logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Un marché florissant

Dossier | publié le : 01.10.2018 |

Image

Un marché florissant

Crédit photo

Parce qu’elle soulève des questions complexes et appelle une approche globale, la prévention des risques professionnels a donné naissance à un véritable marché, où se côtoient des acteurs très divers.

Une culture de prévention des risques ne se construit pas en un jour. Diagnostic des situations, identification des priorités, choix des actions et des outils, déploiement et évaluation : tout cela prend du temps et mobilise des ressources. Plus que tout, le travail sur les comportements appelle un engagement sans relâche du management, qui dépasse de loin les solutions techniques et la lecture médicale. « La culture de la prévention tient à la capacité des employeurs à concevoir, animer, mesurer et développer des approches globales, embrassant tous les ressorts structurants des organisations du travail », soutient Ivan Boissières, directeur général de l’Institut pour une culture de sécurité industrielle (Icsi), association créée à l’initiative d’industriels, d’organisations syndicales, d’universitaires, de chercheurs et de collectivités territoriales, deux ans après l’explosion de l’usine AZF.

Pour être efficace, la vision holistique doit embarquer un maximum de parties prenantes. À l’intérieur de l’entreprise bien sûr, avec les acteurs de la santé et de la sécurité au travail, des ressources humaines, du management, des achats, représentants du personnel et salariés. Mais aussi à l’extérieur, avec les fournisseurs, les clients, les territoires. Pression réglementaire, triple enjeu de responsabilité sociale, de performance économique et de santé publique : c’est tout une galaxie qui s’est satellisée autour de la prévention, au-delà même du champ immédiat de l’entreprise. Inspection du travail, service de prévention des organismes de sécurité sociale, laboratoires universitaires, évaluateurs, Carsat, organismes de formation, éditeurs de logiciels et d’applications, cabinets conseil, instituts d’étude, agences ou organismes spécialisés comme l’OPPBTP, l’Anact, l’Anses, l’INVS, jusqu’aux Salons professionnels comme Preventica ou Expoprotection… La prévention des risques professionnels devient un marché à part entière.

Une enveloppe de 50 millions d’euros pour les PME

Enjeu de santé publique oblige, c’est d’abord l’Assurance Maladie qui y va de sa poche. En 2016, plus de 49 millions d’euros d’aides ont été fléchés vers les entreprises : 4 164 aides financières simplifiées accordées (contre 2 969 en 2015) pour un total de 21,6 millions d’euros et 1 109 contrats de prévention signés (847 en 2015) pour un total de 27,8 millions d’euros. Ce budget annuel de près de 50 millions d’euros, prévu au titre de la convention d’objectifs et de gestion (COG) 2014-2017, devrait être revu à la hausse dans le prochain plan – lui-même allongé d’une année – 2018-2022. L’objectif étant de soutenir en priorité trois grands axes d’action : les troubles muscolo-squelettiques (TMS), les cancers, mutagènes et reprotoxiques (CMR) et les chutes. Un programme d’accompagnement qui vise essentiellement des PME et TPE, sur la base de critères de sinistralité. Côté TMS par exemple, l’Assurance Maladie – risques professionnels et ses quelque 1 500 professionnels de la prévention interviennent sur un spectre de 8 000 entreprises concentrant 30 % de la prévalence.

Pour définir son action, l’assureur peut s’appuyer sur l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), qu’il finance à 100 %. Fort d’un budget de 81 millions d’euros et d’un effectif de 580 ingénieurs, médecins, chercheurs, formateurs et juristes, l’INRS remplit trois grandes missions : recherche sur les risques professionnels, actions de formation à la prévention, communication à destination des entreprises. « Nous travaillons avec les directions hygiène et sécurité ou RSE dans les grandes structures, les DRH ou directions techniques dans les PME, les patrons dans les TPE. Chaque année, l’INRS forme directement 2 000 médecins du travail aux risques liés aux horaires atypiques et indirectement plus d’un million de personnes », détaille Séverine Brunet, directrice des applications à l’INRS.

Les assureurs aux aguets

Autre secteur en veille active sur la question des risques professionnels : les assurances. Depuis, le 1er janvier 2016, les entreprises sont obligées de proposer un régime complémentaire santé à leurs salariés. Reste que l’augmentation de certains risques génère de nombreuses boucles de complexité dans l’anticipation des futurs modèles de calcul des assureurs. Par son ampleur, le phénomène des maladies chroniques, dont l’explosion est à la fois une conséquence et un accélérateur du risque, constitue en l’occurrence un vrai casse-tête pour les actuaires. C’est donc davantage sur le terrain de la prévention, en amont de la chaîne, que les assureurs cherchent à s’engager, au travers de campagnes ou de programmes portant sur la nutrition, le tabagisme, le sport, l’éducation sanitaire. « Les acteurs de l’assurance santé et prévoyance aspirent à s’affranchir d’une position de simple agrégateur de risques et d’intervention en bout de chaîne, pour migrer vers une logique vertueuse où l’assuré est exposé à de moindres risques, l’assureur couvre des risques plus faibles et la ressource publique est moins ponctionnée », note Pascal Broussoux, directeur finances groupe et pilotage de l’assurance de personnes chez Humanis. Les enseignes françaises de l’assurance peuvent ici s’inspirer des Corporate Wellness Programs (CWP) apparus dès les années 1970 aux États-Unis. Outre-Atlantique, 50 % des entreprises de 50 salariés et plus proposent un CWP ainsi que 85 % des employeurs des entreprises de plus de 1 000 salariés. Un véritable business, qui génère chaque année plus de 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires.

Explosion des offres de formation

Mais encore faut-il fonder les bases scientifiques et économiques de la soutenabilité de la prévention au sein de l’assurance. Comment solvabiliser les dispositifs préventifs et les rendre efficaces ? Pour répondre à cette question, neuf acteurs de l’assurance, en partenariat avec la Fondation du risque et deux laboratoires de l’université Claude Bernard Lyon 1, ont créé une chaire de recherche.

La prévention des risques professionnels a aussi creusé un terreau d’opportunités pour les cabinets conseil et structures de formation. « Le marché commence à être très occupé. Quand nous avons commencé il y a 14 ans, nous n’étions que deux ou trois acteurs sur le marché de la santé sécurité. Aujourd’hui, on y compte des dizaines de sociétés. Côté ergonomie, le marché est passé de deux ou trois acteurs à près de 80 », explique Marjorie Dumont-Crisolago, présidente de Préventech, qui, fort de ses 84 formations et 35 ateliers, réalise chaque année environ 1 500 interventions et dispense 300 sessions de formation auprès de quelque 400 clients dans 18 secteurs d’activité. Un marché également investi par l’édition logicielle, galvanisée par les promesses du cloud. « C’est dans le cadre de nos activités de conseil en gestion des risques professionnels que nous avons entendu la demande des patrons de PME ou des directeurs QHSE (qualité, hygiène, sécurité, environnement) d’un logiciel adapté à la fois aux contraintes réglementaires et aux contextes réels des entreprises. Le « full Web » permet de proposer des abonnements quatre à huit fois moins coûteux que les modèles facturés à la licence/poste », explique Auriande Labed, consultante chez Prévisof, qui propose en mode SaaS des modules santé sécurité allant du pilotage du DUER à la déclaration des accidents du travail, en passant par le suivi de visites médicales, les risques chimiques ou la gestion des équipements…

Il existerait en France plus de mille structures habilitées à faire de l’évaluation des risques professionnels. Les baromètres sociaux, notamment, trouvent un écho de plus en plus fort auprès des grandes entreprises, qui recourent tous les ans ou tous les deux ans aux services de sociétés extérieures pour analyser les évolutions du ressenti des salariés en matière de bien-être au travail. « Ces diagnostics se traduisent rarement par de réels plans d’action. Les entreprises cherchent surtout à montrer à leurs collaborateurs qu’elles se soucient d’eux », nuance le sociologue Denis Monneuse. Au-delà des pures stratégies d’image, les entreprises, en tout cas les plus grandes, peuvent engager depuis 2018 une nouvelle démarche de certification internationale. L’ISO vient en effet de lancer la très attendue norme ISO 45001 – Management de la santé et de la sécurité au travail – qui a vocation à remplacer OHSAS 18001, référence mondiale antérieure en matière de santé et sécurité au travail.