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Légitime déjudiciarisation pour les TPE/PME

Idées | Juridique | publié le : 01.11.2018 |

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Légitime déjudiciarisation pour les TPE/PME

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Moins pour le monde judiciaire que pour le justiciable, le droit n’est pas la vie, et le contentieux n’est pas le droit. Si l’on écarte les « fous de contentieux », tant redoutés par les avocats et les magistrats, car rejouant « Les Plaideurs » (« Mais vivre sans plaider, est-ce contentement ? »), le passage en justice ne laisse pas toujours un bon souvenir au justiciable n’en connaissant ni les codes ni les impératifs (contradictoire, règles de preuve), et surtout sensible à l’équité : « J’ai la justice pour moi, et je perds mon procès » (Le Misanthrope).

Situation aggravée en droit du travail car presque tous les juges français auront à traiter un jour ou l’autre un litige du travail, avec de délicates questions de frontières. Outre le juge naturel des litiges individuels qu’est le conseil des prud’hommes, interviennent les tribunaux d’instance (avec les si sensibles élections professionnelles) et, aujourd’hui moins que demain, le TGI, avec désormais son « pôle social » regroupant depuis l’ordonnance du 16 mai 2018 tout le social, sauf le droit du travail. Mais le juge répressif, craint pour ses peines de prison, et parfois sa médiatisation. Enfin, le juge administratif, amené à statuer après un recours contentieux dirigé contre une décision administrative : ainsi, des PSE dont le contrôle a été sorti du giron judiciaire au profit de la Direccte – pas du juge administratif – depuis la loi du 14 juin 2013.

Plus de consensus pour moins de contentieux. Que ce soit sur le plan individuel de la rupture conventionnelle homologuée, ou sur le plan collectif des PSE/plan de départs volontaires négociés et autres ruptures conventionnelles collectives depuis 2018, la formule a fait ses preuves. Mais n’enthousiasme guère les Barreaux. Les chiffres préoccupants de la justice sociale pour 2016 et 2017 confirment la légitimité d’un tel choix. Surtout si l’on a en tête la nature du contentieux (à plus de 80 %, un licenciement pour motif personnel, donc à forte intensité affective), et le profil de l’entreprise assignée : dans l’immense majorité des cas, des TPE ou des PME, sans conseil à demeure.

Les chiffres préoccupants de la chaîne judiciaire

Conseil des prud’hommes. La loi Croissance et activité du 6 août 2015 puis le décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale a, dès l’année suivante, impacté le nombre d’affaires nouvelles : de 184 500 en 2015 à 150 500 en 2016, soit 418,5 %. Le nouveau formulaire Cerfa n° 15586 de sept pages, avec exposé des motifs, demandes chiffrées, explications de celles-ci et preuves récapitulées sur un bordereau annexe a eu un effet manifestement dissuasif, car exigeant de facto l’intervention d’un juriste spécialisé, pas toujours gratuit. Mais l’employeur qui en prend aujourd’hui connaissance est plus à même de savoir s’il va proposer une négociation ; rappelons qu’avant les réformes, plus de 40 % des assignations ne débouchaient sur aucun jugement.

Le nombre des affaires terminées est passé de 180 500 en 2016 à 160 000 en 2017 (– 15 %). Le délai moyen, quant à lui, est passé de 17 à 17,3 mois. Concernant le taux de conciliation, il a encore diminué : de 5,8 % en 2016 à 5,6 % en 2017. Le délai de traitement des affaires en départage a, lui, atteint une moyenne de 29,2 mois.

Cet affaissement, qui se poursuit depuis le plafonnement des dommages et intérêts de septembre 2017, comportera au moins un effet bénéfique ; avec un taux d’appel régulièrement proche de 65 % (68 % en 2016), la situation est souvent catastrophique au niveau des chambres sociales des cours d’appel.

Cours d’appel. À lui tout seul, le droit social représente un tiers de l’ensemble des affaires traitées à ce niveau en 2016, mais 42 % des affaires en stock (123 000 fin 2016). Avec une hausse continue des délais : de 15,8 mois en 2013 à 18,2 en 2016. Et seulement 28 % de confirmation totale, mais 29 % d’infirmation totale. Là encore, le récent remplacement de la procédure orale par une procédure écrite avec représentation des parties par un avocat ou par un défenseur syndical conduira à une baisse. Ce qui permettra peut-être de réduire la durée de l’instance : en moyenne près de trois ans, certes, avec de très forts écarts entre les différentes cours. Cette situation est désastreuse pour les deux parties laissées dans l’incertitude.

Cour de Cassation. La Chambre sociale est l’une des plus chargées : 3 356 arrêts rendus en 2017, contre 2 087 pour la 1er civile, et 2018 pour la Chambre commerciale. Avec 44 % d’arrêts de cassation en 2017 (dont 42 % avec renvoi), contre un tiers pour les autres chambres civiles : un chiffre considérable pour le juge du seul droit. On ne peut comprendre la volonté des Gouvernements successifs de déjudiciarisation – qui dépasse certes le droit du travail – sans avoir à l’esprit ces chiffres montrant une justice sociale à la peine, et pas uniquement pour des questions (bien réelles) de moyens. D’autant plus que cette dernière est centrée sur les fragiles TPE et PME, représentant l’immense majorité du contentieux prud’homal, lui-même centré à plus de 80 % sur le licenciement pour motif personnel.

Comment opérer cette déjudiciarisation ?

L’infléchissement de la courbe du contentieux prud’homal date de la rupture conventionnelle homologuée à l’exceptionnel succès : 389 744 homologations délivrées en 2016, 432 000 en 2017. Ce qui revient à plus de 34 000 par mois…

Quel chercheur fera un jour le bilan sociologique, social mais aussi micro et macroéconomique de ce divorce à l’amiable professionnel, remarquablement accompagné par la Chambre sociale et dont le contentieux reste à peu près inexistant ? Y compris en termes de coûts pour le contribuable, sachant qu’environ un licenciement personnel sur quatre se termine devant le conseil des prud’hommes, et que deux jugements prud’homaux sur trois sont frappés d’appel ? Même si nombre d’économistes restent très critiques à propos de cet accord entre employeur et salarié sur le dos de l’Unedic, cachant dans de nombreux cas une démission, non indemnisée avant la loi du 5 septembre 2018. La Dares évaluait en juin 2018 à 75 % le taux de substitution avec les démissions, et à 10-20 % avec les licenciements économiques. Faire du contentieux sur la rupture conventionnelle, alors que toute sa procédure (délais de réflexion, de rétractation, contrôle de la Direccte) est conçue pour l’éviter ? Sans oublier qu’obtenir son annulation judiciaire entraînera d’abord « l’obligation de restitution des sommes perçues en exécution de cette convention » a logiquement rappelé la Cour de cassation le 30 mai 2018. Certes, avec les effets d’un défaut de cause réelle et sérieuse, mais avec des dommages et intérêts désormais plafonnés. En l’espèce, l’ouvrière avait touché une indemnité de rupture de 27 000 euros ; avec son ancienneté, son plafond d’indemnisation serait aujourd’hui limité à moins de 12 000…

Légitime ciblage sur les fragiles TPE/PME

L’effet des ordonnances du 22 septembre 2017 sera ici maximum. Outre les délais de prescription réduits à un an s’agissant du contentieux de la rupture, mais toujours de cinq ans s’il s’agit de discriminations ou de harcèlements faisant justement sauter le plafond, nous recensons trois nouveautés :

• les six modèles de lettre de licenciement proposés (pas imposés, L. 1233-42 et le décret du 29 décembre 2017) par le ministère du Travail, évitant de bien petits mais très fâcheux oublis au patron coiffeur ou à l’artisan, qu’il s’agisse de licenciement personnel ou économique ;

• la session de rattrapage désormais offerte à l’employeur ayant mal rédigé la lettre de licenciement (L. 1235-2). Dans les 15 jours suivant la rédaction, l’employeur peut en « préciser » les motifs. Seulement « préciser », et non transformer un licenciement personnel en motif économique, ni ajouter ou retrancher un motif. Mais cela permettra au boulanger ou au plombier d’éviter une assignation toujours très mal vécue, et d’être condamné pour une erreur vénielle ;

• pour les TPE, le plancher de dommages et intérêts est enfin fixé beaucoup plus bas que dans les autres entreprises : un demi-mois pour un salarié avec deux ans d’ancienneté, contre trois mois dans les plus grandes. Et ne rejoint le plancher commun de trois mois qu’au-delà de onze ans d’ancienneté, alors que pour les autres ce montant est acquis dès deux ans. Plancher et plafond réduits : de quoi nettement dissuader les salariés des TPE, et particulièrement les jeunes, d’assigner sur leur licenciement (et non sur le reste…), et ainsi parfois préférer signer une rupture conventionnelle.

Car « Un tiens, vaut mieux que deux, tu l’auras » peut-être, dans deux ans, s’il n’y a pas d’appel, etc.

L’année 2019 pourrait être créative au niveau prud’homal. Car plus de 60 % des conseillers récemment désignés pour le mandat 2018-2021 n’ont encore jamais siégé : 8 101 sur 13 482, et vont devoir se prononcer sur les premières applications des très nombreuses lois et ordonnances de 2017-2018.