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La CPME dopée par l’effet Asselin

Décodages | Patronat | publié le : 01.12.2018 | Benjamin d’Alguerre

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La CPME dopée par l’effet Asselin

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

La Confédération des petites et moyennes entreprises continue à s’affranchir de la tutelle du Medef pour jouer sa propre partition dans le concerto social. La stratégie semble s’avérer payante sur le plan de la communication, mais permettra-t-elle à la CPME de se faire durablement une place au soleil dans le nouveau monde paritaire qui s’ouvre ?

La transgression, quand on y a goûté une fois, a toujours un petit parfum de « reviens-y ». Depuis 2013, année au cours de laquelle elle s’est désolidarisée du reste du monde patronal en refusant de signer l’accord national interprofessionnel (ANI) sur la réforme de la formation – une première dans l’histoire du dialogue social depuis 1947 ! – la CPME semble bien décidée à sortir de l’orbite du Medef pour voler de ses propres ailes. « C’était un acte fort, presque fondateur dans le sens où l’on s’est émancipé de la tutelle du grand frère », se souvient François Asselin, président de la confédération.

À l’époque, l’enjeu était d’importance pour le syndicat des patrons de PME (qui s’appelait encore CGPME) : la réforme – poussée par le Medef et la CFDT – planifiait la réduction drastique de la contribution des grandes entreprises aux fonds mutualisés de la formation professionnelle (le « 0,9 % formation ») indispensables aux petites entreprises pour financer la formation de leurs salariés. Un rude coup pour les PME. Si l’ANI fut finalement signé, les fissures qu’il allait susciter dans l’unité d’un monde patronal habitué à parler d’une seule voix allaient se révéler profondes. Y compris pour le Medef dont le président de l’époque, Pierre Gattaz, faisait de la défense des PME l’un des grands axes de communication de son mandat. « Cet ANI a créé une dichotomie : d’un côté, Pierre se plaçait comme le porte-parole des PME, de l’autre, il donnait l’impression que le Medef continuait à négocier au profit des grands groupes… », se souvient Thibault Lanxade, alors en charge du dossier des PME-TPE au sein du mouvement de l’avenue Bosquet.

« Le Medef n’a pas compris à ce moment-là que quelque chose se brisait… », juge aujourd’hui François Asselin. Son élection à la tête de la confédération le 21 janvier 2015 marque d’ailleurs ce tournant de la CPME vers davantage d’autonomie, même si le refus de signer l’ANI revient à son prédécesseur, Jean-François Roubaud. Depuis, la CPME joue sa partition en solo dans le paysage social. Que ce soit en rompant de manière unilatérale le pacte de non-agression tacite qui existait entre elle et l’U2P (Union des entreprises de proximité, ex-UPA) au niveau des présidences des chambres des métiers de l’artisanat (où la Confédération des PME est venue tailler des croupières aux représentants des artisans en s’emparant de près d’un tiers des présidences de chambres aux élections consulaires de 2016), ou en prenant l’initiative, seule, d’une négociation sur la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE) qui aboutira à un accord signé en juin 2018 avec les cinq organisations syndicales. « Avec cet accord, la CPME a montré qu’il n’y avait plus de thèmes tabous pour elle », reconnaît Pierre Ferracci, président du Groupe Alpha et grand observateur du monde social. « Personne n’attendait vraiment la CPME sur les dossiers de responsabilité sociale et environnementale.

« Du syndicalisme d’appareil au syndicalisme de militants. »

C’était d’autant plus finement joué de la part de François Asselin qu’à l’époque, le Medef [encore présidé par Pierre Gattaz, NDLR] s’était violemment opposé aux conclusions du rapport Notat-Sénard sur l’objet social de l’entreprise », poursuit-il. De quoi dépoussiérer l’image d’une confédération ronronnante, fatiguée et parfois tentée par les sirènes poujadistes, arc-boutée sur les seules questions de coût du travail et de la fiscalité. Cette cure de rajeunissement a aussi touché la structuration interne de l’organisation, hier hypercentralisée autour du siège national, aujourd’hui avantage démocratique et transparente, selon les vœux du nouveau numéro un. « Il existe incontestablement un “effet Asselin” qui traverse la confédération : nous sortons d’un syndicalisme d’appareil pour nous diriger vers un syndicalisme de militants », observe Bernard Hadad-Cohen, président de la CPME de Paris-Île-de-France. Pour autant, malgré le modernisme affiché, la CPME « new-look » n’en reste pas moins campée sur ses fondamentaux de défense des petits patrons, « même si elle le fait de façon plus policée qu’avant », souligne un adhérent. En témoigne sa récente montée au front contre le prélèvement à la source et la hausse du tarif des carburants, même si, sur ce dernier point, la confédération n’a pas appelé ses troupes à se mobiliser lors de la journée de grogne du 17 novembre, craignant sa récupération par des mouvements populistes. « Jean-François Roubaud n’aurait peut-être pas eu cette prudence », avance-t-on dans l’entourage de François Asselin.

Relancer la machine à adhésions.

Mais cette attitude volontariste est aussi dictée par la nécessité. Si la CPME sort de sa tranchée pour monter à l’assaut, c’est aussi pour devenir une caisse de résonance auprès des petites entreprises et afin de relancer la machine à adhésions après la publication des résultats de représentativité patronale de 2017. « Ce fut un choc pour les organisations d’employeurs. Les chiffres d’adhésions fantaisistes qu’elles affichaient depuis des années ont été balayés pour laisser la place à une audience réelle plutôt décevante », explique un patron de fédération professionnelle. Exit les 400 000 à 500 000 adhérents imaginaires dont se targuait la confédération pour gonfler son poids dans le monde social. La réalité est qu’en 2017, la CPME ne comptait, selon les calculs de la DGT, « que » 144 939 entreprises adhérentes. Soit un peu plus que le Medef (123 387) même si ce dernier reste, de très loin, le plus gros employeur (8,52 millions de salariés contre 3 millions à la CPME). « L’effectif moyen de nos entreprises tourne autour de vingt salariés », précise Jean-Eudes du Mesnil du Buisson, secrétaire général du syndicat des patrons de PME. Dans ces conditions, la force de l’organisation patronale dépend aussi du nombre d’entreprises qui choisissent de lui verser leur cotisation chaque année. Un véritable enjeu puisque seuls 44 % des huit millions d’euros de budget annuel de la CPME proviennent des contributions de ses encartés… contre 85 % pour le Medef qui pourrait vivre sans les dotations versées au titre du paritarisme. Et c’est bien là le point faible de la confédération : les adhésions s’enregistrant au niveau des CPME territoriales qui les font ensuite remonter au national, c’est à l’échelon local que tout se joue. Précisément là où la CPME manque de militants, de budgets… et surtout de visibilité auprès du tissu entrepreneurial local. « Quand les dirigeants de TPE et de PME pensent “organisation patronale”, ils pensent “Medef”. Ils ne nous connaissent pas », admet Rodolphe Duchêne, agent Generali à Nancy et membre du bureau de la CPME de Meurthe-et-Moselle. Et faute de moyens, difficile d’attirer à soi les entreprises locales ou même de gagner en notoriété, surtout quand ces structures locales sont placées en concurrence frontale avec les Medef territoriaux, généralement bien mieux dotés et disposant des moyens nécessaires pour offrir une large palette de services et de conseils à leurs encartés. En matière de service aux entreprises de proximité, la CPME pouvait compter sur la formation professionnelle, grâce à Agefos PME, « son » OPCA, très bien implanté sur les territoires et qui pouvait faire office de porte d’entrée vers les entreprises locales. Autant dire que sa disparition prochaine au profit d’un futur opérateur de compétences au périmètre encore flou, inquiète.

« Si demain, nous n’avons plus Agefos pour frapper à la porte des PME, cela risque d’être compliqué de les convaincre de venir à nous », regrette le Nancéien.

Culture CPME.

Comment se démarquer des autres organisations patronales, alors ? En portant haut les couleurs de l’entreprise patrimoniale, répond Bernard Hadad-Cohen : « Nos adhérents, qui emploient, en moyenne, une dizaine de salariés, peuvent être des cabinets médicaux comme des plombiers. Nos problèmes s’appellent RSI ou TEG. Comment imaginer que nous les partageons avec les patrons du CAC 40 ? », demande cet assureur parisien dont la structure régionale multiplie les afterworks, les conférences, les colloques et même les sorties culturelles pour contribuer à rompre l’isolement des petits patrons et pour créer une « culture CPME » locale. Adhérer au Medef ? Brigitte Le Cornet, conseillère de gestion et présidente des CPME des Côtes d’Armor et de Bretagne, ne l’imagine même pas : « Comment puis-je adhérer à un mouvement qui défend la grande distribution quand moi, je me bats pour le commerce de proximité ? » Ailleurs, cette réflexion identitaire est loin d’être partagée. En Paca, où les trois organisations d’employeurs ont choisi de se rassembler au sein d’unions pour l’entreprise (UPE) départementales, c’est sous la bannière d’un patronat soudé qui mutualise les mandats, les moyens et qui fait fi des différences d’appareils, que les employeurs avancent. « Qu’importent nos couleurs, nous sommes tous logés à la même enseigne », explique Honoré Ghietti, président de la CPME des Alpes-Maritimes et vice-président de l’UPE locale. Pour lui, la seule différence organisationnelle se situe surtout aux niveaux du tempérament et de la posture : « En tant qu’élu CPME, je suis peut-être plus “punchy” et moins porté au compromis que mon collègue du Medef, admet-il. Lui, il va serrer la main du préfet ou du président de Région et moi, je donne de la voix devant le bureau de l’Urssaf. Chacun son rôle. » Pour Thibault Lanxade, il s’agit d’une mise en commun des ressources cohérente : « Aujourd’hui, au cœur des territoires, les offres de services respectives du Medef et de la CPME ne sont-elles pas complémentaires et mutualisables ? N’est-il pas possible de créer des alliances locales sur le modèle de Paca ? Laurence Parisot s’y était essayée. Pierre Gattaz a discrètement tendu la main en ce sens… »

Une carte à jouer sur les négociations de branches.

Si la CPME cherche toujours sa place dans le paysage social et paritaire à l’heure où celui-ci est bousculé par les réformes de l’exécutif, de nouvelles opportunités pourraient paradoxalement venir de Geoffroy Roux de Bézieux. « Pendant la campagne, il n’a quasiment pas parlé des PME ou aux PME. Son discours s’est concentré sur les grandes entreprises internationales ou sur les start-up. Cela pourrait ouvrir une fenêtre de tir à la CPME », analyse Pierre Ferracci. L’hostilité au paritarisme que partagent le président du Medef et le chef de l’État pourrait aussi ouvrir de nouvelles perspectives à la Confédération des patrons de PME. C’est d’ailleurs déjà en partie le cas puisque François Asselin est à l’origine de la grande réunion du 11 juin où les numéros un des huit organisations sociales représentatives s’étaient donné rendez-vous au siège du Conseil économique, social et environnemental pour fixer un agenda social autonome de celui de l’exécutif. « Les déclarations du président de la République semblent signer la fin des grands accords interprofessionnels. La CPME, en revanche, peut avoir une carte à jouer sur les négociations de branches. », ajoute le patron du Groupe Alpha. En attendant, c’est bien une négociation interprofessionnelle qui mobilise la CPME depuis le 9 novembre : celle sur l’assurance-chômage qui voit le sujet du bonus-malus sur les contrats courts, synonyme de déficit pour ce régime, revenir sur la table. « On ne signera rien sur les contrats courts ! », a d’ores et déjà prévenu François Asselin. Pour le reste, en revanche, la CPME est venue porteuse de son propre projet pour la gouvernance de l’Unédic. Au programme, une interdiction de recourir à la dette pour financer le régime (et sa résorption sur dix ans) ainsi qu’un sévère recadrage des activités de Pôle emploi vers la réinsertion professionnelle des chômeurs. À voir si ces propositions trouveront leur place dans le concerto patronal ou si, là encore, la Confédération des PME préférera une partition de soliste.

Chiffres

144 939 entreprises adhérentes

(source : DGT 2017)

27,89 % (taux de représentativité 2017)

8 millions d’euros de budget annuel, dont 44 % issus des cotisations des adhérents.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre