plus souple. Nous avons mis en place du télétravail, des horaires flexibles et du travail nomade, cela change nos manières de manager », confirme Marie-Annick Fedeli. « Nous demandons de plus en plus à nos personnels de passer par la concertation – que ce soit les chargés de développement local qui font voter des budgets participatifs, ou les maîtres d’ouvrage qui échangent beaucoup plus, de manière à éviter les recours –  : ces évolutions des métiers modifient forcément la culture d’entreprise. Nous avons un projet afin de travailler en symétrie l’attention portée à nos collaborateurs et celle portée à nos locataires. Le management se base de plus en plus sur la confiance et sur le ’faire ensemble’ », détaille Marie Godard, chez Paris Habitat. « Beaucoup de jeunes recrutés demandent un management basé sur le sens, et veulent être associés aux décisions », analyse-t-elle. Pour accompagner cette mutation des métiers, la coopération entre bailleurs et pour anticiper la pyramide des âges vieillissante, l’OPH veut mettre la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences au cœur de ses négociations annuelles. « L’Union sociale pour l’habitat travaille beaucoup sur l’attractivité du logement social et sur le sens au travail », complète Vaya Dratsidis qui accompagne les organismes, dans le cadre de l’appui professionnel RH, à l’actualisation du référentiel des métiers du mouvement HLM, au recrutement, dans le cadre de la bourse de l’emploi, et à la fidélisation des salariés. Du pain sur la planche pour les RH dans le monde des bailleurs sociaux.

Auteur

  • Lucie Tanneau