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Entreprises et organismes de formation en ordre de bataille

À la une | publié le : 01.12.2018 | Laurence Estival

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Entreprises et organismes de formation en ordre de bataille

Crédit photo Laurence Estival

En libéralisant le marché de la formation par apprentissage, la réforme facilite l’arrivée de nouveaux entrants, entreprises et organismes de formation en tête, qui pourront demain ouvrir leurs propres CFA. Les premiers candidats sont déjà sur les rangs…

Branle-bas de combat chez Adecco. Le spécialiste de l’Intérim s’apprête à lancer début 2019 son propre CFA centré sur les métiers du recrutement. Le groupe, qui a déjà créé sa « grande école de l’alternance », n’en est certes pas à sa première intrusion sur le marché de la formation. Mais avec son projet dont les contours ont encore besoin d’être précisés, il ouvre un nouveau chantier. « Les deux structures sont très différentes : la grande école de l’alternance forme des candidats en contrat de professionnalisation pour répondre aux besoins de nos clients sur une grande diversité de postes correspondant à des cursus déjà existants. Notre futur CFA souhaite former en alternance des jeunes qui ont vocation à répondre à nos propres besoins », résume Frédérique Plasson, directrice générale des solutions emploi et formation Groupe. Chaque année, en effet, Adecco regrette de ne pas être dans la capacité de répondre à 100 000 offres d’emploi. De quoi l’inciter à préparer ses chargés de recrutement à expérimenter toutes les techniques aujourd’hui en cours de développement (outils digitaux basés ou non sur l’intelligence artificielle mais aussi outils permettant de mesurer les soft skills et compétences émotionnelles…) pour essayer de relever ce défi. Autour de ces attendus, des référentiels qui devraient déboucher sur deux titres professionnels de niveau Bac + 3 et Bac + 4 sont en cours de rédaction.

Les entreprises en embuscade.

Adecco n’est pas la première entreprise à ouvrir un CFA en propre. Mais c’est une des pionnières à utiliser la fenêtre de tir ouverte par la réforme de l’apprentissage. « Désormais, les démarches sont simplifiées et ne nécessitent plus d’autorisations des régions. Les organismes de formation peuvent donc proposer des cursus en apprentissage s’ils sont enregistrés en préfecture et si l’alternance fait partie de leur objet social », se félicite David Derré, directeur emploi-formation de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie). Les branches auront, par ailleurs, la main sur l’écriture des référentiels d’activités des diplômes et, si les futurs CFA devront souscrire à un certain nombre d’obligations (accompagnement des candidats, recherche d’entreprises pour les accueillir, évaluation des compétences…), leur financement ne sera plus déterminé en fonction du nombre de places mais dépendra du nombre de contrats signés. Adecco devrait d’ailleurs être rapidement rejoint par d’autres entreprises : Axa est déjà sur les rangs même si l’assureur préfère peaufiner son projet avant de le rendre public.

Pour expliquer leur intérêt pour la création de CFA, les entreprises ne manquent pas d’arguments. Pour Adecco, il s’agit de répondre à des besoins pour lesquels il n’existe aujourd’hui aucune formation sur le marché. « Les écoles et universités offrent des programmes RH non centrés sur le recrutement et qui survolent la question des nouveaux outils du recrutement. Les organismes de formation se contentent de stages d’une dizaine de jours ne permettant pas non plus d’approfondir ces nouveaux sujets », regrette Frédérique Plasson. « Assurer une meilleure adéquation entre l’offre et la demande est un des avantages des CFA internes, reconnaît Manuèle Lemaire, directrice du CFA de Véolia en Île-de-France, un des deux centres que l’entreprise possédait en propre bien avant la réforme et qui accueillent chaque année 1 000 nouveaux apprentis, de niveau CAP à Master. Nous devons respecter le programme mais nous avons une véritable liberté pédagogique. Nous l’utilisons pour compléter, par exemple, le référentiel de la formation par des modules qui sont plus en lien avec nos métiers. »

Les organismes dans les starting-blocks.

Ce sera aussi une des spécificités du CFA intégrée dans le futur Hall 32, le centre de promotion des métiers de l’industrie, une organisation issue de la volonté commune d’une quinzaine d’entreprises industrielles d’Auvergne (Michelin, Limagrain, la Banque de France…), qui accueillera sa première promotion à Clermont-Ferrant en septembre 2019. « En partant de l’analyse de nos besoins, nous allons proposer un certain nombre de parcours, essentiellement des Bac pro et des BTS, à 300 jeunes par an, mentionne Isabelle Sauret, présidente de l’association qui porte ce projet doté de 30 millions d’euros mené en partenariat avec le rectorat. Si nous nous appuierons sur les référentiels de diplômes existants, nous allons aussi innover en découpant les programmes en blocs de compétences délivrés sous forme de modules et tous ceux qui souhaiteront aller plus loin que le socle de base pourront ajouter des modules afin de faciliter ensuite leur évolution professionnelle. »

Autres nouveaux entrants dans les starting-blocks : les organismes de formation. Leur intérêt n’est pas nouveau pour un certain nombre d’entre eux dont le Cesi qui a déjà ses propres CFA. Ceux qui font des contrats professionnels ambitionnent, eux aussi, de surfer sur leur connaissance de l’alternance pour proposer des sections en apprentissage. Mais il y a un troisième groupe, absent de l’alternance, dont certains représentants s’apprêtent à abattre leurs cartes, à l’instar de Demos. Signe des temps : la Commission alternance et enseignement supérieur qui travaille sur le sujet a été mise en place par la FFP (Fédération de la formation professionnelle) pour accompagner ceux souhaitant se jeter à l’eau. « Pour nombre d’entre eux, l’idée est de se positionner sur le créneau de l’apprentissage dans une stratégie de diversification de leur offre de services vis-à-vis des entreprises clientes, explique Vincent Cohas, directeur général du Cesi et responsable de ce groupe créé au sein de la FFP. Leur proximité avec les employeurs, dont ils forment les collaborateurs en formation continue, devrait fluidifier les recherches de stage. C’est un de leurs atouts. »

Beaucoup de prétendants, peu d’élus ?

« Les organismes de formation ont aussi une bonne connaissance sur l’intégration de modules en e-learning et sur leur complémentarité avec les formations en salle de classe. Plus simple pour intégrer des candidats en continu, tout au long de l’année, comme ce sera demain le cas, met en évidence Jean-Luc Purillé, créateur du cabinet de conseil en formation Stratice qui épaule ses clients dans la digitalisation de leur offre. De plus, les organismes ont l’habitude du mixage des publics. Et sont sans doute les mieux armés pour faire face à la diversification attendue des apprentis. Avec l’ouverture de l’apprentissage jusqu’à 30 ans, la réforme pourrait intéresser tant des jeunes en quête d’une première formation que des candidats tentés par des reconversions. » Reste qu’il y a également derrière ses velléités de création de CFA des motifs économiques : « Certains voient dans le développement de sections en apprentissage, la possibilité de compenser la baisse de leurs recettes sur les formations inter ou intra-entreprises qui représentaient le cœur de leur métier. La fin du financement du plan de formation désormais à la charge des entreprises a fait naître des inquiétudes », ne cache pas Vincent Cohas.

Face à la liste des prétendants, le risque n’est-il pas d’avoir une offre de formation pléthorique, au-delà de la capacité d’absorption du marché ? « Compte tenu des besoins, ce risque n’existe pas ! », sourit David Derré, rappelant que chaque année, 4 000 places ne sont pas pourvues, rien que dans la branche. De nombreuses incertitudes doivent également être levées pour transformer les désirs de nouveaux entrants en ouverture de CFA. Première d’entre elles : le montant du financement accordé aux CFA. « Les candidats devront alors faire leur compte pour savoir si cette somme leur permettra un retour sur investissement. Et seuls les organismes qui par leur taille pourront industrialiser les formations et donc diminuer les coûts unitaires devraient finalement se lancer », prophétise Vincent Cohas. L’équation n’est pas très différente du côté des entreprises, où seule une poignée de grands groupes, qui maîtrisent eux aussi les outils digitaux, devraient effectivement franchir le pas. « Impossible pour des PME et même pour les ETI qui ne disposent pas des ressources nécessaires mais qui peuvent s’appuyer sur nous pour les accompagner ! », lance David Derré. L’IUMM, s’étant fixé une croissance de 50 % de ses effectifs d’apprentis dans les cinq ans, espère d’ailleurs elle aussi tirer son épingle du jeu en renforçant ses positions auprès de ses adhérents et les entreprises appartenant à d’autres branches qui représentent la moitié des 27 000 apprentis formés dans ses 41 CFA.

Certification qualité obligatoire.

Au-delà, le nombre de candidats dépend aussi de l’obligation faite à tous les CFA d’avoir obtenu une certification qualité délivrée soit par un organisme accrédité reconnaissant la qualité de leurs formations et de leurs process ou par une instance de labellisation reconnue par l’Agence France Compétences sur la base d’un référentiel qui sera créé au plus tard le 1er janvier 2019, quand la réforme entrera effectivement en vigueur. Mais à l’heure actuelle, on ne connaît pas les critères et France Compétences n’est pas encore active… « Cette certification qualité représente une garantie contre les éventuelles dérives. Nous devons éviter que des critères trop souples autorisent des prestataires à proposer des formations qui seraient plus ou moins des formations traditionnelles comportant simplement des périodes en entreprises », conclut Vincent Cohas. À suivre donc…

Culture maison et marque employeur

Adapter l’offre de formation en apprentissage aux besoins des entreprises n’est pas le seul objectif que poursuivent les entreprises qui ont ou qui souhaitent créer leur CFA. À l’instar du projet Hall 32. « C’est un moyen de développer la culture de l’entreprise auprès de jeunes dont un certain nombre vont ensuite nous rejoindre », met en avant Isabelle Sauret, présidente de l’association qui rassemble les quinze partenaires. Mais c’est aussi une vitrine de promotion de leur marque employeur dans un contexte de guerre des talents : les futurs apprentis seront accueillis par un « guichet unique » qui s’occupera de tout, de leur orientation à la recherche d’un logement si besoin en passant par un maître de stage. Un plus qui, au fur et à mesure de l’avancement du projet, a incité d’autres entreprises industrielles de la région restées à l’écart de l’initiative de demander à en faire partie. Pour bénéficier d’un accès privilégié aux futures recrues mais aussi des retombées attendues de ce centre chargé de promouvoir l’ensemble des métiers des membres de cette association qui proposera en outre des formations continues pour l’ensemble des salariés de ces entreprises et visera à rapprocher grands groupes et start-up.

Les objectifs de la réforme détournés ?

Niveau Bac et Bac + 2 pour l’association Hall 32, niveau Bac + 3 ou Bac + 4 pour Adecco… Les projets portés par les nouveaux entrants risquent bien de privilégier des profils qui ne sont pas totalement en phase avec les priorités de la réforme. En présentant les mesures en février dernier, la ministre souhaitait que les assouplissements et la dynamique qui devait en résulter profitent prioritairement aux niveaux infra-Bac. Les organismes de formation qui ont annoncé leur volonté de créer leur propre CFA, à l’image de Demos, pourraient eux aussi d’alourdir le bilan. « Il est clair que ces organismes généralistes qui sont spécialisés dans la formation du middle management ou des cadres des entreprises ne vont pas se positionner sur des diplômes de niveau 5 », reconnaît d’ailleurs Vincent Cohas, porte-parole de la FFP sur l’alternance…

Auteur

  • Laurence Estival