logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Arc, la verrerie réinventée

Décodages | Management | publié le : 01.11.2018 | Lys Zohin

Image

Arc, la verrerie réinventée

Crédit photo Lys Zohin

La société familiale, reprise par des investisseurs américains en 2015, a opéré une profonde mutation. Aujourd’hui, de nouveaux défis l’attendent : améliorer, encore et toujours, la productivité, mais aussi embaucher des jeunes pour remplacer les nombreux départs à la retraite.

Ses grands yeux s’allument lorsqu’il avoue : « Je voudrais bien atteindre le stade de metteur au point ». Cela prendra plusieurs années avant que Vincent Taffin ait assez de savoir-faire pour paramétrer les énormes machines qui reçoivent des gouttes de verre en fusion, pour les couler dans des moules et créer des verres à pied ou des assiettes, dans les ateliers d’Arc, près de Saint-Omer, à 70 kilomètres de Lille. Mais le jeune homme est confiant. Et déjà content d’avoir décroché un CDI après une formation maison de six mois. « J’ai un CAP de carrosserie, mais je n’ai pas pu trouver de travail », explique-t-il. Sa situation est emblématique à plus d’un titre. D’abord, elle incarne le renouveau d’Arc, au bord du gouffre il y a encore quatre ans, puisqu’elle montre que la société va mieux et embauche. Ensuite, elle illustre l’un des défis majeurs de l’entreprise : d’ici à 2023, il y aura 1 500 départs à la retraite, soit 250 par an, sur les quelque 5 000 salariés que compte la société sur son site des Hauts de France. Et la seule solution, de l’avis de la direction comme des syndicats, c’est d’améliorer les conditions de travail pour rendre la verrerie plus séduisante aux yeux des jeunes, grâce à la robotisation. Enfin, la chance qu’a eu Vincent Taffin, sélectionné sur sa motivation et son savoir être, donne de l’espoir à d’autres jeunes, dans un bassin d’emploi durement éprouvé ces dernières années.

Responsabiliser tous les collaborateurs.

Dans les unités de production de l’immense parc du Hocquet, le bruit et la chaleur sont partout où circulent essentiellement des hommes – bleu de chauffe, casque antibruit et poignée de main virile – qui produisent au total, dans l’unité STN, quelque 82 000 tonnes de verres, assiettes et autres saladiers par an, soit 250 millions de pièces emballées, plutôt par des femmes, et expédiées ensuite aux quatre coins du monde, le tout 24 heures sur 24, 365 jours par an.

« Peaked Hill Partners (PHP), le repreneur américain qui a pris les commandes en 2015, voulait faire fabriquer certaines pièces aux États-Unis, mais cela n’a pas marché, le savoir-faire est en France », relève avec fierté Thomas Godart, directeur d’unité STN depuis 2015. Une unité autonome comme toutes les autres, de la goutte de verre jusqu’au produit emballé. C’est là l’un des changements majeurs de la société depuis 2015. Chaque unité comprend aujourd’hui une équipe complète, incluant les ressources humaines, pour favoriser une compréhension de toutes les contraintes. Si cela a créé quelques problèmes en termes d’affectation au début, les choses se sont progressivement mises en place. « Il s’agit maintenant de faire descendre le concept jusque dans les ateliers, pour responsabiliser tous les collaborateurs », indique Thomas Godart. Déjà, chacun doit vérifier, à son niveau, la qualité du produit qu’il transmet à l’équipe suivante dans la chaîne de fabrication, au lieu de s’en remettre à un contrôle qualité final. D’ailleurs, cette année, durant l’opération McDonald’s (des verres estampillés de la marque Coca-Cola et distribués avec un menu), « nous avons eu beaucoup moins de problèmes de qualité que l’an dernier », se réjouit Thomas Godart. Le changement de culture est donc bien enclenché. L’approfondir devrait prendre deux ans, selon l’estimation de la direction, qui a misé et mise toujours sur la pédagogie, pour que tous se l’approprient. « Chacun, à quelque niveau que ce soit, doit pouvoir appréhender l’ensemble des opérations et les enjeux de productivité, de qualité, de sécurité, afin de créer une solidarité entre les métiers », explique Thomas Godart, qui a fait l’essentiel de sa carrière à Arc et occupé des postes en planification/ordonnancement, ainsi que de responsable d’unité et de gestion des effectifs. De quoi l’armer lors de la grande bascule décentralisatrice. Il a également été coaché et formé sur le leadership. « Manager 850 personnes qui font les cinq huit n’est pas si facile, mais nombre de salariés, qui travaillent depuis des années à Arc, sont passionnés et très attachés à l’entreprise. S’ils ne l’avaient pas soutenue quand ça allait mal, nous ne serions plus là », dit-il.

Changement de stratégie.

La transformation organisationnelle n’a pas été la seule initiative des nouveaux investisseurs. Arc a changé son logo et jusqu’à son nom, devenu Arc au lieu d’Arc International. Mais surtout, au lieu de privilégier le cristal, comme l’avait fait la famille fondatrice depuis ses débuts, en 1825, la nouvelle direction a parié sur des produits d’entrée de gamme, négociés en direct avec des enseignes comme Ikea. « Avant, les commerciaux ignoraient tout de la production et du prix de revient, aujourd’hui ils savent quelle marge de négociation ils peuvent avoir », résume Emmanuel Saussard, le DRH de la société. Là encore, l’idée que chaque collaborateur ait une vision et une compréhension globale de l’entreprise fonctionne à plein. Après sa traversée du désert, la société engrange les contrats et attire un nouveau public. « Au point qu’en volume, la vaisselle produite à Arques est le deuxième produit le plus vendu chez Ikea, le premier étant les sacs de shopping bleus ! », s’exclame le DRH. « Et le 25 décembre 2017, nous avons battu un record, en produisant un milliard de pièces depuis le 1er janvier », ajoute-t-il. Signe que la cadence n’a cessé de s’accélérer. « L’autonomie des unités nous a offert une plus grande agilité, poursuit-il, en transformant des spécialistes en professionnels polyvalents. ». Mais c’est surtout l’organisation du travail – très lean – qui a été repensée, pour, par exemple, réduire les déplacements des employés à l’emballage. Et le paramétrage des machines a été affiné. Cela peut paraître anodin, mais quand les ouvriers doivent changer 500 fois d’outils en un mois, pour produire plusieurs types de pièces différentes – des verres à pied ou des gobelets, des assiettes creuses ou plates… serrer tous les boulons est essentiel. Enfin, Arc a innové dans le design, créé de nouveaux produits, relancé certaines marques. La société célèbre ainsi cette année les 60 ans d’Arcopal. L’année 2018 signe également un tournant, puisqu’un nouveau directeur général Groupe, Nicholas Hodler, ancien directeur des opérations Groupe, a été nommé cet été. Sa mission est d’accroître la performance opérationnelle.

Automatisation.

Pour ce faire, Arc mise sur l’automatisation et la robotisation, afin de parfaire l’efficacité de la production et réduire la pénibilité des tâches. Déjà, des tables élévatrices mettent automatiquement à niveau les cartons d’emballage pour que le personnel, qui travaille dans cette unité, n’ait plus à se pencher ou à soulever d’énormes poids. La logistique interne – la direction a calculé qu’un carton est parfois déplacé six fois avant d’être embarqué dans un camion de transport ! – est repensée pour limiter le nombre de coups de fourche. Enfin, de nouveaux robots viendront rejoindre les araignées équipées de ventouses, qui soulèvent les pièces fabriquées, tandis que dans l’unité décor, de nouvelles machines s’appuyant sur des technologies dernier cri viendront apporter de la productivité et de la flexibilité par rapport aux process traditionnels, tels que la dépose de couleurs une par une. Autant de nouveautés qui seront déployées sur toute l’année à venir. Et autant d’investissements qui coûtent cher, alors que la société manque encore de cash, mais qui sont essentiels, non seulement pour l’accroissement de la productivité et l’allégement des tâches pénibles et répétitives, mais aussi, parce que, aux yeux de la direction comme des syndicats, c’est la promesse que des jeunes pourront s’intéresser à l’entreprise.

Il lui faut en effet trouver des candidats pour assurer la relève des salariés proches de la retraite. Le défi est de taille. « Ce ne sont pas des métiers que l’on apprend à l’école, souligne Jaufré Flandrin, le « maître du feu ». Il faut déjà un an pour qu’un conducteur de machine soit habilité, et ensuite, quatre ou cinq ans pour qu’il soit bon… » Visière devant les yeux, il observe avec attention la fusion dans son four. Et sans doute y voit-il aussi l’avenir…

Chiffres

Arc emploie actuellement 10 500 personnes dans le monde, dont un peu plus de 5 000 en France.

Son chiffre d’affaires monde a atteint 939 millions d’euros en 2017, en hausse de 6,1 % par rapport à 2016.

Elle va recruter dans les prochaines années plus de 200 personnes par an sur son site du Pas-de-Calais.

Elle produit plus de deux milliards de pièces par an et le rendement des usines a augmenté de 2,2 % par an en moyenne depuis 2015.

« La première chose que nous demandons, c’est la robotisation »

« C’est la première fois depuis 2010 que je vois partir des gens à la retraite à 60 ans ! », s’exclame Frédéric Specque, élu CGT et secrétaire du CE d’Arc depuis 2009. Avant cette date, en effet, les départs en préretraite, pour alléger l’effectif, ont été nombreux… Quant au plan de sauvetage de l’emploi qu’il a négocié en trois semaines, en 2015, il en est « assez fier ». « Il n’y a eu que 130 licenciements secs, sur 5 600 salariés à l’époque », explique-t-il. Un moindre mal. Ce qui ne veut pas dire que ceux qui restent s’estiment heureux. « Les plus anciens en ont vu d’autres partir plus tôt, dans de bonnes conditions, même si c’était pour de mauvaises raisons », relève-t-il. Du coup, ceux qui doivent désormais tenir jusqu’à l’âge légal de la retraite se sentent lésés, d’autant que les conditions de travail les ont usés, à travailler dans la chaleur et le bruit ou à soulever des caisses d’assiettes ou de verres de 14 kilos à longueur de journée, avant l’automatisation partielle des lignes d’emballage. En outre, maintenant qu’Arc va mieux, ils sont nombreux à vouloir récolter les fruits de leurs efforts. Si la CGT a toujours privilégié l’emploi et la collectivité, « SUD, syndicat minoritaire sur place, sert un discours populiste », se plaint l’élu CGT, discours qui rappelle d’ailleurs « le paternalisme d’antan qui régnait dans l’entreprise familiale ». À cela s’ajoute, selon Frédéric Specque, le fait que le repreneur principal, PHP, a fait beaucoup de promesses, notamment sur la rapidité avec laquelle il comptait « retourner » l’entreprise. Or cela va moins vite que prévu, et la société, qui soutient à bout de bras des filiales à l’étranger peu rentables, ploie encore sous les dettes. Bref, si les relations entre salariés et direction se sont largement améliorées, la situation reste fragile.

Et la CGT n’hésite pas à se faire pressante. « La première chose que nous demandons, c’est la robotisation », indique Frédéric Specque. Cela peut paraître étrange de la part d’un syndicaliste, mais « il s’agit d’améliorer les conditions de travail et d’accroître la rentabilité, sous peine de voir les emplois partir ailleurs ». Une façon de défendre la production, mais aussi, dit-il, de motiver des jeunes, peu enclins à s’échiner comme leurs aînés. Autre demande de la CGT : des hausses de salaires. « La dernière négociation annuelle obligatoire a été à peu près bonne (2,5 % d’augmentation pour les plus bas salaires), mais nous demandons un accord d’intéressement, et nous voulons une prime exceptionnelle en fin d’année », dit-il, déterminé.

Propos recueillis par L.Z.

Auteur

  • Lys Zohin