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Compétences : le nouveau Graal ?

À la une | publié le : 01.11.2018 | Gilmar Sequeira Martins, Lucie Tanneau

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Compétences : le nouveau Graal ?

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins, Lucie Tanneau

Avec la montée des soft skills, la notion de compétences fleurit dans tous les discours RH. Certains parlent désormais de rôle plutôt que de métier, pour insister sur le set de compétences nécessaires demandé à chaque collaborateur. Le diktat des compétences remet en tout cas en question les conventions collectives et la formation tout au long de la vie.

Un tiers (à 70 % selon les études) des métiers de demain est inconnu ce jour. « Ils consisteront soit en des emplois tout à fait nouveaux, soit en des évolutions profondes des métiers existants dont l’exercice sera bouleversé », explique le Lab RH dans son analyse sur « l’hybridation des compétences, processus pour inventer demain », paru en janvier dernier. Le métier de community manager, pourtant jeune, serait déjà en voie de disparition, et d’autres professions, comme les comptables, repensent déjà leur activité pour s’adapter.

« Nous parlons de compétences car la révolution numérique fait évoluer les métiers et leurs savoir-faire et savoir-être propres : les entreprises doivent affiner leur vision en passant par les compétences de base (numerati, literati), les compétences pointues (analyse, croisement de savoir-faire…) et les nouvelles compétences (travail à distance, literati plus avancé…) », expose Bénédicte Ravache, la secrétaire générale de l’ANDRH. « Nous assistons, avec l’accélération des révolutions techniques, à une dilution des métiers », confirme Sylvaine Pascual, spécialiste en reconversion professionnelle (Itaque coaching) qui voit se multiplier les métiers « hybrides » en demande de nouvelles compétences, notamment « numériques et techniques ». « Ce sont des choses qui ont déjà existé : quand la machine à écrire a été remplacée par l’ordinateur, les compétences ont changé, sauf qu’aujourd’hui nous parlons de compétences très différentes d’un secteur à l’autre dans un monde qui évolue plus vite », insiste-t-elle.

S’adapter au changement.

« L’objectif des entreprises a toujours été de s’adapter plus vite que la concurrence à l’exigence des consommateurs, or entre l’imprévisibilité des technologies de demain et l’internationalisation des marchés, l’adaptabilité doit faire la différence par rapport à des pays où le coût de travail est moins élevé : d’où la demande de plus en plus importante de compétences, notamment transversales », complète le sociologue Denis Monneuse. Pour résumer : les entreprises ont besoin de collaborateurs avec des compétences qui leur permettent de se remettre à jour.

Le directeur général de l’Institut de l’entreprise confirme : « Nous demandons à chaque personne de regrouper de plus en plus de compétences. » Paul Allibert cite en exemple les chargés de production qui doivent désormais être capables de faire de l’accueil client ainsi que du contrôle qualité. « Du fait du gain de productivité lié à la digitalisation des entreprises, les organisations s’aplatissent et les postes sont plus polyvalents, c’est-à-dire avec un set de compétences élargi », analyse-t-il. « Nous demandons de plus en plus à un grand nombre de salariés de résoudre des problèmes et d’entrer en relation avec des tiers, des missions qui étaient auparavant plutôt réservées au personnel hautement qualifié », poursuit Bénédicte Ravache. « Pour y parvenir, l’entreprise doit avoir une vision prospective des métiers de demain. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, seule, ne suffit plus. »

Comment en est-on arrivé là ? Cette dynamique nouvelle découle pour une part de la transformation rapide des environnements de travail sous l’effet d’une plus forte concurrence et de la croissance des services. Le Lab RH a défini cinq facteurs de changement : la robotique et l’intelligence artificielle, le rapport à la connaissance et aux compétences, la quête de sens, les nouvelles formes d’organisation du travail, et les neurosciences. Les compétences sont donc de plus en plus rapidement obsolètes.

L’émergence du pouvoir d’initiative.

La montée en puissance des enjeux environnementaux liés à la transition énergétique a également joué un rôle, de même que la situation économique. Sandrine Aboubadra-Pauly, chef du projet « Prospective, métiers et qualification » de France Stratégies, estime qu’elle a eu un impact sur les attentes des entreprises et sur l’attitude des candidats : « Avec un taux de chômage élevé, les entreprises vont distinguer deux candidats ayant un diplôme équivalent en se fondant sur les compétences transversales. Les études de Pôle emploi montrent que c’est le deuxième critère que recherchent les employeurs après la motivation. » Les classements internationaux contribuent aussi à ce phénomène. En prenant appui sur les résultats des enquêtes PISA pour les jeunes ou PIAAC pour les adultes, ils diffusent une logique de renforcement de ces compétences.

Le travail s’en trouve lui aussi transformé, souligne de son côté Philippe Debruyne, secrétaire confédéral CFDT et président du Comité interprofessionnel pour l’emploi et la formation (Copanef) : « Aujourd’hui, la valeur du travail repose sur la capacité et le pouvoir d’initiative. Le travail prescrit, où la dimension technique domine, se transforme en un modèle qui exige davantage d’engagement et donc demande une prise d’initiative. Il est aujourd’hui nécessaire de mobiliser d’autres capacités que des capacités techniques professionnelles. »

En lieu et place des anciens process séquentiels, dont la bonne marche reposait principalement sur la coordination entre équipes, sont apparues des démarches projet. Elles réunissent des professionnels issus de différents services avec des domaines d’expertises bien distincts et qui sont peu habitués à échanger. « L’enjeu n’est pas seulement dans le leadership de ces équipes, estime cependant Philippe Debruyne. Il faut aussi savoir comment chacun va se sentir valorisé dans son travail, respecté dans son champ de compétences. Il est également nécessaire qu’il ait l’impression d’un équilibre entre ce qu’il reçoit et ce qu’il donne au collectif de travail. » L’enjeu, pour les entreprises ? « Rester dans la course, intégrer les nouvelles compétences à leur façon de faire plutôt que de rester sur des métiers vieillissants », résume la coach Sylvaine Pascual.

« C’est pour cela que le DRH est aujourd’hui l’une des fonctions les plus challengées de l’entreprise », reprend Paul Allibert : « Il y a un enjeu en termes de staffing : le DRH doit avoir du leadership et être efficace dans le recrutement afin de choisir des candidats possédant une personnalité, polyvalents, plus que des experts ou des sachants. Il doit également imposer l’idée que nous devons nous intéresser aux personnes pour leur proposer une histoire avec l’entreprise », défend le directeur de l’Institut de l’entreprise.

Orange revoit son référentiel métier.

« Nous avons toujours cherché des compétences et des gens compétents », fait valoir Mathieu Rivière, responsable RH de Devoteam, entreprise de conseil et services numériques. « Ce qui change, c’est que les choses évoluent tellement vite que nous ne savons pas de quoi demain sera fait, donc nous devons nous assurer que les gens possèdent le socle de compétences leur permettant d’évoluer et de s’adapter plus rapidement. » Ses méthodes de recrutement ont changé. « Nous nous ouvrons à des personnes qui ont un bon mindset, une capacité d’analyse, une bonne communication orale et rédactionnelle, qui ont la capacité de manager ou une bonne autonomie… Techniquement, nous serons capables de compléter leurs savoirs. » Afin d’élargir son recrutement, la société organise chaque année un événement de networking. « Nos managers rencontrent pendant trois jours un maximum de personnes pour faire naître des opportunités, car le CV ne montre pas tout », résume le responsable RH qui souhaite aussi capitaliser sur les compétences présentes en interne afin de permettre aux salariés d’évoluer et les accompagner.

Chez Orange aussi, le référentiel métier est en plein changement. « Nous cherchons à savoir ce que les personnes sont capables de faire au-delà de l’étiquette métier qu’on leur a apposée », décrit Armelle Bourden, la directrice emploi, compétences et parcours professionnels du groupe. « L’enjeu est de passer du pilotage de l’emploi au skill management pour repérer les compétences, et faire correspondre les salariés à la nouvelle organisation du travail », explique-t-elle. Pour que ceux qui en ont la compétence travaillent en équipe projet, propice à l’innovation et à la créativité, par exemple.

Avec un objectif : pouvoir promettre à son salarié d’augmenter son employabilité. « La question n’est pas encore traitée en France, mais il s’agit là du cœur du problème », prévient Paul Allibert. « La carte de visite de l’entreprise ne suffit plus, les jeunes qui entrent en entreprise et les personnes qui y sont, souhaitent s’assurer que l’entreprise va leur offrir un gain d’employabilité : c’est un challenge pour les DRH. » « Les RH doivent aider les salariés à valoriser et à entretenir leurs compétences, car une aptitude non utilisée (la maîtrise d’une langue étrangère, par exemple) devient obsolète », met en garde Bénédicte Ravache.

« C’est une stratégie ’gagnant-gagnant’ : en ciblant les compétences, l’entreprise repositionne les personnes et leur propose des projets dans lesquels leurs compétences sont utiles, cela permet aux salariés de diversifier leur vie professionnelle », assure Armelle Bourden. Chez Orange, l’application « Mes compétences » permet de disposer d’une cartographie des compétences disponibles sur un sujet donné grâce à des questions posées aux collaborateurs sur leur Smartphone. « Quand nous observons de quoi les gens sont capables, grâce à ce qu’ils ont réalisé dans l’entreprise ou en dehors, cela permet d’affiner les propositions de formation, de mettre en avant le capital compétences qu’ils ont acquis tout au long de leur vie, et cela contribue à redonner du sens à leur métier en les sortant des cases dans lesquelles ils pouvaient être enfermés avec des connaissances présumées. »

Pour cartographier ces nouvelles compétences, les entreprises, les salariés ainsi que les partenaires sociaux ont encore du travail. Comment les définir, les hiérarchiser, les évaluer et les faire coïncider avec les métiers actuels et futurs ? Le parcours ne fait que commencer.

Compétence : objet juridique encore non identifié

Tout reste à faire. « Il n’existe pas de définition légale des ’soft skills’ ou des compétences transversales », constate Cyril Parlant, avocat du cabinet Fidal et spécialiste du droit social. Pour autant, les entreprises et les acteurs sociaux ne sont pas plongés dans une totale obscurité. Certains éléments du Code du travail « tracent un chemin », en particulier le nouvel article 6113-1 sur les certifications. « Désormais, elles sont définies à la fois par un référentiel d’activités mais aussi par un référentiel de compétences, explique Cyril Parlant. Elles ne sont pas définies mais identifiées. Il y a désormais une distinction juridique claire entre connaissances et compétences, l’article incluant dans cet ensemble les compétences transversales. Les compétences sont désormais un objet juridique. » Mieux encore : ce même article 6113-1 crée un deuxième objet juridique, à savoir le « bloc de compétences », c’est-à-dire un ensemble homogène et cohérent de compétences qui contribuent à l’exercice en autonomie d’une activité professionnelle, compétences qui, indique l’article, peuvent être évaluées et validées. Si l’émergence du terme compétences, y compris transversales, et de la notion de « bloc de compétences », marque une évolution notable, faut-il pour autant essayer de trouver une définition unique ? Cyril Parlant se montre prudent : « Il est délicat de donner une seule définition de la compétence, cela serait réducteur. Globalement, je crois que tous les acteurs s’accordent pour dire que c’est une combinaison de connaissances théoriques et d’une mise en application dans une situation professionnelle. Ce qui est fondamental, c’est de créer des référentiels pour identifier et normer les compétences. » À quels acteurs confier une mission aussi délicate ? Cyril Parlant a déjà une idée bien arrêtée : « Les branches professionnelles sont le champ pertinent d’élaboration des référentiels, car ce sont elles qui définissent les certifications et les CQP à travers les CPNE. C’est un sujet de dialogue social très fertile. Il faut que les partenaires sociaux de toutes les branches s’emparent de ce sujet qui crée de la valeur ajoutée. » Une option d’autant plus pertinente que l’émergence de ces compétences transforme aussi le champ de la formation et le rôle des formateurs. « Les responsables de formation sont devenus des développeurs de compétences, estime Cyril Parlant. Ils seront de plus en plus des détecteurs de compétences car l’évolution des métiers et des pratiques va faire surgir de nouvelles compétences. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins, Lucie Tanneau