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Faut-il contrôler les télétravailleurs ?

Idées | Débat | publié le : 01.12.2018 |

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Faut-il contrôler les télétravailleurs ?

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En assouplissant les règles du télétravail tout en précisant les droits des salariés en 2017, le Gouvernement a tenté d’accroître la pratique, avec une meilleure productivité en ligne de mire. Pourtant, un quart des salariés seulement télétravaillent dans l’Hexagone, contre une moyenne mondiale de deux tiers. La faute, selon certains, au manque de confiance des entreprises envers leurs collaborateurs. Comment sortir de cette situation ? Telle est la question, que l’on peut aussi poser autrement…

Florence Bouyer : Référente nationale pour la mise en place du télétravail, CNRS.

En favorisant le développement du télétravail, le législateur n’a pas souhaité remettre en cause la relation de travail ni celle entre collègues ni celle encadrée par un lien hiérarchique. Reste que, dans une culture organisationnelle où le présentéisme est tellement ancré qu’il peut s’avérer discriminant, le télétravail nous rappelle avec force que la relation de travail est basée sur la confiance avant tout. Il évoque à la fois l’intérêt du collectif de travail, mais aussi le besoin pour les salariés de donner du sens à leur activité quotidienne. Le travail manquerait-il de sens que le télétravail lui en redonnerait… Qu’aurions-nous à y perdre ? La littérature grise montre à qui veut la lire que les salariés sont plus productifs en télétravail. Ne soyons pas aveugles : le manager qui cherche à contrôler en permanence ses collaborateurs n’obtiendra jamais ne serait-ce que la moitié de la performance, individuelle ou collective, qu’un autre manager saura tirer d’une équipe en qui il a confiance et avec qui il aura su définir des objectifs atteignables. « Le télétravail n’exige pas davantage de contrôle, mais plutôt un changement dans la manière de l’exercer », nous dit François Pichault.*

Parfois, je me demande ce qui explique cette montée du soupçon envers les télétravailleurs. Sans doute y a-t-il dans cette nouvelle modalité une certaine abolition des privilèges, ainsi qu’une proximité avec le domicile que le travail en site distant ne connaît pas. Et si l’employé pouvait mieux articuler sa vie privée avec sa vie professionnelle, aurions-nous perdu de l’efficacité professionnelle et de la productivité ? Bien au contraire !

Martine Bordonné : Référente télétravail chez Orange.

Dans un écosystème transformé par le numérique, Orange s’est saisie du sujet du télétravail dès 2009 pour questionner, de façon collaborative, l’organisation et le management du travail. Aujourd’hui, plus de 23 000 des salariés d’Orange le pratiquent de manière régulière et/ou occasionnelle. Ce big-bang du télétravail bouleverse nos méthodes habituelles et défie les façons de faire établies. Il modifie les repères individuels et collectifs, et réinterroge les critères de l’efficacité au travail ainsi que nos modes de management.

Un premier constat qui s’appuie sur des témoignages : faire une demande de télétravail engage un dialogue porteur entre salarié et manager. C’est l’occasion de reparler des missions, d’exprimer des attentes réciproques et d’aborder d’éventuels points de difficulté.

Un manager me disait récemment : « La distance rapproche. » Il me parlait de sa conscience accrue de l’attention à prêter aux autres quand leur présence n’est plus une évidence routinière, mais une opportunité parmi d’autres de créer de la relation. Gérer au quotidien le télétravail par un renforcement, voire un excès de contrôle est contraire à l’esprit même de notre dispositif reposant sur la confiance, l’un des critères clé d’éligibilité au télétravail. Notre accord prévoit tout au long de cette période des points réguliers entre managers et managés, pour ancrer l’échange et la collaboration dans la relation. Je vois le télétravail comme une pelote que l’on peut tirer à l’infini afin de faire émerger de véritables questions sur ce que représente le travail pour chacun, et ce qu’il structure dans la vie des personnes et du collectif.

Caroline Diard : Professeure associée en management des ressources humaines, école de management de Normandie.

Lors d’une situation de télétravail, le rapport entre autonomie et contrôle du salarié questionne : la hiérarchie est moins présente physiquement, les relations sont supposées être basées sur la délégation ainsi que sur la confiance et non sur le contrôle. Le degré d’autonomie du collaborateur dépend de son management et de l’organisation qui l’emploie.

La distance géographique entre le salarié et l’employeur favorise l’autonomie et l’auto-organisation du collaborateur. Les outils technologiques mis à disposition par l’entreprise pour permettre le travail à distance sont facilitateurs : aisance dans la communication et rapidité dans la gestion des dossiers. La question est de savoir si cette mise à disposition n’induit pas un risque d’invasion du territoire personnel au profit du territoire professionnel. D’autant que les outils technologiques pourraient permettre un contrôle du travail des salariés. Toute surveillance constante est heureusement prohibée. En outre, l’article L 2242-8 du Code du travail, qui prévoit le droit à la déconnexion, en vigueur depuis janvier 2017, a réglé en partie ce problème. D’ailleurs, l’employeur, grâce aux outils de connexion, peut vérifier si le collaborateur est bien déconnecté, charge à lui de ne pas le contacter en dehors des horaires convenus.

Reste que, dans une situation de télétravail, le salarié étant pour une partie du temps au moins en dehors des locaux de l’entreprise, les questions de l’évaluation, du reporting et de la performance se posent. L’intervention de l’employeur est-elle nécessaire ? Pas forcément, puisque télétravail favorise l’autonomie, les collaborateurs développent d’eux-mêmes une forme d’autocontrôle. Conséquence, la surveillance du télétravailleur peut s’exercer à travers cette forme d’autocontrôle…

Ce qu’il faut retenir

// Bonne nouvelle : selon le baromètre 2018 du télétravail réalisé par Obergo avec le concours de la CFDT Cadres, l’augmentation de la productivité ainsi que celle de la qualité du travail fourni sont les principaux bénéfices économiques du télétravail, respectivement mis en avant par 86 % et 84 % des télétravailleurs sondés.

Source : https://zevillage.net/wp-content/uploads/2018/05/2018-05-17-OBERGO-Rapport-enquete-Teletravail-2018.pdf

// Mauvaise nouvelle : certes, le télétravail ne cesse d’augmenter en France, puisqu’il est passé de 2 % des salariés en 2005 à 25 % aujourd’hui mais la pratique n’est contractualisée que pour 6 % des salariés, les 19 % restants travaillant à distance de façon informelle.1 Pas étonnant d’ailleurs que, selon Légifrance, seuls 124 accords de télétravail aient été signés ces dernières années, même si la pratique est parfois couverte par un accord plus large, notamment sur la qualité de vie au travail.2

// Ailleurs : selon une étude*, les Brésiliens sont champions du monde du télétravail, 80 % d’entre eux travaillant souvent ou parfois en dehors de leur bureau.

En chiffres

82 %

C’est le pourcentage des dirigeants qui estiment que l’engagement des salariés, ainsi que la responsabilisation et l’autonomie (pour 80 % des dirigeants), sont les principaux bénéfices de la mise en place du télétravail.*

65 %

C’est le pourcentage de télétravailleurs qui identifient le risque d’isolement social et de perte de l’esprit d’équipe comme premier inconvénient du télétravail.*

* Docteur en sociologie, François Pichault est professeur à l’université de Liège, où il anime des enseignements liés à la gestion des ressources humaines et à la théorie des organisations.

(1) Source : www.malakoffmederic.com/groupe/blobs/medias/s/326248d416e036a5/2018-01-23-CP_Malakoff-Mederic-Etude-Teletravail.pdf

(2) Source : www.legifrance.gouv.fr/rechAccordsEntreprise.do?reprise=true&page=1

*Source : www.polycom.fr/content/dam/polycom/common/documents/whitepapers/changing-needs-of-the-workplace-whitepaper-frfr.pdf

*Source : www.malakoffmederic.com/groupe/blobs/medias/s/326248d416e036a5/2018-01-23-CP_Malakoff-Mederic-Etude-Teletravail.pdf