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Une réforme universelle, lisible et équitable

Dossier | publié le : 01.12.2018 | Lisiane Fricotté

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Une réforme universelle, lisible et équitable

Crédit photo Lisiane Fricotté

Remédier à l’empilement de règles résultant de l’existence des 42 régimes de retraite, préserver une certaine solidarité et renforcer l’équité, notamment vis-à-vis des personnes confrontées à de nouvelles formes d’emploi. Les premières orientations de la future réforme ont été mises sur la table. Décryptage sur les enjeux de cette révolution dans le système français de protection sociale.

Consultation citoyenne, ateliers participatifs, concertation avec les partenaires sociaux. La volonté affichée par l’exécutif de faire de la pédagogie suffira-t-elle pour enrayer le caractère potentiellement explosif de la réforme des retraites ? En tout cas, force est de constater que le Gouvernement, à travers la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn, avance pas à pas et que le haut-commissaire à la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, lève progressivement le voile sur les contours de la réforme. La concertation avec les partenaires sociaux dure maintenant depuis plus de six mois puisqu’elle a été ouverte en avril 2018. En parallèle, un dispositif de consultation en ligne a été mis en place sur une plateforme participative.

Mais c’est le 10 octobre dernier que les organisations syndicales et patronales représentatives se sont réunies au ministère des Solidarités et de la Santé et qu’ont été dévoilées les grandes orientations retenues, sonnant le véritable coup d’envoi de la réforme. Parmi les leviers servant à définir le futur système, les questions relatives à l’âge de la retraite et au principe de calcul de la pension sont au cœur des débats.

Le 5 novembre dernier, une nouvelle étape a débuté avec des réunions bilatérales, qui « viseront à approfondir le travail effectué jusqu’ici et, en particulier, à examiner les questions relatives à la gouvernance, au pilotage et à l’organisation du système universel, aux différents sujets liés aux conditions de départ, à l’examen des situations particulières, ainsi qu’aux modalités de transition entre l’ancien et le nouveau système », indique-t-on dans les sphères gouvernementales. Autant dire que beaucoup reste à faire. Les premières réunions portent sur l’examen des modalités d’entrée en vigueur de la réforme des retraites et sur les générations concernées. Ne seraient pas concernées par la réforme les personnes qui seront à moins de cinq ans de l’âge de départ lors de l’adoption de la loi. Celle-ci devant être adoptée en 2019, les générations jusqu’en 1962 (susceptibles de partir d’ici 2024) seraient en dehors du nouveau système. Restent à connaître les détails de cette règle, selon les cas particuliers comme les départs anticipés.

Nouvelle borne d’âge ?

En réalité, pour les salariés du secteur privé, la réforme commencera par le socle complémentaire et ce, dès le 1er janvier 2019, avec l’instauration d’un système de décote temporaire pour les personnes qui partiront dès l’âge légal. Concernant la future réforme, « il y aura toujours un âge légal de la retraite à partir duquel on pourra liquider ses droits. Il restera fixé à 62 ans », martèlent les autorités politiques. Mais il n’est pas exclu qu’une autre borne d’âge soit fixée : un âge pivot à partir duquel la personne pourrait faire liquider ses droits, sans décote temporaire. Une règle directement inspirée de ce qui sera effectif dans le régime complémentaire unifié (Agirc-Arrco). Les réactions sur l’éventuelle extension de ce mécanisme au futur régime de retraite ne se sont pas fait attendre. Pour les représentants syndicaux, pas question de revenir sur l’âge légal.

Pourtant le décalage entre l’âge légal et l’âge effectif de liquidation de la retraite sera déjà en place à partir de 2019. Certains salariés du secteur privé préféreront attendre un an de plus pour ne pas voir leur retraite complémentaire amputée pendant trois ans. C’est d’ailleurs le but avoué de l’accord du 30 octobre 2015 que d’agir sur les comportements des salariés en fin de carrière. Dans quelle mesure les bornes d’âge nouvellement fixées auront-elles une influence sur le choix des salariés ? Difficile d’anticiper, mais les directions des ressources humaines auront à prendre en compte, dès 2019, le non-alignement (sauf exceptions) de l’âge de départ dans le régime de base et dans les régimes complémentaires et ce, sans attendre les arbitrages de la future réforme.

Un mécanisme de solidarité réexaminé

Sur les règles de calcul, une partie du voile a été levée : le nouveau système devrait garantir une prise en compte des revenus, dans la limite de trois fois le plafond de la Sécurité sociale. Actuellement, dans le régime de base, géré par les caisses d’assurance retraite, les revenus pris en compte sont limités à une fois le plafond de la Sécurité sociale. Les régimes complémentaires, gérés par les partenaires sociaux, interviennent, quant à eux, jusqu’à huit fois le plafond de Sécurité sociale (avec des taux différents selon les « tranches » de rémunération). La question se posera donc de l’articulation entre le nouveau système et les garanties complémentaires. Aucune précision n’a été apportée ni sur les modalités de gouvernance, ni sur le devenir des droits acquis dans les régimes complémentaires à hauteur de trois plafonds, ni sur les droits au-delà de trois plafonds.

Des questions sur la conversion en points

À la base ainsi définie (trois plafonds maximum) s’appliquerait un mécanisme de calcul par points. En pratique, des points sont « achetés » tout au long de la carrière (via les cotisations) et, au moment de partir à la retraite, les points sont cumulés. Pour déterminer le nombre de points acquis et le niveau de retraite, deux éléments sont essentiels : le prix d’achat du point qui sert à la conversion des cotisations et la valeur du point qui sert au calcul de la retraite au moment du départ.

Plusieurs outils de pilotage sont susceptibles d’intervenir et d’impacter le rendement des cotisations et le niveau des retraites. Première interrogation : toutes les cotisations seront-elles prises en compte pour la conversion du montant des cotisations en points ? Dans les régimes complémentaires, par le biais du « taux d’appel » et des « contributions d’équilibre », il y a en effet une différence notable entre les cotisations réellement versées et celles prises en compte pour calculer le nombre de points. De tels mécanismes seront-ils instaurés dans le futur régime afin de couvrir les frais de gestion et d’assurer des réserves ? « Le taux sera proche de la situation actuelle, de l’ordre de 28 % pour les assurés et leurs employeurs », a-t-il été mentionné lors de la présentation aux partenaires sociaux. Mais quid notamment des différences de taux actuels selon les tranches de rémunération ?

Deuxième question : le prix d’achat du point et la valeur du point évolueront-ils de la même manière ? Dans les régimes complémentaires, qui fonctionnent par points, on a assisté à un décrochage important entre les deux, ce qui a conduit à un « rendement décroissant » du régime. Autrement dit, le prix d’achat du point a continué de progresser alors que la valeur du point n’évoluait plus ou, du moins, pas dans les mêmes proportions. Autant de paramètres qui impactent fortement le calcul et le montant d’une retraite par points et qui, pour l’instant, n’ont pas été précisés pour le futur régime.

Des corrélations avec les nouvelles formes d’emploi…

Le système actuel est considéré comme mal adapté aux mobilités professionnelles et aux parcours comprenant des interruptions d’activité (maladie, chômage, invalidité, maternité…) ainsi qu’aux diversités de statut. De plus en plus de salariés n’ont pas de carrière linéaire. En moyenne, le tiers des assurés est affilié à au moins quatre régimes ou plus (base et complémentaire). « Cette complexité institutionnelle se double de formules de calcul de la pension qui diffèrent d’un régime à l’autre et de dispositifs de solidarité qui ne sont pas les mêmes selon les régimes. »

Le nouveau système prendra donc en compte les mutations des formes et des trajectoires d’emploi comme cela a été évoqué lors d’ateliers organisés par Sharers et Workers, France Stratégie et l’Igas, le 16 octobre 2018. Il devrait également unifier les règles sur les points accordés en cas d’enfant ou en cas d’aléas de carrière ou de vie.

… et avec les conditions de travail et la santé

Le nouveau système devrait prendre en compte les spécificités de certaines situations : handicap, carrières longues, métiers pénibles ou dangereux, « dès qu’ils reposent sur des différences objectives », a-t-il été précisé lors de la présentation des orientations. Sera-t-il fait référence aux facteurs de risques professionnels figurant dans le Code du travail ? Comment seront repris les dispositifs visant les salariés handicapés ou les personnes ayant commencé leur activité avant 20 ans ? En tout état de cause, la souplesse éventuelle qui pourrait être apportée avec un régime par points (départs avant, à l’âge légal ou après) reste largement liée à l’état de santé. Ainsi, le rapport « Les seniors, l’emploi et les retraites » (octobre 2018) revient sur le taux d’emploi des seniors. Comme le soulignent les auteurs, Emmanuelle Prouet et Julien Rousselon, « si les Français vivent de plus en plus longtemps, les années de vie supplémentaires ne sont pas uniquement des années de vie en bonne santé : l’espérance de vie sans incapacité à 50 ans est relativement stable depuis le début des années 2000 ». Un sujet qui ne pourra être passé sous silence dans la perspective d’un âge de retraite effectif de plus en plus décalé.

1 461 euros de pension en moyenne

La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Les retraités et les retraites, édition 2018, donne une vue d’ensemble sur le paysage des retraites, tous régimes confondus. Fin 2016, 16,1 millions de personnes ont une retraite de droit direct. Soit plus de 17 millions de personnes en comptant celles qui bénéficient de droits dérivés. Fin 2016, l’âge moyen de départ est de 61 ans et 10 mois (au lieu de 60 ans et 6 mois en 2010). Sur le niveau des pensions, la Drees indique un montant moyen de droit direct de 1 461 euros, avec un écart qui reste important entre les femmes (1 091 euros) et les hommes (1 891 euros). Cet écart est en partie compensé par le versement de pension de réversion, dont bénéficient majoritairement les femmes, mais il reste de l’ordre de 29 %. Autant dire que les questions de parcours de vie et d’égalité professionnelle restent incontournables.

Par ailleurs, la Drees fait état d’une diminution du taux de remplacement par rapport au dernier salaire.

L’étude souligne que les retraites et l’invalidité sont le premier poste de dépenses de la protection sociale (308 milliards d’euros en 2016) et relève également la faible place de la retraite supplémentaire : 2 % du total des prestations de retraite.

Auteur

  • Lisiane Fricotté