logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Qui doit gérer l’assurance chômage ?

Idées | Débat | publié le : 01.10.2018 |

Image

Qui doit gérer l’assurance chômage ?

Crédit photo

La renégociation des règles d’indemnisation chômage est lancée avec les partenaires sociaux. L’exercice sera encadré par le gouvernement, qui fixera notamment une trajectoire financière. Dès lors, quelle sera la responsabilité des uns et des autres en matière de gestion paritaire ?

Sophie Thierry : Conseillère (Groupe des personnalités qualifiées) au CESE

La question préalable à « qui doit gérer l’assurance chômage ? » est celle de la finalité de l’assurance chômage. Face à la diversification des formes de travail (tant du côté des salariés que des indépendants) et des parcours alternant les métiers et les statuts, l’idée a fait son chemin d’une protection sociale universelle attachée à la personne et non plus aux emplois ou aux statuts.

Mais que met-on derrière l’universalité ? Une solidarité nationale pour assurer revenu et protection sociale minimum garantis à tout citoyen ? Un accompagnement face aux aléas afin de permettre à tout travailleur, quel que soit son statut, de garder ou reprendre une activité professionnelle ? Logique de solidarité financée par l’impôt ou logique contributive financée par des cotisations prélevées sur les revenus du travail ?

Les nouvelles formes de travail indépendant pourraient s’avérer un cheval de Troie pour cette refondation de la protection sociale. Médiatisée autour des chauffeurs et des coursiers à vélo, mais correspondant à une réalité bien plus variée, l’importance du sujet n’est pas liée au nombre de travailleurs qu’il représente aujourd’hui. En revanche, il révèle à quel point les systèmes actuels sont organisés autour du modèle du salarié CDI temps plein et ne permettent plus d’accompagner des parcours professionnels qui prennent d’autres formes (différents statuts) de façon successive ou concomitante. Et quand, au début de cette année, les partenaires sociaux ont reporté l’ouverture de l’assurance chômage aux travailleurs indépendants, l’État a repris immédiatement la main et instauré une allocation forfaitaire dont il fixe le montant et les conditions d’attributions. Cette catégorie de travailleurs sort ainsi de la logique contributive d’accompagnement des parcours.

Ces choix sont avant tout des choix de société. Avant de se demander qui gère, il est urgent de clarifier : une assurance chômage pour quoi faire et qui en décide les modalités ?

Denis Gravouil : Secrétaire général de la fédération CGT du spectacle et membre de la commission exécutive confédérale, en charge du dossier assurance chômage.

Rappelons et actualisons l’esprit du programme du Conseil national de la Résistance, si justement nommé « Les Jours Heureux « : même si l’assurance chômage ne fut pas mise en place à la Libération avec la Sécurité sociale, il s’agit bien, comme pour la maladie ou la retraite, de faire en sorte que les travailleurs puissent mutualiser une part de salaire, et générer un revenu de remplacement pour les privés d’emploi. C’est le sens de la cotisation, avec une participation salariale déduite du net et une part patronale constituant une augmentation de salaire, mais mutualisée et différée.

En remplaçant la cotisation salariale par un impôt, le gouvernement Macron ne se contente pas de prétendre procéder à une augmentation du salaire net (reprise au centuple sur les pensions de retraite actuelles ou futures) : il change la nature du système social, en remplaçant la solidarité entre travailleurs par l’assistance de l’État. On le voit dans l’injonction en juillet (lorsque les prévisions de croissance sont soudainement revues à la baisse) de renégocier la Convention Unedic : le pilotage n’est plus celui d’une assurance sociale pour ouvrir des droits en fonction du travail mais celui d’un Gouvernement obnubilé par la cure budgétaire, au détriment des droits acquis, et au passage au détriment de l’activité et des emplois, mis à mal par l’austérité.

Pour la CGT, c’est donc aux travailleurs de gérer l’assurance chômage, à travers leurs organisations syndicales et sur la base de la représentativité, acquise lors d’élections démocratiquement organisées.

Cela n’interdit pas d’inscrire dans la loi les grands principes de l’assurance chômage, afin de garantir enfin l’esprit de la Constitution et la nécessité d’assurer à toutes et tous un revenu de remplacement, ce que nous proposons avec le Nouveau Statut du travail salarié.

Depuis 1958, la gouvernance de l’Unedic, organisme gestionnaire, est paritaire, donc partagée avec le patronat (et monopolisée en son sein par le Medef). Il est légitime de se poser la question de la légitimité du paritarisme quand le patronat ne défend les intérêts que de quelques-uns !

Bruno Coquet : Chercheur affilié à l’OFCE

L’assurance chômage est un dispositif de sécurité sociale très spécial : créé par les syndicats (Europe) ou les entreprises (États-Unis), intimement ancré dans la production et non dans la redistribution, il doit être adossé à l’autorité régalienne pour être efficace (obligatoire, universel, etc.).

La légitimité historique et économique va aux partenaires sociaux, mais leur gouvernance est ternie par une chronique de négociations tumultueuses impuissantes à enrayer l’accumulation de déficits et de dettes. Leur bilan n’est pourtant pas si noir : d’une part, le déficit de l’Unedic ne vient pas de l’activité d’assurance, qui est excédentaire chaque année depuis 25 ans (cotisations supérieures aux allocations) ; d’autre part, les moyens ont été bien réorientés vers les risques effectifs (c’est le rôle d’un assureur), principalement associés aux contrats courts ; enfin, d’importantes économies structurelles ont été faites (1,6 milliard d’euros par an en rythme de croisière pour les trois dernières conventions). Et puis, s’il y a faillite de gouvernance, l’État n’y est pas étranger, car il agrée les règles, garantit la dette et fait payer des politiques publiques par l’Unedic (financement du service public de l’emploi, politique culturelle, frontaliers, etc.) ; en outre, rien n’assure qu’il aurait fait mieux que les partenaires sociaux, la Cour des comptes ayant étrillé sa gestion du Fonds de solidarité, qui a créé plus de dette publique que l’Unedic avec un budget dix fois moindre.

La bonne gouvernance, c’est une gestion rigoureuse et éclairée : principes solides, transparence, débat public, contrôle de gestion méthodique, surveillance multilatérale équilibrée (un conseil d’orientation de l’assurance chômage, structure qui a fait ses preuves pour les retraites). Ce sont les clés d’une assurance chômage efficace et solide, indépendamment de qui les détient.

Ce qu’il faut retenir

//Bonne nouvelle : Publiées le 13 juin 2018, les prévisions de l’Unedic tablent sur un « quasi-équilibre » en 2019. Mieux, le régime devrait, sans prendre en compte la réforme en cours, dégager des excédents dès 2020, à hauteur de 1,6 milliard d’euros cette année-là, puis de 3,6 milliards en 2021. Une situation inédite depuis 2009, qui s’explique par la baisse du taux de chômage.

//Mauvaise nouvelle : Si les partenaires sociaux estiment que cette embellie future est emblématique de leur bonne gestion, le gouvernement se réserve, au-delà de la lettre de cadrage, le droit d’intervenir : si la convention négociée ne respecte pas les objectifs fixés, l’État pourra définir par décret les paramètres du régime.

//Réforme européenne : Les règles d’indemnisation des frontaliers ont changé le 21 juin dernier. Jusqu’à présent, les personnes vivant en France mais travaillant dans un pays limitrophe versaient leurs cotisations à l’assurance chômage du pays de leur employeur, tout en étant, en cas de chômage, prises en charge par leur pays de résidence. Désormais, c’est l’État dans lequel le salarié travaille qui prendra en charge le paiement des indemnités. De quoi faire économiser à l’Unedic plus d’un demi-milliard d’euros par an…

En chiffres

35 MILLIARDS D’EUROS

C’est le montant maximum de la dette de l’assurance chômage – soit l’équivalent des recettes d’une année – qui serait atteint en 2019, avant de diminuer, pour atteindre 29,8 milliards d’euros en 2021. Ouf !

Source : https://www.unedic.org/espace-presse/actualites/partir-de-2020-lassurance-chomage-engagerait-son-desendettement

2019

Les partenaires sociaux ont jusqu’à février 2019 pour se mettre d’accord. À l’approche de la publication de la lettre gouvernementale de cadrage, fin septembre, Pascal Pavageau, secrétaire général de FO, et Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, s’inquiétaient d’objectifs « inatteignables » qui leur seraient imposés…