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Élections chez les fonctionnaires : l’ultime test

Décodages | Fonction publique | publié le : 01.11.2018 | Judith Chetrit, Adeline Farge

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Élections chez les fonctionnaires : l’ultime test

Crédit photo Judith Chetrit, Adeline Farge

En pleine concertation sur l’avenir de la fonction publique, les syndicats comptent sur ces élections pour asseoir leur légitimité à représenter plus de 5 millions d’agents. Mais ils font face à un repli de l’engagement syndical, une participation incertaine et des polémiques internes.

C’est la dernière ligne droite. Le 6 décembre, les 5,2 millions d’agents de l’État, des hôpitaux et des collectivités territoriales voteront pour renouveler les mandats de leurs représentants, quatre ans après le dernier scrutin. En net recul, la CGT était tout de même parvenue à conserver la première place, avec 23,1 % des suffrages, talonnée par la CFDT (19,2 %) puis FO (18,6 %). Entre des crispations dans les centrales, le désintérêt des fonctionnaires, la généralisation du vote électronique et des difficultés à constituer des listes, ces élections professionnelles suscitent des inquiétudes. D’autant que la concertation sur la réforme de la fonction publique, qui devrait aboutir à un projet de loi au premier semestre 2019, ainsi que celles annoncées sur les régimes de retraite et l’assurance-chômage ont tendu le climat social et renforcé les clivages syndicaux. Plan de départs volontaires, recours accru aux contractuels, rénovation du statut de fonctionnaire, rémunération au mérite, simplification des instances représentatives du personnel… Les dossiers mis sur la table des négociations, actuellement en stand-by dans l’attente des résultats électoraux, ont rencontré l’opposition des syndicats et n’ont pas manqué d’alimenter les programmes de campagne. La CGT a ainsi mis l’accent sur « la casse du service public » et la défense du statut de fonctionnaire. « Alors que 120 000 suppressions d’emploi sont annoncées, nous souhaitons nous présenter comme le candidat opposé aux réformes du Gouvernement. Si nous voulons porter nos revendications sur le maintien des postes, les conditions de travail des agents, le dégel du point d’indice, c’est essentiel de voir notre score électoral progresser et de conforter notre place de premier syndicat », estime Christine Carlier, membre de la direction confédérale CGT, en charge des élections professionnelles.

Les syndicats à la recherche de voix.

Au-delà de remporter l’élection, l’enjeu pour les organisations syndicales reste de renforcer leur légitimité et leur représentativité dans chaque versant. En décrochant le plus de sièges dans les comités techniques (CT), les commissions administratives paritaires (CAP), et leur pendant pour les contractuels – les commissions consultatives paritaires (CCP) – les syndicats pourront espérer peser sur les négociations, mais aussi bénéficier du droit de remboursement de postes de permanents et des frais de déplacements. « Depuis 2010, la représentativité des organisations syndicales dans le public repose sur l’acte électoral. À côté de la capacité à faire adhérer et à créer des revendications, les processus électoraux jouent sur le pouvoir d’influence des syndicats », explique Stéphane Sirot, spécialiste du syndicalisme et enseignant à l’université de Cergy-Pontoise. Alors que le Gouvernement promet une rationalisation des instances de représentation du personnel, une faible participation décrédibiliserait encore le dialogue social. Avec le risque ensuite que les syndicats peinent à convaincre de leur utilité. « On assiste comme dans le privé à une désyndicalisation et à une perte de confiance dans l’institution. Les structures ne parviennent plus à mobiliser et à faire reculer les gouvernements. Leurs échecs successifs et la signature d’accords restrictifs ont détourné les agents », constate Stéphane Sirot. Le déclin du taux de participation aux précédentes élections, avec 52,8 % de votants en 2014 contre 54,6 % en 2008, ne laisse guère présager d’un sursaut de démocratie sociale. Premières victimes : les syndicats contestataires qui parviennent davantage à mobiliser leurs troupes dans la rue que dans l’isoloir. « Une hausse de l’abstention serait un très mauvais signal adressé aux syndicats. En face d’organisations dont le poids a été affaibli par les urnes et qui désintéressent les agents, le Gouvernement aurait plus de faciliter pour conduire ses réformes », pointe Jean-François Amadieu, sociologue spécialiste des mouvements sociaux.

Entre des difficultés à se connecter, le manque d’émulation collective et les couacs informatiques, les syndicats redoutent quant à eux que le recours généralisé au vote électronique décourage les agents de voter derrière leur écran. « Les militants seront très vigilants. Avec les scrutins à l’urne, des observateurs pouvaient contrôler le comptage des voix. Là, le dépouillement sera assuré par des entreprises extérieures et, avec les biais informatiques, les résultats sont plus manipulables », prévient Christine Carlier. En plus de convaincre les agents de se rendre aux urnes, le principal défi à relever par les syndicats a été de constituer des listes de candidats, notamment pour les toutes nouvelles commissions consultatives paritaires dédiées aux contractuels. « L’engagement syndical impose une charge de travail lourde et d’acquérir des compétences. Ceux qui sont prêts à le faire sont peu nombreux. C’est encore plus compliqué pour les contractuels qui craignent que cela nuise au renouvellement de leurs contrats », observe Stéphane Sirot.

Une part plus grande d’initiatives.

Au niveau des confédérations, une aide a été fournie pour aider les équipes de terrain à constituer rapidement des listes. Après une analyse des résultats d’il y quatre ans, la CGT présentera plus de candidats dans les préfectures, dans les hôpitaux et les Ehpad. À la CFDT, ce seront près de 12 000 agents publics de plus qui pourront voter pour des candidats du syndicat. Chez FO, l’accent a porté sur la territoriale en raison de nombreux départs en quatre ans. Certes, les fédérations et les confédérations coordonnent les campagnes, mais chaque syndicat revendique une part plus grande d’initiatives laissées aux unions départementales en prenant appui sur les derniers résultats pour identifier les marges de progression les plus pertinentes. Il faut être en mesure de s’adresser à plus de 5 millions d’agents, notamment les plus résignés d’entre eux et y compris quasiment un million de contractuels dont certains sont tentés de voir les syndicats comme de simples groupes d’intérêts professionnels pour les statutaires. Ainsi, la CGT est allée chercher un visage issu de la métallurgie pour co-orchestrer la campagne du syndicat pour ces élections professionnelles : David Gistau, également à la tête de la CGT Aveyron et membre de la commission exécutive confédérale. « On m’a aussi proposé cette mission parce que j’habite dans un département rural de 280 000 habitants qui souffre de la disparition de services publics comme des maternités ou des bureaux de poste. Avec un binôme public-privé, cela donne un signal fort mais le but n’est pas de mener une campagne depuis Montreuil », explique-t-il. « Cela reste des élections de proximité. Il faut tenir compte de la diversité des parcours et des aspirations de tous les agents mais on retrouve toujours des points communs sur le manque de reconnaissance et d’investissement de leur hiérarchie », abonde Mylène Jacquot.

Par exemple, à la CFDT en Normandie, les équipes souhaitent cibler des policiers et des agents de l’Insee ainsi que des directions départementales interministérielles. En Occitanie, il a été décidé d’articuler une même campagne autour de thématiques transversales comme l’égalité professionnelle ou le service public dans les territoires ruraux. La fédération, elle, met en ligne des tracts et des carte-pétitions à faire signer sur des revendications spécifiques comme le télétravail ou la protection sociale complémentaire. Pendant ce temps, FSU en seconde position dans le versant de l’État attend de ses représentants « engagés au quotidien » qu’ils discutent surtout « des métiers, du fonctionnement des services, du management trop porté sur la concurrence et la performance et des conditions de travail », explique sa secrétaire générale, Bernadette Groison, qui veut éviter les « discours généraux ». Son objectif reste de dépasser FO, la première centrale syndicale majoritaire dans ce versant qui, en face, multiplie les déplacements des membres de la direction du syndicat par rapport aux élections de 2014. « Dans les hôpitaux, les commissariats, les douanes. Il faut créer du mouvement au sein même des administrations », précise Nathalie Homand, secrétaire confédérale FO. Et les questions risquent de fuser dans son camp avec des révélations sur le fichage de cadres du syndicat et la démission choc du secrétaire général Pascal Pavageau après six mois de direction à peine. Comme si l’histoire se rappelait aux organisations syndicales, après l’effet délétère des coûteuses dépenses de l’ancien secrétaire de la CGT, Thierry Lepaon, sur les résultats de son syndicat aux élections de 2014.

Union et compétition

À plusieurs reprises ces derniers mois, les centrales les plus connues de la fonction ont mis de côté leurs rivalités pour appeler, avec peu de succès, à manifester ensemble contre la politique sociale du Gouvernement. Mais les élections professionnelles se prêtent à un tout autre cadre. Aussi bien les syndicats que les observateurs font de cette élection un rendez-vous qui dépasse le cadre même de la fonction publique, dans un contexte de désyndicalisation et l’émiettement syndical. « Si, aux dernières élections de 2014, 100 000 voix séparaient dans les trois versants la CFDT de la CGT leader, l’écart se réduirait si l’on devait ajouter le total des votes accumulés dans le public et le privé. » « Il y a 20 000 voix de différence », avance Mylène Jacquot, secrétaire générale de l’Uffa-CFDT. Autrement dit, après sa victoire dans le privé en 2016, la centrale de Belleville, même en cas d’échec, pourrait transformer le résultat en une preuve d’un renversement et d’une confirmation du recul du syndicalisme contestataire, revendiqué par la CGT face à une stratégie de compromis et de négociation. « On travaille depuis des mois à transformer un mécontentement passif en un mécontentement actif. Soit on accompagne la misère des agents, soit on s’organise pour faire entendre les aspirations des agents », se défend-on à la CGT. « Les recompositions se feront à la marge dans les différentes administrations. Les élections ne se jouent pas sur des slogans nationaux mais sur des résultats concrets et bien défendus dans chaque service. Il y a une plus grande volatilité des votes des agents », constate Dominique Andolfatto, professeur à l’université de Bourgogne. Pour les autres organisations syndicales avec une moindre audience comme la CFTC ou la CFE-CGC, l’enjeu est surtout de sécuriser a minima un siège au Conseil commun de la fonction publique, la CGT, la CFDT et FO occupant 20 des 30 sièges réservés avec un cumul de quasiment la moitié des voix. Une étape indispensable pour participer aux négociations nationales dont la tonalité risque de changer en fonction de la participation et des résultats finaux de ces élections professionnelles.

La Police Nationale, le bastion que s’arrachent les syndicats

Si les élections professionnelles risquent de faire un bide, les fonctionnaires de la police nationale ne manqueront pas de se rendre aux urnes. Dans cette maison « hypersyndiquée », 68 % ont voté en 2014. L’écart considérable avec le reste de la fonction publique s’explique par l’influence des syndicats. Au sein des commissions paritaires, leur appui est incontournable pour faire avancer des demandes individuelles d’organisation du travail et d’évolutions de carrière. « Lorsque dans les organismes paritaires, un de nos adhérents subit une injustice dans son avancement, on n’hésite pas à intervenir. Les autres peuvent toujours se syndiquer », confirme Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint d’Alliance Police Nationale. Les élections professionnelles seront l’occasion de tirer la sonnette d’alarme sur le malaise ambiant, peu après l’arrivée de Christophe Castaner place Beauvau. L’amélioration des conditions de travail, la revalorisation des carrières et des salaires, les temps de travail, les moyens supplémentaires figurent en bonne place sur les programmes. Alors que la CFE-CGC est arrivée en tête au ministère de l’Intérieur lors du dernier scrutin, suivie de FO et de l’UNSA, les organisations syndicales surveilleront de près les résultats électoraux. Yves Lefebvre, secrétaire général de l’unité SGP-police FO résume l’enjeu : « Si on accusait une défaite cuisante à l’Intérieur, FO risquerait de perdre sa première place dans la fonction publique d’État. C’est nous qui apportons le plus de voix dans l’escarcelle. »

Auteur

  • Judith Chetrit, Adeline Farge