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Comment ils sont devenus des « DRH numériques »

À la une | publié le : 01.01.2019 | Lucie Tanneau

Jérôme Bouron, ex-DRH du groupe SOS et lauréat du trophée DRH numérique de l’ANDRH 2017, et Sébastien Graff, DRH d’InVivo, racontent leur expérience de transformation numérique. Selon eux, la force des DRH dans l’évolution des organisations est une question d’état d’esprit : le DRH doit devenir le leader de la transformation de l’entreprise.

Pour vous, quelle est la définition du DRH numérique ?

Jérôme Bouron : C’est quelqu’un qui a compris que la transformation numérique allait toucher le cœur du travail (et non pas simplement numériser les processus effectués précédemment sur papier), et outiller la fonction RH ou inclure le collaborateur dans un environnement qui correspond aux usages de travail. Le DRH numérique comprend la transformation du travail et la prépare.

Sébastien Graff : Le métier du DRH consiste aujourd’hui à accompagner la transformation digitale des organisations, et la digitalisation est un des leviers fondamentaux. Véritable chef d’orchestre dans ce domaine, le DRH numérique est à la manœuvre de la transformation digitale, essentielle au développement de l’entreprise.

Comment devient-on un DRH numérique ?

J. B. : Le groupe SOS partait d’une situation digitale qui méritait un progrès significatif, il a donc décidé de mettre en place un programme d’ampleur pour numériser les processus, pour rénover les outils de gestion des paies, du temps, et pour lancer des projets démonstratifs afin de faciliter le travail. Par exemple, nous avons créé des Moocs de recrutement avec la start-up The Mooc Agency : cela permet au manager d’améliorer son recrutement, et au candidat de mieux comprendre les attentes de l’entreprise et de mieux s’y intégrer. Aussi, même pour les candidats qui ne sont pas retenus, cela s’avère positif, puisque le Mooc leur permet de réactiver leurs compétences. Nous avons également digitalisé l’ensemble du parcours professionnel en créant un outil sur les « talents » présents dans l’organisation, ainsi qu’une start-up, Les Bons profils. Elle propose, sur un job board, à d’autres organisations, les profils ayant suivi un parcours de première qualification dans le groupe. Parmi d’autres exemples, nous sommes aussi allés sur le terrain de la réalité virtuelle dans le monde de la santé, pour préciser les gestes par des outils virtuels, notamment.

S. G. : Depuis 2014, InVivo fait face à de nouveaux défis. D’une part, celui de produire plus et mieux afin de nourrir la planète de demain, tout en prenant soin de la santé des consommateurs et de la nature, et d’autre part, celui d’atteindre la taille critique pour défendre les enjeux de l’agriculture française au niveau mondial. À cette époque, on ne parlait pas encore de numérique. Mais le projet stratégique que nous mettons en place produit des effets favorables : nous sommes passés de 1 200 personnes en 2008 à plus de 10 000 aujourd’hui. Nous nous sommes demandé comment accélérer encore le projet. En 2016, InVivo a décidé de se lancer pleinement dans la transition numérique. Pour cela, nous avons identifié les écueils et nous avons capitalisé sur les retours d’expériences que d’autres ont connu. Nous sommes rapidement devenus le premier fournisseur de logiciels agricoles en France (+ 50 000 agriculteurs), et nous avons aujourd’hui environ 300 collaborateurs dédiés au digital avec un impact fort sur le business et sur le développement des compétences internes.

Quelle est la première action que vous avez mise en place ?

J. B. : Le rôle du DRH numérique est d’abord de veiller à ce que la transformation soit inclusive. Par exemple, des travailleurs sociaux accompagnent des personnes en situation de précarité, parmi lesquelles certaines n’ont plus leurs papiers : une équipe a donc développé un cloud solidaire, dont un coffre-fort numérique, pour aider ces personnes à conserver leurs documents. Les salariés y ont été formés afin de les aider à bien vivre ce changement.

S. G. : La première chose a été d’écrire le projet numérique 2025. La deuxième, de mettre en place la digitalisation du projet. La troisième a été, en tant que DRH, d’accompagner le changement au sein de l’entreprise. La révolution n’est pas technologique, mais humaine : il s’agit de faire évoluer les compétences et les appétences des collaborateurs. La première étape concrète a donc été de déménager le siège dans un nouvel environnement complètement ouvert et dématérialisé, en supprimant le papier, notamment la fiche de paie. C’est un changement de culture marquant pour l’entreprise : en RH, la fiche de paie est un marqueur, un symbole ! Une minorité de personnes a, dans un premier temps, demandé à conserver le papier, mais aujourd’hui, on est à 100 % digital.

La transition s’est faite en combien de temps ?

J. B. : Il existait déjà plusieurs briques numériques avant mi-2016, mais c’est à cette date que le processus s’est accéléré. Nous pouvons parler d’un an et demi de transformation digitale, en prenant soin d’inclure les 17 000 collaborateurs. Le processus est évidemment toujours actif.

S. G. : La transition a pris un an et demi sur les fiches de paie. Autant que pour l’écosystème de start-up que nous avons mis en place autour d’InVivo : nous permettons aux jeunes entreprises d’interagir avec nos équipes, via des canaux de communication afin de percoler nos cultures et de développer l’intrapreneuriat.

Concernant la digitalisation, il est difficile de donner un délai définitif, car cela évolue sans cesse. Chaque jour, de nouvelles offres, de nouvelles initiatives, de nouvelles propositions digitales apparaissent à travers le monde. La phase d’impulsion, dont la dynamique était forte, a pris environ un an. Mais c’est comme pour le vélo : si on arrête de pédaler, ça s’arrête !

De qui vous êtes-vous entourés ?

J. B. : Ces projets partent d’abord de l’observation des collaborateurs en situation de travail. Nous avons envoyé un questionnaire (numérique et papier) à l’ensemble des salariés : cette phase d’écoute sans jugement de la part du DRH et des managers est importante. Nous avons ainsi identifié 500 personnes qui avaient besoin d’une formation au socle de savoirs numériques : nous avons alors confié ces formations à Escale et à Reconnect.

S. G. : Nous nous sommes beaucoup appuyés sur les compétences internes, très riches. Il y a des années, c’est l’entreprise qui apportait les compétences. Aujourd’hui, avec le numérique, il y a une inversion des tendances. Par exemple, le compte Twitter de Thierry Blandinières, notre DG, est géré par une femme de moins de 30 ans, et c’est elle qui a expliqué son usage à son aîné. Il a fallu mettre en place un environnement favorable pour faire émerger ces initiatives et ces compétences.

Ensuite, on a racheté des sociétés avec une grande maturité numérique pour aller plus loin. Au lieu de passer par le recrutement, nous avons fait des rachats et nous avons organisé du e-learning à la place de notre campus d’entreprise. Nous n’avons pas non plus institué de Chief Digital officer, car nous considérons qu’avoir un chef sur ce sujet n’est pas adapté : nous pensons que ce sont les leviers numériques qui mettent en place la transformation de l’organisation.

Qu’est-ce qui a été le plus dur ?

J. B. : Certains projets, qui relèvent de la transformation, n’aboutissent pas. Ce n’est pas forcément un problème, mais il faut avoir la lucidité de les arrêter, et ce sans tarder. Mais la plus grande difficulté, à mon sens, est de faire comprendre à l’ensemble du corps social qu’il faut être acteur de la transformation, sauf à être chahuté par elle. Le DRH doit faire ce travail en amont, puis doit savoir, sans céder aux sirènes de la mode technologique, associer les bonnes expertises afin d’être le garant d’une bonne transformation inclusive.

S. G. : La première difficulté a été de changer mes habitudes, comme organiser ma communication de DRH, par exemple, sur Twitter, et de trouver ma ligne éditoriale. Il est difficile de gérer l’immédiateté de l’information tout en restant crédible et positif. La deuxième difficulté a été d’embarquer les partenaires sociaux, car nous nous heurtons à des clivages politiques. Certains syndicats renvoient aussitôt à la question de la déconnexion, qui est à part du digital, même si elle est légitime. On se heurte à des dogmes. Si la direction, les collaborateurs, les managers et les start-up ont joué le jeu, cela a été difficile avec certains partenaires sociaux. Mais aujourd’hui, ils commencent à faire leur propre révolution. Ils ont même organisé un vote électronique et acceptent les réunions par Skype. Le changement s’installe de façon naturelle.

Quel conseil donneriez-vous à un DRH qui souhaite se lancer ?

J. B. : De partir des besoins des personnes qui travaillent dans son organisation. Pour qu’un projet soit utile durablement, il faut partir de la capacité des personnes qui composent le corps social à le prendre en main. Il faut partir du travail réel et analyser ce qui, dans le processus, gagnerait à la transformation digitale. On peut se dire que la numérisation de certaines tâches peut diminuer la pénibilité du travail ou les TMS, mais le DRH doit veiller à ce que cette transformation n’exclue pas les personnes qu’elle est censée aider. Le DRH doit veiller à les accompagner dans le changement ou dans une mobilité. Cela relève d’une responsabilité individuelle du DRH et des managers, ainsi que d’une responsabilité collective, sociétale.

S. G. : Je lui donnerais plusieurs conseils ! Le premier est qu’il faut savoir lâcher prise et prendre des risques : si on veut, coûte que coûte, sauver son positionnement hiérarchique, en maintenant ses habitudes, ça ne peut pas fonctionner. Il faut s’adresser à tout le monde, et c’est plus facile dans des organisations plates. Le deuxième c’est de faire confiance aux jeunes : il faut mixer les équipes (âges, niveaux de responsabilité, expériences…). Le troisième est que nous ne pouvons pas faire de digital si nous n’avons pas un projet à la base. Le digital est un outil pour accélérer le projet d’entreprise. C’est le projet qui donne le sens à la démarche.

Tous les DRH doivent-ils y passer ?

J. B. : Il existe sans doute des secteurs dans lesquels ce sera moins immédiat ou moins intense, mais il faut se poser la question et analyser les besoins de son corps social. Chaque organisation évolue à son rythme et selon ses moyens, mais il me semblerait déraisonnable de ne pas y réfléchir, partout, dès maintenant.

S. G. : Je milite pour que le DRH soit intimement lié à la stratégie d’entreprise. Quand j’ai commencé à travailler, le DRH était un administratif. Ensuite, il s’est consacré aux relations sociales. Puis, il est devenu business partner. On en parle beaucoup, mais je crois que c’est un peu dépassé. Aujourd’hui, le DRH est au centre de la transformation stratégique de l’entreprise, et le numérique est un bon pivot pour assurer ce rôle. Cet outil permet d’embarquer le collectif et d’infléchir sur les décisions. Cependant, le digital doit être utilisé à bon escient et pour des projets solides, faute de quoi il peut rapidement consumer les ressources d’une organisation tout en ne produisant aucune plus-value.

Auteur

  • Lucie Tanneau