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Faut-il faire payer les indemnités journalières aux entreprises ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2018 |

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Faut-il faire payer les indemnités journalières aux entreprises ?

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Testée durant l’été, l’idée lancée par le Gouvernement de faire payer les indemnités journalières des arrêts maladie de courte durée aux entreprises – et non plus à la Sécurité sociale – a vite tourné à la controverse. Patronat (et syndicats) s’y opposent. Elle pourrait cependant revenir sur la table. D’autant que dans son rapport, l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) estime qu’une telle mesure serait de nature à sensibiliser les entreprises au taux d’absentéisme élevé. Vertueuse ou non ? Les avis sont très mitigés…

Bruno Serizay Avocat, cabinet Capstan.

L’idée de faire payer aux entreprises les indemnités journalières de la Sécurité sociale part d’un présupposé douteux, celui que l’entreprise serait responsable de la santé des salariés. Certes, l’organisation du travail peut être génératrice de stress, si l’on prend l’exemple du burn-out, mais si l’on sort des maladies professionnelles et des accidents, bien identifiés par la loi, quid d’une hypersensibilité au stress due à une situation exclusivement personnelle ou familiale ? Et quid d’une angine ? Dans ces cas, l’entreprise constitue-t-elle un facteur de maladie ? Nous pouvons en douter !

Se pose en réalité une question plus complexe, celle de la responsabilité générale de l’entreprise. À l’heure où les structures étatiques sont considérées comme faibles, l’entreprise apparaît comme seul corps constitué pouvant s’y substituer. Mais si l’entreprise se substitue à la Sécurité sociale, dans le cas où le salarié est dans l’incapacité de travailler, alors poussons le raisonnement jusqu’au bout et éliminons, au moins dans ce cas, la Sécurité sociale ! En outre, si l’entreprise, considérée comme responsable, doit payer les indemnités journalières – obligation de nature à enclencher un cercle vertueux, selon ses promoteurs, puisqu’elle fera tout pour ne pas exposer ses salariés – alors l’entreprise elle-même souhaitera couvrir le risque auprès d’un assureur et soumettre l’arrêt de travail au contrôle d’un médecin qu’elle ou l’assureur désignera. En outre, certaines entreprises seront plus généreuses que d’autres et couvriront – ou non – la totalité du salaire perdu. Dans les deux cas émerge une autre logique : du principe de solidarité, nous passons à celui de l’assurance. Autant dire que ceux qui proposent cette solution doivent être conscients qu’il s’agit d’une proposition libérale, basée qui plus est sur le contrôle des salariés.

Florence Legros Économiste, directeur général de l’ICN Business School.

Malakoff Médéric publie annuellement des éléments sur l’absentéisme au sein des entreprises. Les statistiques montrent que si la durée d’absence augmente effectivement avec l’âge et est supérieure à la moyenne pour la catégorie des plus de 50 ans, c’est celle des 30/39 ans qui est la plus souvent absente, et davantage les femmes que les hommes. Le secteur économique du bâtiment et des travaux publics serait le plus touché, et l’absentéisme plus élevé dans les grandes entreprises.

Faut-il faire payer une part des indemnités aux entreprises ? Il existe deux manières d’appréhender le problème, et donc deux réponses à apporter à cette question.

Si l’on pense que la prise en charge par les entreprises relève d’une politique d’incitation qui les conduirait à mettre en place des actions préventives, notamment en termes de conditions de travail, il est légitime d’étudier cette possibilité.

En revanche, si l’on pense que l’absentéisme est le résultat de facteurs exogènes à l’entreprise, comme la difficulté à concilier vie professionnelle et vie privée pour les femmes et/ou pour la catégorie des 30/39 ans ou encore la lourdeur de la prise en charge de parents âgés pour les plus de 50 ans, alors l’augmentation du coût du travail induite par le paiement des indemnités par les entreprises risque d’avoir un effet discriminatoire, notamment sur les femmes et les travailleurs âgés.

Julie Gendarme DRH de la société Verre & Métal.

Si l’objectif est de faire évoluer le management et la politique de sécurité des entreprises en leur faisant payer les indemnités journalières, tout dépend de la façon dont la mesure s’entend. Ne cibler que celles qui présentent des indicateurs d’accidentologie élevés (taux de gravité/taux de fréquence) pourrait, certes, inciter ces dernières à repenser leurs procédures. Si, en revanche, nous envisageons de faire payer toutes les entreprises, cela ne suffira pas à éradiquer l’accident de travail. L’employeur a déjà l’obligation légale de veiller à la sécurité et à la protection de ses salariés, mais nous observons aisément que la réglementation trouve ses limites et ne parvient pas, en dépit de toutes les actions de prévention, à éviter la plupart des accidents causés par maladresse, inattention ou négligence. À titre d’illustration, trois sur les quatre accidents du travail que nous avons enregistrés en 2017 au sein de la société Verre & Métal étaient directement liés à une inattention ou à une maladresse du salarié.

Je ne suis pas non plus convaincue que faire supporter une charge financière supplémentaire aux entreprises fera évoluer les pratiques managériales dans le bon sens. Elles pourraient être tentées d’adopter des stratégies de contournement : émettre des réserves, s’arranger avec le salarié pour ne pas faire de déclaration, lui imputer l’accident en démontrant sa négligence, ou encore faire la chasse aux collaborateurs fragiles, jusqu’à augmenter le risque de burn-out…

Finalement, cela contribuera à augmenter la pression à la fois sur les managers et sur les salariés. Enfin, le risque existe que les salariés les plus âgés, parce qu’ils sont supposés être plus souvent malades, soient discriminés, surtout dans les emplois peu qualifiés.

Ce qu’il faut retenir

// Bonne nouvelle : Selon les Échos du 2 août 2018, qui dévoilent le rapport (n’ayant pas été rendu public) de l’Igas, chargée par le Gouvernement de réfléchir à la question des indemnités journalières, un premier scénario prévoyait d’imposer une prise en charge des indemnisations par les entreprises sur une période de 30 jours (au-delà du délai de carence). Les Échos révèlent que « cette mesure aurait permis de faire économiser entre trois et quatre milliards d’euros à la Sécurité sociale », selon l’Igas. Face à la levée de boucliers, le Gouvernement a replié la voilure, en n’envisageant qu’une prise en charge par les entreprises de quatre jours pour les arrêts maladie de moins de huit jours, assortie d’un coût calculé à 900 millions d’euros. Ouf !

// Mauvaise nouvelle : Quelle que soit son ampleur, le patronat est vent debout contre une telle mesure. Au point que le Medef, la CPME et l’Union des entreprises de proximité (U2P) ont envoyé, le 31 juillet, une lettre au Premier ministre pour exprimer leur hostilité. Quant aux syndicats, ils sont dubitatifs. François Hommeril, à la CFE-CGC, a estimé qu’une telle mesure risquait de « créer une ligne de fracture entre les grandes et les petites entreprises. Ensuite, ce sont les salariés qui vont le subir au quotidien », a-t-il déclaré sur le site Web de L’Express. Muriel Pénicaut, ministre du Travail, a mis en avant (sur Franceinfo, le 3 août), « l’explosion des indemnités journalières ». Il faut donc « comprendre le pourquoi », a-t-elle ajouté.

En chiffres

4,6 %

C’est l’augmentation, sur une base annuelle, des versements d’indemnités journalières entre janvier et juin dernier, selon la Cnam. Et la tendance n’a cessé de se renforcer.

Source : https://www.ameli.fr/fileadmin/user_upload/documents/Communique_des_depenses_Fin_juin_2018.pdf

650 millions

Selon le rapport de l’Igas, si les entreprises de plus de 150 salariés « qui connaissent un taux d’absentéisme supérieur au taux moyen étaient ramenées à ce taux moyen », cela « aboutirait à une économie théorique de 650 millions d’euros en année pleine ».

Source : http://presse.actuca.com/fichiers/2018_08/196359_les%20echos%20–%20180802%20–%20arrets%20maladie.pdf