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Aurélien Taché, un nouveau visage social à l’Assemblée

Décodages | Parlement | publié le : 01.11.2018 | Rouguyata Sall

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Aurélien Taché, un nouveau visage social à l’Assemblée

Crédit photo Rouguyata Sall

Rapport sur l’intégration, loi « Avenir professionnel », contribution au plan pauvreté, Aurélien Taché, jeune député La République en marche (LREM) et membre de la commission des affaires sociales, commence à tracer son sillon sur les sujets sociaux. Portrait.

Chômage, indépendants, partenaires sociaux, branches, voici les mots-clés qui constituent le quotidien d’Aurélien Taché à l’Assemblée nationale. Un champ lexical qui laisse deviner la « spécialité » de ce député de la 10e circonscription du Val-d’Oise. À 34 ans, Aurélien Taché a déjà à son actif un parcours dans le social. En charge de la lutte contre l’exclusion au conseil régional d’Île-de-France, alors présidé par le socialiste Jean-Paul Huchon, et l’hébergement des plus précaires, au ministère du Logement version Pinel, il est le rapporteur du volet assurance chômage de la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel ». « C’est beaucoup d’auditions, d’écriture, d’argumentaires à rédiger pour dire oui ou non aux amendements », liste le parlementaire qui a multiplié les rencontres avec les syndicats, les organisations patronales, les entreprises, les représentants de Pôle emploi, les chercheurs…

Chômage pour indépendants et démissionnaires.

Une des mesures phares : l’extension de l’indemnisation chômage aux travailleurs indépendants et aux salariés démissionnaires. Le nombre de bénéficiaires ? « L’étude d’impact dit qu’on va avoir à peu près 30 000 démissionnaires de plus chaque année dans cette mesure et environ 20 000 travailleurs indépendants concernés au départ », précise le rapporteur. Le jour de l’adoption du texte en nouvelle lecture, le groupe La France insoumise (FI) dépose une motion de rejet préalable, par la voix d’Adrien Quatennens, membre de la commission des affaires sociales. Selon lui, cette loi « procède à de nouveaux reculs en matière de droit des salariés ». Quatennens, 28 ans, est l’un des jeunes visages « insoumis ». Côté majorité, Taché est un des premiers jeunes passé en « Macronie », dès 2016. Il travaille alors sur les volets logement et pauvreté du programme. « J’ai toujours été convaincu que ce qu’il fallait faire, c’était rendre le champ des possibles le plus vaste pour chaque Français », précise l’ancien socialiste passé par l’Unef.

De la plomberie au droit public.

Né à Niort en 1984, d’une mère agent hospitalier et d’un père agent de l’équipement, en catégorie C, Aurélien Taché se rêve historien mais, en situation d’échec scolaire, il apprend la plomberie par la voie de l’apprentissage. « C’est souvent le cas en France. Les métiers dits manuels méritent mieux que d’y orienter des jeunes qui ne savent pas ce qu’ils veulent faire. » Ce qu’il en garde : l’expérience d’un « parcours de vie pas monolithique », le sentiment d’être directement utile mais d’avoir aussi un métier qui, socialement, n’est pas suffisamment considéré. « C’est ce qui fait que j’ai vraiment à cœur – et c’est un peu viscéral et pas uniquement intellectuel – de permettre à chacun de vraiment construire sa vie en fonction de ce à quoi il aspire et quel que soit l’endroit d’où il parte. »

À 19 ans, fini les tuyauteries, il reprend un cursus en droit public à l’université. « Je me suis rendu compte que cette passion pour l’histoire, cet intérêt pour le droit, révélait surtout une forte appétence pour la chose publique. Donc assez rapidement, je me suis engagé dans le syndicalisme étudiant et en politique au MJS, (Mouvement des jeunes socialistes). » À la fac, il devient président de l’Unef Limoges, en pleine contestation de la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités) sous le Gouvernement Fillon 2. Il monte à Paris pour les rencontres étudiantes dans les amphithéâtres de la Sorbonne, se sentant « comme un poisson dans l’eau » dans cet environnement politique, qu’il n’a plus jamais quitté. Une fois le concours d’attaché territorial réussi, il intègre en 2010 le conseil régional d’Île-de-France, en charge de la lutte contre l’exclusion. Son quotidien : préparer les dossiers de subventions aux associations, sensibiliser les décideurs publics. Avec un budget de 12 millions d’euros, il travaille notamment sur la résorption des bidonvilles, plus proche d’un job dans l’humanitaire que dans le social, quand il ouvre par exemple un poste d’ingénieur pour gérer les problèmes d’accès à l’eau courante et de dératisation.

Un défenseur des politiques gouvernementales dans les médias.

À l’Assemblée, sitôt élu à l’été 2017, il choisit naturellement la commission des affaires sociales. « Modestement, je crois que l’objectif que j’ai fixé à mon mandat, c’est d’essayer de contribuer à apporter des éléments de réponse macroniens à la question sociale. » Actif au sein de la majorité, il devient « whip » de sa commission, autrement dit le parlementaire chargé de coordonner les membres du groupe. Il en démissionne rapidement, expliquant avec le sourire qu’il vaut mieux un DRH à ce poste, comme son successeur Laurent Pietrasziewski, ancien cadre RH d’Auchan. Depuis, les apparitions médiatiques d’Aurélien Taché sont nombreuses, notamment sur le plan pauvreté d’Agnès Buzyn. Il y a contribué, travaillant régulièrement avec Olivier Noblecourt, délégué interministériel à la prévention et à la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, sur des sujets concrets comme les petits-déjeuners gratuits dans les écoles « prioritaires », ou le revenu universel d’activité, fusion de certaines prestations sociales. Il utilise d’ailleurs le terme plus réaliste de « versement social unique », qu’il avait proposé pendant la campagne, car « le non-recours, notamment à 30 % pour le RSA, était scandaleux ».

Le 20 septembre dernier, la lutte contre la pauvreté est au cœur de la réunion publique qu’il a organisée à Cergy, pour dresser le bilan de ses 15 mois à l’Assemblée. C’est là qu’il s’est présenté pour les législatives. « Il n’y avait pas forcément de candidats locaux très implantés, dans une ville où il y a des quartiers populaires. » Arrivé en tête au 1er tour, très loin devant le député PS sortant Dominique Lefebvre, qui a pourtant soutenu Emmanuel Macron avant le premier tour de la présidentielle, il gagne la circonscription face à Katia Noin-Ledanois (FI). Citoyens, élus, membres d’associations, l’équipe LREM 95 – près d’une centaine de personnes – a répondu présent ce soir-là. En introduction, Aurélien Taché avoue que se retrouver député du jour au lendemain n’a pas été facile. Puis il accueille la ministre Agnès Buzyn, venue soutenir ce député « particulièrement actif à la commission des affaires sociales ».

« Les élections européennes sont importantes ».

Vaccination obligatoire, reste à charge zéro pour les lunettes, les prothèses dentaires et auditives, plans pauvreté et santé, loi « Avenir pro » Agnès Buzyn n’élude aucun sujet et le député du Val-d’Oise donne rendez-vous à l’auditoire pour les élections européennes. Il répond ensuite aux questions, sur l’apprentissage, les transports, la politique étrangère de la France, etc. Un verre à la main, Aurélien Taché sourit, embrasse, sert les mains des habitants de sa circonscription, où il est surtout présent le vendredi, pour rencontrer riverains et acteurs locaux, et le week-end pour « la représentation », assistant à une finale régionale de baseball, posant la première pierre d’une mosquée, ramassant les déchets lors du World Cleaning Day ou faisant la rentrée dans une classe de CP à douze élèves.

Une voix dissonante.

Auparavant, on avait entendu Aurélien Taché, avec une voix quelque peu dissonante, sur le rapport Borloo, estimant qu’il « faut changer de logique, que la banlieue n’a pas besoin d’argent de poche ». L’ancien président de l’Unef Limoges avait aussi défendu le choix de porter le voile de Maryam Pougetoux, responsable de l’Unef à Paris IV, contrairement à Marlène Schiappa, secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes ou du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. En février, ce député présent sur beaucoup de fronts a remis à Gérard Collomb et Édouard Philippe un rapport « pour une politique ambitieuse d’intégration des étrangers arrivant en France », juste avant la présentation du projet de loi asile-immigration. Il s’est engagé dans cette mission car « c’est un des défis majeurs si la France veut rester une grande nation démocratique et tournée vers l’avenir ». Pour lui, la France n’a pas de politique publique d’intégration. « Il faut construire un discours politique, il faut rassurer les Français et leur dire qu’effectivement les gens peuvent venir, à condition qu’on se donne les moyens de faire ce qu’il faut pour qu’ensuite ça se passe bien. »

Pendant cinq mois, il a auditionné réfugiés, associations, s’est déplacé dans les ministères, à la préfecture et au rectorat de Paris, est allé interroger le Défenseur des droits Jacques Toubon et bien évidemment l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration) et l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). Il a échangé avec les acteurs de la formation, de l’emploi et avec des entreprises, comme Adecco, Airbnb, Carrefour, Mozaïk RH. Il a également organisé la venue à l’Assemblée de trois réfugiés de Turquie, d’Iran et de République démocratique du Congo, lors de la Journée internationale des migrants. Son rapport final contenait quelque 72 propositions, avec un coût total estimé à 607 millions d’euros, concernant l’insertion professionnelle avec notamment des procédures d’équivalence des diplômes, l’accès aux droits et au logement ou encore les liens culturels et citoyens avec la société française, avec entre autres le développement des cours de français. Mais peu sont reprises par le ministère de l’Intérieur…

Marc Kieny, président de la Cimade Île-de-France, estime que le rapport Taché est très positif. « Mais j’ai attiré son attention sur le fait qu’avant l’obtention du titre de séjour, il y a des procédures extrêmement longues, très hasardeuses. Si on veut les intégrer après, il faut éviter de les désintégrer avant. » Et il reste, selon lui, « énormément à faire », rappelant le durcissement des conditions d’accueil et de séjour et les délais raccourcis pour les demandes d’asile. Ce n’est pas Aurélien Taché qui va le contredire. Celui que Le Monde surnommait « le visage social de la politique migratoire », n’a pas voté la loi asile-immigration de Gérard Collomb. « Je n’ai pas voté mais je n’ai pas voté contre, insiste-t-il. Parce que cette loi ne mettait pas à mon avis la priorité sur ce qu’il fallait ». Il mentionne la priorité mise sur le retour, qui pouvait envoyer « un message un peu contradictoire avec ce qu’il pense et la philosophie globale de La République en marche ». Il préfère être absent le jour du vote. Mais pour lui, « ce texte n’était pas l’horreur qu’on voulait lui faire dire ».

Conseiller au ministère du Logement.

Aurélien Taché avait déjà travaillé sur la question migratoire en 2014, alors conseiller de la ministre du Logement Sylvia Pinel, puis d’Emmanuelle Cosse, en charge de l’hébergement des sans-abri, du logement des personnes défavorisées, de l’habitat des gens du voyage et de l’accueil des réfugiés. Il est arrivé là grâce à son « parcours Nanterre », comprendre « militant », en l’occurrence la classique voie Unef/MJS/PS, par opposition au « parcours Voltaire », du nom de la promotion de l’ENA, de François Hollande, Ségolène Royal ou Dominique de Villepin. À l’époque, le camp de Calais occupe 50 % de son temps. De ses débuts, où il gère l’installation des containers en collaboration avec le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, jusqu’à son dernier dossier, le démantèlement de la jungle. « Calais, c’est incontestablement ce qui a le plus marqué mon parcours professionnel. »

Des bidonvilles aux travailleurs indépendants, Aurélien Taché trace son sillon dans la politique sociale. Et il espère continuer à agir « pour ceux qui ont le plus de mal à trouver leur place dans la société », dans la sphère publique, ou peut-être ailleurs. Mais toujours sur la lutte contre l’exclusion, pour l’insertion et l’égalité. À l’instar d’un de ses modèles en politique : Robert Kennedy, frère de JFK, « quelqu’un qui a su allier grande exigence morale, grands combats contre l’injustice et une forme de réalisme ». Il a quitté le PS pour LREM, comme ses amis de la « bande de Poitiers », macronistes de la première heure, les députés Gabriel Attal, Guillaume Chiche et le conseiller politique du président, Stéphane Séjourné. « Si vous y tenez absolument, je suis quand même plutôt de gauche. Mais je crois vraiment qu’il existe tout un espace politique qui n’est pas occupé en France et qui serait proche du parti démocrate aux États-Unis, ou en Italie. Je suis de gauche, mais pas marxiste », résume ce petit-fils de résistant communiste. Pour une fois, ses adversaires de La France insoumise seront bien d’accord avec lui…

Promotion des emplois francs

En mai, Aurélien Taché, qui est aussi secrétaire du groupe d’études « Villes et banlieues », déambulait sur le marché de Cergy-Saint-Christophe pour faire la promotion des emplois francs. Présent dans le rapport Borloo sur les banlieues, ce dispositif, expérimenté sur sept territoires, consiste en une prime à l’embauche d’un résidant de quartier prioritaire, jusqu’à 5 000 €/an pour un CDI. D’après lui, le dispositif est bien reçu par le tissu d’entreprises mais seule une cinquantaine de contrats ont été signés depuis le printemps. « La prime seule ne fait pas tout, explique-t-il. Il y a une ingénierie à mettre en place pour être certain de bien choisir les jeunes, de les accompagner. Je vais lancer un comité de pilotage dans les semaines à venir. »

Après le week-end en « circo », Aurélien passe son lundi à l’Assemblée : réunion d’équipe pour balayer l’agenda et les dossiers, puis il prépare la réunion de groupe, les projets d’amendements et ses passages média. Mardi et mercredi, « tous les travaux parlementaires purs », soit réunions de groupe, questions au Gouvernement, commission des affaires sociales. Le jeudi, plutôt les réunions politiques avec d’autres députés et les rendez-vous, en ce moment, avec les acteurs concernés par la protection sociale des travailleurs indépendants. Son amendement à la loi « Avenir pro » sur ce sujet a d’ailleurs été rejeté par le Conseil constitutionnel, « n’ayant aucun lien avec le projet de loi ». L’idée était que les plateformes qui emploient des travailleurs « uberisés » tels que les livreurs à vélo, puissent établir une « charte sociale », validée par le ministère du Travail. Néanmoins, en juillet, le Clap (collectif des livreurs autonomes parisiens), lance un mouvement de grève contre la mesure, arguant que « le principe de charte sociale décidée de manière unilatérale et sans contrepartie aucune de la part des plateformes ne peut qu’instituer la dépendance et la précarité des travailleurs ».

Autre sujet lancé par le jeune député, qui a fait beaucoup réagir : le plafonnement des indemnités chômage des cadres, aujourd’hui limitées à 6 200 euros nets mensuels. « Ces plafonnements extrêmement élevés peuvent les conduire […] à ne pas retourner toujours aussi rapidement dans l’emploi qu’ils ne le pourraient, avance Aurélien Taché. Je considère que c’est une mesure de justice. »

Affaire à suivre dans les négociations sur la réforme de l’assurance-chômage en cours.

Auteur

  • Rouguyata Sall