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Le combat sans relâche contre le chômage

Décodages | Emploi | publié le : 01.12.2018 | Sophie Massieu

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Le combat sans relâche contre le chômage

Crédit photo Sophie Massieu

Créer de nouvelles activités sur un territoire et ainsi répondre à des besoins encore non satisfaits à ce jour, afin d’offrir des emplois à destination de personnes qui en sont éloignées, voilà le double pari réussi d’une dizaine de collectifs. Ces derniers ont expérimenté le dispositif Territoires zéro chômeur de longue durée. Reportage dans l’un des plus ruraux et étendus d’entre eux, en Meurthe-et-Moselle.

Gérard sort du hangar de La Fabrique, et se dirige vers son tracteur. Il se rend dans des champs voisins, pour encadrer son équipe de maraîchers bio. À quelques mètres de son engin, le seuil du bâtiment de mille mètres carrés franchi, un bruit de sableuse accueille le visiteur. Des menuisiers sont occupés à poncer minutieusement des chaises jusque dans les plus fins recoins de leurs moulures avant de poursuivre leur restauration. Chacun effectue ses tâches et l’atmosphère de ce matin d’été indien est affairée. Bienvenue dans le petit village de Bulligny, au sud-ouest de Nancy, au cœur de la Meurthe-et-Moselle et dans une société pas tout à fait comme les autres. La Fabrique est une entreprise à but d’emploi (EBE). Elle fait partie de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée et a ouvert ses portes il y a presque deux ans maintenant, en janvier 2017. Recyclerie, maraîchage, travaux en bâtiment ou de bûcherons… elle réalise diverses prestations qui nécessitent autant de compétences différentes de ses salariés, et qui répondent à des besoins jusque-là non couverts sur le territoire. Dans la communauté de communes qui l’accueille, celle du Pays de Colombey et du Sud Toulois, les demandeurs d’emploi se voient ainsi désormais d’abord qualifiés de « proposants » et non de « chômeurs » et disposent d’un « droit à l’emploi ». « Après deux ans de chômage, j’ai proposé de monter une activité de recyclerie », témoigne Philippe, menuisier. Aujourd’hui, cette activité a permis à une dizaine de personnes de retrouver un emploi, en lien avec leurs compétences. En menuiserie bien sûr mais aussi en logistique, en transport, en traitement des déchets, ou en vente dans la boutique…

Investir dans la création d’emplois sur mesure.

Yannick, arrivé en juin dernier comme menuisier après des problèmes de dos causant son licenciement, confie y avoir retrouvé sa dignité : « Signer un CDI nous donne un nouvel élan, et faire ce qu’on sait et aime faire nous remet en valeur. Je sais pourquoi je viens ici le matin, et le soir je n’arrive pas à repartir. Je ne regarde pas la montre. D’ailleurs, je n’en ai pas ! » L’idée de combattre le chômage de longue durée en créant des emplois sur mesure, conformes aux compétences des demandeurs d’emploi autant qu’aux besoins d’un territoire donné, est née au sein de l’association ATD quart monde en 2014. Pour convaincre, elle a commencé par estimer pour la collectivité nationale le coût financier que représente une personne sans emploi : problèmes de santé, manque à gagner en matière de cotisations sociales… Selon elle, cela représentait 15 000 euros par an et par personne. Un chiffre que l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques) puis la Cour des comptes française évaluaient plutôt à 25 000 euros. Ces calculs réalisés, le souhait a été que ces sommes soient investies dans la création d’emploi plutôt que dans le soutien à des personnes qui en resteraient privées.

Mobilisation générale du territoire.

Substituer un soutien à l’activité économique qui permet l’insertion professionnelle à un versement d’aides sociales à destination de personnes qui demeuraient exclues du vivre ensemble, voilà qui a séduit d’emblée la communauté de communes du pays de Colombey et du Sud Toulois, à commencer par Philippe Parmentier, son président. Sur 400 kilomètres carrés, 11 500 habitants peuplent 38 villages. Un territoire économiquement malmené par le déclin industriel, et qui a subi de nombreuses fermetures d’usines : « D’emblée, explique l’élu, nous avons poursuivi un double objectif : social bien sûr, en expérimentant une nouvelle façon d’appréhender le chômage, mais aussi économique, pour trouver des outils afin de développer un territoire sinistré comme le nôtre. »

Dès 2014, une « mobilisation générale » des acteurs s’est mise en place. Les élus ont d’abord établi un diagnostic, qui leur a permis de définir le nombre de chômeurs de longue durée potentiellement concernés : 550. « Nous avons commencé par les rencontrer, raconte Aurélie Mathelin, chef de projet Territoires zéro chômeur de longue durée, dans cette communauté de communes. Nous voulions recenser leurs compétences. Parallèlement, nous avons échangé avec les acteurs économiques ou politiques du territoire pour découvrir les besoins non satisfaits. Ce n’est pas le travail qui manque, mais la possibilité de créer des emplois. » Pionnière, la communauté de communes a aussi compté parmi celles qui ont beaucoup appuyé la proposition de loi permettant cette expérimentation. « Un bus transportant des élus ainsi que des personnes en recherche d’emploi s’est rendu à Paris pour montrer notre mobilisation », se souvient Philippe Parmentier. Adoptée à l’unanimité, fait rarissime, en février 2016, la proposition de loi a vu ses décrets d’application paraître cinq mois plus tard et les dix premiers territoires retenus pour l’expérimentation en novembre. À la Fabrique, les premières embauches ont été réalisées en janvier 2017. « Je suis le contrat numéro un », claironne fièrement dans un large sourire Jean-Claude, en charge de nombreux travaux de bâtiment pour La Fabrique. Le projet lancé, le territoire reste investi. Un comité local décide des orientations stratégiques, à commencer par la création des activités portées par les entreprises à but d’emploi. « Les », et plus « la », parce qu’après La Fabrique, une deuxième EBE est née, dans un autre village de la communauté de communes : Laine en rêve.

Des partenariats avec les acteurs économiques.

Depuis mai dernier, cette société coopérative d’intérêt collectif, en partenariat avec les éleveurs d’ovins, valorise la laine en fabriquant des matelas. Catherine, 59 ans, a rejoint ses rangs début octobre : « Je cherchais un travail à temps complet, ce qui était quasiment impossible dans le secteur des activités périscolaires d’où je venais. J’aime beaucoup la couture, ce qui m’a permis de rejoindre Laine en rêve. » Céline, elle, à 37 ans, porte un autre projet qui pourrait bientôt voir le jour : celui d’une conserverie. Il s’agit actuellement de définir avec les agriculteurs les quantités de fruits qu’ils pourront fournir pour dimensionner, en conséquence, la capacité de transformation de matière première de cette future conserverie. En attendant, depuis son arrivée, à la fin de l’été, Céline a intégré l’équipe de maraîchage après avoir perdu son emploi dans la restauration et connu plus de deux ans de chômage.

Aujourd’hui, toutes activités confondues, le dispositif Territoire zéro chômeur de longue durée du Sud Toulois embauche, rémunérées au SMIC et à temps de travail choisi, environ 70 personnes. 70 autres se trouvent déjà dans les starting-blocks, à attendre de pouvoir gagner ses rangs. L’objectif revendiqué est de fournir un emploi aux personnes qui en cherchent un depuis au moins un an et qui sont installées sur le territoire depuis six mois minimum. « Le gain pour notre territoire, explique Philippe Parmentier, ne se comptabilise pas seulement en argent. Un membre d’une famille qui retrouve un emploi, ce sont des problèmes de délinquance dans les écoles en moins, une dignité retrouvée, un lien social recréé… Tout le territoire est gagnant, pas seulement les bénéficiaires de l’expérimentation. Alors, bien sûr, les aspects financiers ne sont pas négligeables et nous devons trouver des activités rémunératrices, mais ce n’est pas l’essentiel. » Actuellement, chaque salarié coûte 25 000 euros par an, et l’État verse une contribution à l’emploi de 18 000 euros. Le delta doit être couvert par le chiffre d’affaires de l’entreprise : « Notre défi majeur n’est pas tant de pouvoir nous passer de cette aide, explique Aurélie Mathelin, que de montrer que c’est un modèle économique viable. » Et respectueux de l’environnement. Parce qu’une autre fierté des promoteurs du projet et des salariés des EBE consiste à contribuer au développement des circuits courts et à la transition écologique.

Un modèle économique viable.

Il semble que deux ans après la création des premières EBE, le modèle ait commencé à faire ses preuves et à séduire en plus haut lieu. Le 13 septembre dernier, Emmanuel Macron a annoncé l’extension de l’expérimentation dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Nous ignorons encore le nombre de territoires qui seront concernés ainsi que la date de leur lancement. Et dans la communauté de Colombey, on s’interroge aussi sur la question de savoir ce qui se passera après 2022, à la fin des cinq premières années d’expérimentation…

Auteur

  • Sophie Massieu