logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Actu

“Les salariés ne veulent pas être managés, ils veulent être inspirés”

Actu | Entretien | publié le : 01.01.2019 | Lys Zohin

Chantre d’un nouveau mode de management donnant la priorité aux salariés et non plus aux clients, comme le théorisaient les experts dans les années 1990, Vineet Nayar estime que de nombreuses organisations peuvent se transformer avec succès grâce à sa méthode, même les entreprises françaises…

Au cours de l’année 2006, vous avez choqué les centaines de clients mondiaux de HCL Technologies en proclamant : « Les salariés d’abord, les clients ensuite. » C’est d’ailleurs une expérience que vous racontez dans un livre, qui vient d’être actualisé…

Vineet Nayar : Oui, et en faisant cela, j’ai embarqué la société, spécialisée dans les services informatiques, sur le chemin d’une nouvelle croissance. Cela lui a permis de passer d’un chiffre d’affaires de 750 millions de dollars, à l’époque, à 4,7 milliards de dollars en 2013, lorsque j’ai quitté mes fonctions.

Comment avez-vous fait pour obtenir ce résultat ?

V. N. : Lorsqu’on me pose la question, je commence souvent par raconter l’histoire de quatre fourmis à qui l’on demande ce qu’elles veulent faire. La première déclare vouloir être la fourmi la plus riche du monde. La deuxième souhaite être la plus rapide, la troisième, elle, veut devenir le plus grand patron du monde. Quant à la quatrième, elle déclare tout simplement qu’elle ne veut plus être une fourmi, mais aspire à devenir un papillon. Alors, comment passe-t-on d’une fourmi à un papillon ? Ou, comment fait-on pour qu’une entreprise déploie ses ailes ? La réponse est simple, il faut tenter l’impossible !

Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

V. N. : Cela se déroule en plusieurs étapes. D’abord, il faut se poser les questions suivantes : à quoi correspond mon métier de base ? Et où, dans la société, la valeur est-elle créée ? D’ailleurs, qui la crée ? La réponse passe toujours par les salariés, qui, dans leurs interactions avec les clients, créent cette valeur. C’est de ce cheminement que m’est venue l’idée qu’il fallait faire passer les salariés en premier. Et si ce sont les salariés qui créent de la valeur, quel est le rôle du management ? Son rôle est d’encourager et de permettre aux salariés de créer cette valeur. Le management est donc comptable de créer les conditions pour que les salariés puissent « performer ». Puis, la méthode se déroule en plusieurs phases. D’abord, il est nécessaire de faire naître un besoin de changement chez les salariés comme chez les managers. Il faut donc que, d’une certaine façon, ceux-ci soient assez « malheureux » pour exiger le changement. Mais, comment faire ? En ne se satisfaisant pas du statu quo. Si la direction pense que tout va bien, si elle ne cesse de véhiculer l’idée que les affaires sont excellentes, alors rien ne changera. Fini, donc, le temps de la complaisance ! Souvenez-vous de la société Kodak : la direction était très satisfaite, et la société a fini par faire faillite… Chez HCL Technologies, nous avons, par exemple, produit une publicité qui disait : « Nous recherchons des plombiers ». Cela peut sembler bizarre, pour une société spécialisée dans les services informatiques… Mais au-delà du buzz que nous allions susciter, l’idée était d’exprimer la pensée suivante : « Il y a des fuites d’eau dans notre entreprise, venez les réparer ! » C’est aussi une façon de créer de la confiance entre la direction et les salariés. En effet, ces derniers se rendent forcément compte que certaines choses ne vont pas au sein de leur entreprise. La direction a donc la charge d’admettre cette situation, et de reconnaître ainsi la parole et le ressenti des salariés. Ensuite, j’ai également pris une initiative inédite, celle de me faire « juger » par les 30 000 salariés de l’époque, et j’ai fait ce choix alors que j’avais pris mes fonctions depuis 19 jours. Certes, si mon score avait été faible, j’aurai alors perdu mon poste, mais j’ai finalement gagné beaucoup de temps en proposant cette idée dès le départ… Autant dire qu’un P-DG ou un manager doit avoir du courage. Et même s’il échoue dans ses initiatives pour devenir un papillon, il vaut mieux être un papillon raté qu’une simple fourmi qui réussit…

Mais, une fois la phase de « mécontentement » des salariés passée, comment faire pour ancrer cette culture du changement dans l’organisation ?

V. N. : C’est une réalité, il faut non seulement créer un besoin de changement, mais aussi une véritable culture du changement, fondée sur la confiance réciproque entre managers et équipes. Cela passe par de la transparence en termes d’informations, par exemple. Ainsi, chez HCL Technologies, les rapports concernant les activités et les finances de la société sont accessibles aux salariés. Ce qui les encourage à faire mieux, puisque toutes les équipes veulent pouvoir dire qu’elles ont chacune réussi dans leurs tâches respectives. Certes, nous avons pris le risque que la concurrence soit également au courant de nos activités, mais il était nécessaire de le prendre. Tant de sociétés sont encore tellement opaques ! Enfin, cette culture doit être durable. Pour cela, et c’est le troisième pilier de ma méthode, il faut profondément modifier la structure de management. D’ailleurs, les salariés ne veulent pas être managés, ils veulent être inspirés… Ils ont besoin d’avoir du sens. Si les salariés doivent participer à quelque chose, il leur faut savoir à quoi ils contribuent. Cette étape consiste donc à proposer aux salariés une vision sur l’avenir. Et si les salariés adhèrent, alors vous avez gagné !

Le dernier élément à prendre en compte fait référence au management. Il est temps d’arrêter de fonctionner avec une hiérarchie basée sur des managers tout-puissants, omniscients, autoritaires. Si vous voulez créer une organisation de type « papillon », il faut mettre l’humain au cœur de votre organisation. Ce qui signifie qu’il est nécessaire de transférer une partie du pouvoir aux salariés. Et si certains préfèrent rester des fourmis au lieu de devenir des papillons, il ne faut pas le voir comme un problème, ils s’en iront. Et si tout le monde s’en va, très bien aussi ! Si la société doit mourir, alors autant abréger ses souffrances et qu’elle meurt rapidement. Vous comprenez donc que ma méthode n’est pas destinée à tout le monde… En tous les cas, pour HCL Technologies, cela a très bien fonctionné. Alors que le marché des services informatiques se tassait, la société a réussi au contraire à innover, à satisfaire de plus en plus de clients dans le monde et à accroître son chiffre d’affaires.

La France a-t-elle des atouts dans le grand jeu mondial de la transformation ?

V. N. : La France se situe à un tournant. Elle doit d’abord retrouver les avantages qui étaient les siens dans les années 1980, à savoir un goût certain pour l’innovation. Mais que faire, et surtout, comment ? D’abord, il faut qu’elle prenne conscience des enjeux, si cela n’est pas déjà fait. Ensuite, comme pour toutes les autres entreprises, les organisations françaises devront donner davantage de pouvoir aux collaborateurs, et enfin, si un patron est dans le déni, il faudra prendre le parti de laisser les choses se décanter d’elles-mêmes : face à la concurrence et au fait que l’entreprise perdra des parts de marché, ce P-DG finira par partir et un nouveau, plus dynamique, prendra sa place, pour une meilleure performance. C’est tout ce que je souhaite à la France.

Vineet Nayar

2005-2013 : Sous la direction de Vineet Nayar, HCL technologies a connu une révolution culturelle lui apportant la reconnaissance du magazine américain « Fortune », qui considère le management du P-DG comme « le plus moderne du monde ».

2005 : Vineet Nayar lance la Sampark Foundation avec son épouse Anupama, dans le but de faire de l’innovation sociale à grande échelle.

2010 : Son livre « Les employés d’abord, les clients ensuite : Comment renverser les règles du management », un best-seller mondial est considéré comme la base d’un nouveau mode de management de l’entreprise par le magazine « Fortune ».

Auteur

  • Lys Zohin