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Idées

Bureaucratie : toujours plus ?

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.11.2018 | François Dupuy

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Bureaucratie : toujours plus ?

Crédit photo François Dupuy

Plusieurs articles viennent de paraître, dont celui du directeur général d’une grande entreprise de restauration, soulignant que la bureaucratie constitue aujourd’hui une menace majeure pour les grandes entreprises. Et il n’est pas le seul, tant s’en faut, à s’en inquiéter. Il faut dont comprendre cette contradiction surprenante entre un monde économique présenté comme toujours plus souple, plus ouvert, plus dynamique et le constat d’une bureaucratie toujours plus envahissante que ce soit dans le secteur public ou dans le secteur marchand.

Comme souvent, cette contradiction n’est qu’apparente : la flexibilité, la « libération » des entreprises, le bien-être au travail pour ne pas parler du bonheur sont survendus à longueur d’écrits enthousiastes, de colloques vibrant d’optimisme ou de déclarations enflammées sur LinkedIn. Mais à côté de cela des études sérieuses menées en Europe comme aux États-Unis montrent des taux d’engagement des salariés dans leur travail ne cessant de baisser pour ne concerner qu’à peine un tiers d’entre eux.

Confiance recherchée

Pour interpréter ce paradoxe il convient de se référer à d’autres études établissant ce que recherchent de plus en plus ces salariés, les cadres en particulier, dans leur quête d’emploi : avant tout une « organisation », entendue au sens sociologique comme un ensemble de modalités de travail, et dans ce cas précis pouvant laisser à chacun une part d’autonomie et d’initiative ce qui, formulé autrement, peut signifier un univers dans lequel la confiance l’emporte sur la frénésie du contrôle.

Or quel est le mode toujours dominant de management aujourd’hui ? Dans sa version wéberienne dominant dans le secteur public, comme dans sa version taylorienne l’emportant dans le secteur marchand, c’est la bureaucratie. Cette bureaucratie cherchant de façon implacable et souvent insidieuse à mettre sous contrôle tous les faits et gestes de ceux qui travaillent. Que ce soit à travers des « process » dont personne n’a encore réussi à enrayer la production galopante, des indicateurs de performance toujours plus nombreux et toujours plus individualisés ou des systèmes de reporting constituant en eux-mêmes une finalité, cette soif inextinguible de contrôle se répand à la vitesse de la marée montante au Mont-Saint-Michel.

Bataille des talents

Elle est là cette bureaucratie qui commence à inquiéter les dirigeants les plus lucides. Double inquiétude en fait : d’une part ces « outils de gestion » produisent l’effet opposé à celui escompté. Trop nombreux, contradictoires les un par rapport aux autres, ils transfèrent de facto le pouvoir réel vers ceux qui sont chargés de les appliquer et qui, par leur bonne volonté (toujours négociable) réussissent à ce que la machine ne se paralyse pas. D’autre part ces techniques managériales envahissantes font passer un message de « non-confiance », bien compris comme tel par ceux qui précisément, nous l’avons noté, recherchent le contraire.

Qu’on ne s’y trompe pas : en persistant dans cette voie qui semble aujourd’hui échapper à tout contrôle, les grandes entreprises vont perdre la bataille des talents au profit du « rêve » de la start-up ou de la réalité de la petite entreprise. Elles le sentent et comme d’habitude répondent à ce problème par la création d’une fonction dédiée : on se met donc à gérer les talents. Mais là n’est pas le problème : il est dans la capacité à s’attaquer à ces fonctionnements bureaucratiques envahissants dans lesquels personne ne commande mais tout le monde obéit pour reprendre la formule heureuse de Michel Crozier. Mais s’atteler à cette tâche ingrate et difficile est autrement plus complexe que créer une fonction supplémentaire.

Auteur

  • François Dupuy