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Le retour de la saga des seuils d’effectifs

Idées | Juridique | publié le : 01.10.2018 |

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Le retour de la saga des seuils d’effectifs

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Les seuils sociaux, qui déterminent l’application des obligations fiscales et sociales incombant aux entreprises en fonction de leur nombre de salariés, sont à nouveau au cœur du débat après avoir été sur la sellette il y a 4 ans. Le Gouvernement entend à nouveau les modifier de façon drastique. Mais cette fois, le projet devrait se concrétiser !1.

La réforme à venir

L’enjeu est considérable tant les seuils concernent un très grand nombre de droits et obligations : participation des salariés aux résultats ; mise en place et moyens des IRP ; exigibilité des prélèvements obligatoires, contenu de la DADS ; PSE ; règlement intérieur ; obligation d’emploi des travailleurs handicapés, etc. La loi Pacte, si le projet n’est pas substantiellement modifié d’ici la fin des débats parlementaires, va entraîner de très importantes modifications. Tout d’abord, il est prévu un mode de calcul unique des seuils sociaux dans le Code de la Sécurité sociale. Pour calculer l’effectif annuel, il faudra, à suivre le projet, dans tous les cas tenir compte de la moyenne du nombre de personnes employées chaque mois de l’année civile précédente. La tarification AT/MP obéirait à un décompte spécifique : l’effectif pris en compte serait celui de la dernière année connue. Il est aussi prévu que l’effectif à prendre en compte pour l’année de création du premier emploi salarié titulaire d’un contrat de travail dans l’entreprise correspondrait à l’effectif présent le dernier jour du mois au cours duquel a été réalisée cette première embauche. La mesure la plus emblématique concerne le franchissement des seuils. Ceux prévus par le Code de la Sécurité sociale seront considérés comme franchis lorsque le seuil aura été atteint pendant 5 ans d’affilée. À chaque fois que l’entreprise passera sous le seuil, pendant le délai de 5 ans, on repartira à zéro. Par un système de renvois du Code de la Sécurité sociale vers le Code du travail cette règle concernera aussi un certain nombre de règles figurant dans le second : chèques vacances, versement transport, emploi des travailleurs handicapés, etc. Par ailleurs, il est prévu que certains seuils seront relevés, parmi lesquels l’obligation de mettre en place un règlement intérieur qui passerait de 20 à 50 salariés, le passage de 200 à 250 salariés du seuil à partir duquel la mise en place d’un local syndical commun est obligatoire.

Il est évidemment prévu que les seuils relatifs au CSE ne seront pas touchés. La loi Pacte ne va pas appliquer la règle des 5 ans à un dispositif qui date d’à peine quelques mois ! Mais il ne fait guère de doute qu’en fixant une nouvelle règle, celle-ci aura vocation à s’appliquer de manière plus générale et qu’à terme ce seront l’ensemble des obligations sociales qui seront concernées, y compris les seuils de mise en place du CSE (11 et 50) et de mise en place d’un PSE (50).

Le risque d’arbitraire

Pour s’attaquer aux seuils sociaux, et ainsi modifier l’impact de la taille de l’entreprise sur l’application de la législation, les techniques ne manquent pas. D’abord, coexistent différentes variables dans la définition d’un seuil d’effectifs sur lesquelles il est possible de jouer. Comment comptabiliser les salariés (salariés en CDI, CDD, salariés à temps partiel, apprentis, etc.) ? Dans quel cadre apprécier les effectifs de l’entreprise (entreprise, établissement, groupe, UES) ? Sur quelle période de référence s’apprécient les effectifs (6 mois, un an, 3 ans) ? À quel niveau fixer le seuil (50, 100, etc.) ?

Ensuite, plus que pour tout autre type de règle de droit, il existe une part d’arbitraire particulièrement élevée dans le choix du seuil (arbitraire aggravé par le fait que le juge n’aura aucune marge pour corriger en présence d’une règle chiffrée), que ce soit le niveau du seuil ou le délai requis pour faire produire effet au franchissement du seuil. S’agissant de la représentation du personnel, certains vont ainsi plaider pour un alignement sur le seuil allemand de 5 salariés applicable à la mise en place du conseil d’établissement (Betriebsrat), d’autres pour un passage à 75 voire 100 salariés. Le délai de 5 ans, choisi par les auteurs de la loi Pacte, est lui aussi teinté d’arbitraire, et le justifier, comme l’a fait Bruno Le Maire, par la durée d’un cycle économique, ne suffit évidemment pas à convaincre. Avec ce délai de 5 ans, on sort d’une logique de seuil pour entrer dans une logique de mise à l’écart de la législation du travail. Une entreprise de 45 salariés construit un cinéma et va embaucher 5 ou 6 personnes pour ce faire. Après la fin des travaux, trois ou quatre ans après, les effectifs redescendront en dessous de 50 et l’entreprise n’aura jamais eu à mettre en place les obligations ! On voit aisément la facilité avec laquelle une entreprise pourrait échapper, sur le long terme, à l’application d’une part de la législation du travail, même si bien entendu l’entreprise prospère qui entend se développer ne va pas s’arrêter au seuil. L’arbitraire lié à la fixation des seuils n’est pas une invitation à les supprimer (on ne peut pas s’en passer) mais à être modeste dans la façon dont on les appréhende. On comprend que le Gouvernement ait approuvé un amendement qui vise à ce que la remise à zéro de la durée du gel ne se fasse qu’après le franchissement à la baisse du seuil pendant une année civile pleine et entière. C’est une façon de dire que l’on ne profite pas d’une remise à zéro du gel pour cinq ans, simplement parce que l’on a perdu un salarié pendant six mois, mais uniquement si la taille de l’entreprise a été véritablement réduite pendant un an. Mais cela ne retire rien aux critiques que suscite la règle des 5 ans… ce pour un effet marginal sur l’emploi.

Un effet marginal sur l’emploi

Il est des raisons évidentes de s’attaquer aux seuils : la simplification et l’harmonisation si l’on considère, comme cela a été affirmé par le ministre de l’Économie, qu’il existe en France 199 seuils répartis sur 49 niveaux. Il y a bien sûr matière à simplifier lorsque cela est sans impact sur le fond du droit. Pourquoi 51 salariés pour les consignes incendie et 50 pour le CSE ? Des problèmes de lisibilité existent. Qu’il y ait un seul mode de calcul, pourquoi pas ! Mais tout dépend du mode de calcul.

Ce qui justifie que les changements soient aussi drastiques sur ce terrain, et aillent bien au-delà la simplification et de l’harmonisation, est un argument autrement plus puissant : la création d’emplois. Les seuils seraient un obstacle à l’embauche dans les TPE, argument d’autant plus fort que la France subit un déficit d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) par rapport à des pays comme l’Allemagne. L’argument a été avancé en 2014 par François Rebsamen, qui avait prôné un gel des seuils sociaux pendant 3 ans. Il revient aujourd’hui en force, tout comme celui, intimement lié, du coût excessif de la représentation du personnel en France. Dans son rapport de mars 2011 sur les relations industrielles en Europe, la Commission européenne avait effectué une étude comparative des attributions des IRP au sein des différents États membres en fonction des pouvoirs qui leur sont attribués. Sur la base d’une notation de 1 à 10, la France arrivait cependant, avec 7 points, dans le quatrième groupe de pays, derrière les pays scandinaves, Danemark en tête, ainsi que le Luxembourg, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche (European Commission, « Industrial Relations in Europe 2010 », mars 2011).

Malgré un discours très insistant, la bataille des chiffres s’est pourtant soldée par la conclusion d’un impact limité sur le chômage. L’Ifrap a d’abord estimé, sur son site Internet, qu’une réforme des seuils sociaux conduirait à la création de 350 000 emplois avant de très nettement réduire sa prévision, à une fourchette de 70 000 à 140 000 emplois. Dans une note de 2011, l’Insee montrait que les effets sur l’emploi seraient marginaux : « En l’absence de seuils dans la législation, la proportion d’entreprises entre 0 et 9 salariés diminuerait de 0,4 point, tandis qu’elle augmenterait de 0,2 point dans chacune des tranches 10-19 salariés et 20-249 salariés » (N. Ceci-Renaud et P.-A. Chevalier, « Les seuils de 10, 20 et 50 salariés : un impact limité sur la taille des entreprises françaises », Insee analyses 2011, n° 2).

Derrière la bataille des chiffres, se joue une querelle sur la fonction de la règle de droit avec le risque de voir celle-ci réduite au rang de simple contrainte. C’est oublier que les règles de protection des salariés sont la contrepartie de l’asymétrie inhérente à la relation de travail et qu’en 2017, les 47 % d’entreprises interrogées par l’Insee qui déclarent rencontrer des « barrières à l’embauche » les associaient davantage à l’incertitude sur la situation économique (28 %) et à la difficulté à trouver une Main-d’œuvre compétente (27 %) qu’au coût du travail et à la législation encadrant le marché du travail.

Plutôt que se précipiter à faire une réforme à l’efficacité énigmatique, il faudrait réfléchir à la notion même de seuil d’effectifs. À l’heure où une start-up de 8 salariés peut être dix voire cent fois plus puissante qu’une PME de 60 salariés, calculer les seuils sur la seule base du nombre de salariés est-il encore viable ? D’autres droits, parmi lesquels le droit des États-Unis dans son fameux Small business Act, intègrent le chiffre d’affaires de l’entreprise et le secteur d’activité. C’est assurément plus complexe à mettre en œuvre, mais cela mérite débat… avant même que l’on se risque à bouleverser aussi drastiquement le régime des seuils d’effectifs.

(1) L’article n’intègre pas les modifications au projet Pacte intervenues après le 13 septembre 2018.