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Un pactole de 130 milliards

Dossier | publié le : 01.11.2018 | Gilmar Sequeira Martins

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Un pactole de 130 milliards

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Si la participation et l’intéressement permettent à de nombreux salariés de percevoir un complément de rémunération, ils alimentent aussi les différents dispositifs d’épargne salariale. Comment sont gérés ces montants qui viennent de franchir le cap des 130 milliards d’euros, dépassant ainsi le PIB de nombreux pays ?

Ils dépassent le PIB de la Hongrie, que la Banque mondiale classe au 56e rang sur 200 pays en 2017. Les fonds amassés au fil des ans par l’épargne salariale, désignés en termes techniques comme « l’encours », se montent désormais à 131,5 milliards d’euros. En vingt ans, ils ont été multipliés par 6,8. L’ensemble des fonds ne sont pas pour autant de même nature. Ils se divisent en deux grandes catégories. D’un côté, les fonds d’actionnariat salarié, qui permettent aux salariés d’acheter uniquement des actions de leur propre entreprise. Ils représentent un volume de 50,7 milliards d’euros, soit 38,5 % du total. De l’autre, les fonds dits « diversifiés », investis dans des actions de différentes entreprises, mais aussi dans d’autres types de titres (obligations, etc.), qui représentent 61,5 % du total.

Hors fonds d’actionnariat salarié, les sommes investies dans l’épargne salariale ne se distinguent plus guère de celles investies dans des OPC (organismes de placement collectifs) qui gèrent l’épargne classique. La part des FCPE (fonds commun de placement d’entreprise) monétaires, qui gèrent essentiellement des titres de dette publique émis par les États, est ainsi passée de 40 % du total en 2012, à 25,1 % en 2017. Une chute qui s’explique par le rendement très faible, voire négatif, de ces placements. En 2017, la performance moyenne des FCPE monétaires a d’ailleurs été globalement négative (– 0,35 %) de sorte que les épargnants ont vu diminuer d’autant le capital investi.

Pour Olivier de Fontenay, directeur général de Eres, organisme qui gère 2,3 milliards d’euros d’épargne salariale, cette réorientation vers les actions tient d’abord à la bonne tenue de la Bourse : « La première raison de la croissance des actions, dans le total des sommes investies, hors fonds d’actionnariat salarié, tient d’abord à ce que les actions sont depuis 2012 très porteuses alors que les fonds monétaires ont un rendement très faible ou négatif. »

Macron oriente le perco vers les actions

Lorsqu’il était aux commandes à Bercy, Emmanuel Macron a aussi favorisé ce mouvement avec la loi du 6 août 2015 modifiant, entre autres éléments, la gestion des Perco (plans épargne retraite collectifs). Depuis 2015, si le salarié ne sélectionne aucune option particulière, les fonds versés entrent dans le cadre d’une « gestion pilotée ». Un système qui sécurise les investissements, explique Olivier de Fontenay : « Ces fonds sont alloués selon une grille qui désensibilise progressivement l’investissement. Autrement dit, si la personne est très loin de sa retraite, les fonds sont investis en actions, puis sont progressivement orientés vers des placements moins risqués jusqu’à la veille de la retraite. Cette loi a permis de dynamiser les rendements, car les fonds allaient auparavant vers les placements monétaires, dont le rendement réel est négatif, ce qui revenait à une perte de capital sur le long terme. »

L’adoption de la loi portée par le ministre de l’Économie de François Hollande a rapidement porté ses fruits puisque 48 % des salariés ont opté par défaut en 2017 pour la « gestion pilotée » de leur Perco. L’encours des fonds investis à travers les Perco atteint désormais 15,9 milliards d’euros après une progression de 14,5 % en 2017. Un tiers de ce total est désormais en « gestion pilotée ».

Les flux annuels qui viennent augmenter l’encours de l’épargne salariale ont atteint 14,6 milliards d’euros en 2017. Si impressionnant soit-il, ce montant reste encore inférieur au pic historique de 2011. Cette année-là, les versements avaient culminé à 15,5 milliards d’euros. L’année suivante, ils chutaient à 10,7 milliards… « En 2012, la hausse du forfait social, passé de 8 % à 20 %, a fait baisser les flux investis », rappelle Olivier de Fontenay.

Incertitude sur l’attitude future des entreprises

Les dispositifs adoptés avec la loi Pacte vont-ils booster ces arrivées d’argent frais ? Les avis sont partagés. « Quand la fiscalité baisse de vingt points, les chefs d’entreprise s’intéressent à la question en tant qu’employeur, estime Xavier Collot, directeur de l’épargne salariale et retraite chez Amundi. La suppression du forfait social va inciter les chefs d’entreprise à revisiter ces dispositifs qu’ils méconnaissent. » Il estime que ces mesures vont aussi pousser plus d’entreprises à se doter de dispositifs d’épargne salariale. Pour l’instant, elles restent une minorité : 15 % seulement des structures de moins de 50 salariés en ont un et 22 % parmi celles de moins de 250 salariés.

Le levier fiscal pourrait être insuffisant, explique de son côté Patrick André, directeur commercial entreprise du CIC : « Le faible taux d’équipement des entreprises est plus un problème d’offre que de demande. Les dirigeants ne sont ni formés ni accompagnés par les acteurs du secteur, qu’il s’agisse des banques, des experts-comptables ou des branches professionnelles. » L’argument ne peut pas être écarté, reconnaît Xavier Collot : « Depuis vingt ans, la fiscalité est le levier de développement de l’épargne salariale mais l’augmentation des volumes dépendra aussi de la capacité des acteurs à mettre en avant la simplicité et la lisibilité des offres. Il faudra faire preuve de pédagogie pour expliquer aux chefs d’entreprise que ces offres sont un facteur de motivation des salariés mais aussi de fidélisation et d’attractivité. »

Patrick André appelle de son côté à ne pas oublier le comportement réel des acteurs : « La suppression du forfait social invite les entreprises à entrer dans une logique du gagnant/gagnant avec les salariés, mais la loi peut ouvrir un chemin, elle ne peut pas garantir la façon dont sera réparti ce gain. » Il observe que la précédente baisse de 20 % à 16 % du forfait social, sur les versements effectués sur les Perco en « gestion pilotée » et investis au moins à hauteur de 7 % dans des PEA destinés à financer les PME, n’a produit aucun afflux notable.

Enfin, au-delà de la faible connaissance que les dirigeants d’entreprise peuvent avoir de ces dispositifs et de leur dimension collective, parfois « rédhibitoire pour des dirigeants habitués à une gestion plus intuitu personæ », selon Patrick André, la mise en œuvre reste complexe. Ce frein est d’autant plus puissant que les accords doivent être approuvés par la Direccte. « Si elle émet une objection, il faut refaire tout le processus, voire revenir devant les salariés pour faire approuver l’accord par référendum s’il n’y a pas de représentants du personnel », constate Patrick André. Appelant à la création d’un « canevas plus sécurisé », il s’interroge sur le futur : « Pourquoi les accords d’intéressement ne pourraient-ils pas être mis en œuvre de façon unilatérale comme le sont déjà les contrats de santé collective, via une décision unilatérale de l’employeur ? » La proposition a le mérite de la simplicité. Reste à savoir qui assumera une décision privant les salariés de tout droit de regard sur leur épargne.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins