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L’organisation et le sens du travail en tête des priorités

À la une | publié le : 01.01.2019 | Gilmar Sequeira Martins

En transformant les entreprises, la digitalisation contraint les ressources humaines à revisiter leur rôle. Une opportunité pour peser sur l’organisation du travail, et pour redonner du sens aux tâches et aux missions des salariés.

La digitalisation fait évoluer les outils, tout comme les méthodes de travail, les espaces, les modes de collaboration… Même les enjeux de la fonction RH s’en trouvent bouleversés. « Pour la DRH, la digitalisation donne une importance croissante à deux enjeux, observe Diane Deperrois, DRH d’Axa. Le premier, c’est tout ce qui touche à l’employabilité, depuis le recrutement jusqu’à l’accompagnement des collaborateurs au fil de la transformation des organisations et des métiers. Le second, c’est la question de l’inclusion, car la transformation digitale fait évoluer les métiers. » Selon elle, la DRH a donc un rôle clé à jouer pour maintenir le collectif ainsi que le lien entre les générations afin qu’elles s’approprient des technologies hétérogènes et qu’elles avancent ensemble. Ce maintien de la cohésion sociale va cependant devoir composer avec un environnement nouveau. Les salariés ont désormais acquis une autonomie inédite, comme le constate Benoît Serre, vice-président délégué de l’ANDRH : « Beaucoup de sujets de communication échappent aux RH et à la communication interne classique. Aujourd’hui, les salariés créent un groupe sur WhatsApp, ils ont leurs propres canaux pour échanger. Le point clé est de maintenir la cohérence dans les messages et d’accepter que cet ensemble de réseaux constitue désormais la communication interne de l’entreprise. » Au-delà des contraintes plus fortes ou nouvelles, des opportunités se dessinent. La fonction RH peut en effet profiter de la digitalisation pour se saisir d’un enjeu fondamental, en l’occurrence l’organisation du travail. « Cette question lui a échappé ces dernières années, au profit d’autres acteurs, dont les éditeurs de logiciels qui structurent le travail réel de beaucoup de salariés, estime Pascal Ughetto, sociologue membre du Laboratoire techniques territoires et sociétés (LATTS). Si le travail devient un espace d’autonomie et de créativité, c’est à la fonction RH d’expliquer comment cela va se matérialiser, en termes d’espaces de travail, d’exigences des métiers et de réponses aux difficultés liées aux activités. » Un schéma qui, pour l’heure, n’a guère d’échos dans la réalité. Dans les entreprises, ce sont bien souvent les directions immobilières qui conduisent les changements, les fonctions RH se trouvant souvent reléguées à l’accompagnement du changement.

Accompagner l’individu.

S’engager sur un tel terrain sera difficile, assure toutefois le sociologue. Le temps des grands plateaux, qui ont suscité sarcasmes puis critiques, est en effet déjà en partie révolu. « Les espaces de travail sont aujourd’hui plus subtils », note Pascal Ughetto. Pour peser sur leur transformation, il ne suffira plus de jouer un rôle d’alerte. « La fonction RH doit aussi être capable de porter la parole des salariés du point de vue de leur activité, autrement dit, être en capacité de dire si ces nouveaux espaces ont du sens, sont considérés à partir de l’activité », conclut Pascal Ughetto.

Sur cette lancée, la fonction RH peut aller encore plus loin pour se hisser à un niveau stratégique, estime Antoine Pennaforte, maître de conférences en gestion au Cnam : « En prenant en compte les intérêts des autres directions, la DRH doit analyser les impacts de la digitalisation sur les métiers, sur les compétences, sur les relations des individus avec l’organisation, et doit définir une stratégie qui accompagne l’individu vers une autre manière de faire. » La définition de règles éthiques va constituer un chantier majeur de ce nouveau territoire. « La DRH doit affirmer clairement que la machine ou les systèmes digitaux sont des moyens et non des fins », assure d’emblée Antoine Pennaforte. Cependant, comment combiner une attention plus poussée aux individus, tout en faisant une place croissante aux machines et aux autres systèmes d’intelligence artificielle ? Antoine Pennaforte propose de définir des règles éthiques et d’établir à quel endroit de l’organisation il vaut mieux avoir une machine ou une personne. Même s’il paraît inédit, ce processus a des précédents. « Il est du même ordre que celui qui a été réalisé avec l’arrivée des Smartphones ou du cloud, qui ont gommé la frontière vie professionnelle/vie personnelle, estime Antoine Pennaforte. De nouvelles règles ont été instituées. Ce sera la même chose avec les nouvelles machines qui vont arriver dans les organisations. »

Contrôle l’IA par l’éthique.

Cette approche n’épuise pas la question éthique pour autant. Concernant les données personnelles, il revient à la fonction RH d’expliquer ce qui peut être fait ou non, en fonction du règlement général sur les données personnelles (RGPD) entré en vigueur en mai 2018. Il faudra aussi résoudre les questions posées par l’IA. « Ces systèmes collectent des données internes et externes, anonymisées ou non, et vont pouvoir interagir avec des écosystèmes externes, ceux des clients et même Internet, souligne Diane Dejoux, professeur des universités au Cnam. Les RH doivent établir des chartes afin d’atteindre trois objectifs : d’abord, expliquer aux collaborateurs ce que les systèmes d’IA ont le droit de faire ou de ne pas faire ; ensuite, les équiper pour qu’ils puissent vérifier que ces systèmes fonctionnent correctement ; enfin, leur permettre d’effectuer des contrôles aléatoires pour vérifier si un biais inapproprié ne s’est pas introduit dans le processus. » Se dessine ainsi un cadre éthique prenant en compte trois dimensions : les collaborateurs, la stratégie de l’entreprise, mais aussi les organisations syndicales. Attention toutefois à la tentation de l’évidence digitale, avertit Alexandre Stourbe, directeur général du Lab RH, qui observe dans certaines entreprises l’imposition de nouveaux outils « de manière verticale ». Des tentatives vaines au demeurant. « La DRH a un double rôle à jouer : apporter de la transparence et proposer un cadre, insiste Alexandre Stourbe. La transparence permet d’apporter des réponses claires aux collaborateurs sur l’utilité des outils, sur leurs objectifs, et de s’assurer que tous les salariés ont le même niveau d’information. » Au quotidien, investir ces nouveaux domaines passe par de nouvelles pratiques. Paris Habitat, la structure qui gère 123 000 logements sociaux à Paris et dans les villes de la première couronne, a décidé de refondre son organigramme. Depuis 2017, la direction des usages numériques et la DRH sont réunies au sein d’une même direction adjointe. « Notre philosophie est la suivante : il faut penser les usages avant même de penser outils ou systèmes, explique Marie Godard, directrice générale adjointe innovation, ressources humaines et usages numériques. Le partage transversal des problématiques entre équipes permet d’engager les échanges, de la phase amont jusqu’au déploiement des projets. » Cette démarche a permis de concevoir Carl (Continuité de l’activité et de la relation locataire), un outil digital qui permet aux gardiens d’enrichir leur activité en mobilité, tout en préservant le contact humain avec les locataires ainsi qu’avec d’autres intervenants.

La DRH au beau milieu.

Dans ce mouvement de transformation, impliquer tous les acteurs relève de l’impératif et doit passer outre les tabous. Alexandre Stourbe appelle donc à élargir le cercle des parties prenantes pour y inclure aussi les représentants syndicaux. Avec deux arguments : « Ils peuvent être très créatifs, comme nous avons pu le constater en élaborant avec la CFE-CGC une charte éthique relative à l’utilisation des outils numériques. Ils sont aussi les porte-voix des salariés, et cela peut faciliter l’appropriation des outils et du projet de l’entreprise. » Le rôle futur de la fonction RH dans la transformation des organisations n’est pas figé, estime toutefois Pascal Ughetto : « Cela dépendra de son appétence à aller vers les salariés et leur travail, alors qu’elle a plutôt eu tendance à s’en éloigner ces dernières années. Mais rien n’est écrit, cela dépendra des RH eux-mêmes. » L’incertitude est d’autant plus forte que l’automatisation reste elle-même tributaire de facteurs essentiellement humains. « L’automatisation n’est pas une obligation, rappelle Diane Dejoux. En Chine, beaucoup d’entreprises conservent des employés alors qu’elles pourraient automatiser leurs tâches. C’est d’abord une question de coût de la main-d’œuvre, mais aussi une question de choix stratégique de l’entreprise et de l’État. En Occident, nous avons tendance à penser que la productivité passe par l’automatisation, mais ce n’est pas le cas de toutes les cultures. »

Au Lab RH, Alexandre Stourbe veut croire que la DRH va devenir le « berger du troupeau », tablant sur une réduction des effectifs RH à mesure que la digitalisation montera en puissance. « La DRH sera plutôt dans une impulsion qui sera relayée par les managers, pronostique-t-il. Il faut aller vers ce scénario, car il favorise une plus grande proximité avec les collaborateurs et une meilleure écoute. Il permet aussi d’être plus immergé dans l’organisation et davantage à l’écoute des différentes directions. » Être à l’écoute, immergé, en osmose avec un environnement mouvant pour mieux anticiper et, le cas échéant, réagir, voire trouver une nouvelle voie stratégique ? Par un retour paradoxal, la digitalisation a peut-être rendu la fonction RH encore plus… RH, en la mettant en prise directe avec les exigences des collaborateurs et des managers.

Les RH pilotes de market place ?

Qui aurait pu imaginer un tel dénouement ? En 2016, le groupe Vinci organise une convention classique qui réunit les parties prenantes impliquées dans la transformation digitale des métiers RH. Dans la foulée, une série d’expérimentations est lancée. Un an plus tard, pour restituer les résultats de ces expérimentations, plutôt que d’en passer par les sempiternels messages mails, PDF explicatifs et autres fichiers Excel, l’idée de lancer un wiki se fait jour. Celui-ci va rapidement devenir le HR Digistore, un outil en ligne qui recense les solutions testées et qui diffuse les avis, les appréciations et les suggestions de ceux qui les ont utilisées. « C’est un outil qui procure un gain de temps important, car il permet de trouver rapidement des solutions, explique Patrick Plein, directeur Digital Working du groupe Vinci. Depuis 2018, l’application liste aussi les prestataires des RH ainsi que les commentaires des collaborateurs RH qui y ont eu recours. » Le HR Digistore a déjà été visité par 1 000 collaborateurs et reçoit en moyenne 200 visites par mois. Un succès qui n’aura exigé que six semaines de mise au point pour un coût « raisonnable ». S’il n’est pas adepte des systèmes de notifications qui peuvent devenir invasifs, Patrick Plein admet réfléchir à un système qui avertirait les utilisateurs des nouveautés du HR Digistore. La simplicité de la démarche, son efficacité et son caractère précurseur ont séduit le jury de l’ANDRH, qui lui a décerné son prix 2018 de la « disruption numérique ».

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins