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Les employeurs à la manœuvre

Dossier | publié le : 01.10.2018 |

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Les employeurs à la manœuvre

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Pas de doute, les entreprises se sont massivement emparées de la prévention des risques professionnels. Avec des approches diverses, mais une même conscience des enjeux soulevés.

Arrêts maladie, absentéisme, inaptitudes, turnover : tous ces symptômes d’exposition aux risques professionnels ont non seulement des effets immédiats sur la productivité et l’organisation des entreprises, mais ils génèrent des surcoûts, liés aux régulations à actionner pour les pallier, mais aussi, parfois, à la sanction des tribunaux. En 2016, une entreprise sur 30 a fait l’objet d’une action en reconnaissance d’un ou plusieurs cas de faute inexcusable de l’employeur suite à un accident du travail ou une maladie professionnelle. Dans les PME, la proportion monte à 5 %, selon le Baromètre sur la gestion des accidents du travail et maladies professionnelles réalisé par Atequacy-Singer Avocats. Aux obligations morale et légale d’agir en faveur de la santé et de la sécurité des salariés, vient se greffer une logique économique non négligeable. Pour les employeurs, il s’agit dès lors d’apporter des réponses à la hauteur des enjeux soulevés.

« Garantir l’intégrité physique et psychique des collaborateurs est un objectif absolu. La prévention des risques est davantage qu’une priorité, c’est une valeur. En tant que telle, elle constitue un engagement inconditionnel de la direction, porté par l’ensemble des acteurs de l’entreprise et acté par les accords relatifs à la santé, à la sécurité ou aux conditions de travail signés au sein du groupe », affirme Frédéric Goetz, directeur prévention santé et sécurité de Veolia. Difficile en effet pour le géant de la gestion de l’eau, des déchets et de l’énergie, qui emploie 168 000 personnes dans une soixantaine de pays, de ne pas inscrire la question des risques dans le marbre de ses engagements stratégiques et managériaux.

D’abord portée par les grandes entreprises, la thématique gagne peu à peu l’ensemble du tissu économique. La culture de la prévention est devenue, à défaut de réalité partagée, un objectif pour la plupart des entreprises.

Un grand nombre d’indicateurs

Pour repérer les risques professionnels dans chaque activité et évaluer le degré d’exposition des personnels, les employeurs peuvent miser sur une gamme élargie d’indicateurs : horaires et temps de travail, turnover, difficultés à recruter, contenus des ordres du jour des réunions de CE, de DP et de CHSCT et bientôt des CSE, enquêtes de climat social, entretiens annuels, formation du personnel, procédures d’accueil des nouveaux salariés, observation des situations de travail, accidents du travail, arrêts maladie, absentéisme… La difficulté majeure étant de délivrer une information cohérente et exploitable de manière opérationnelle. C’est dans ce sens que le groupe Casino est en train de finaliser la mise en place d’une plateforme centrale de gestion, d’analyse et de pilotage de toutes ses données d’accidentologie et de maladies professionnelles. « C’est un outil que les différents métiers pourront utiliser de manière autonome. Il va nous permettre d’obtenir des photographies précises sur telle ou telle activité, de prioriser les périmètres d’action, de nous benchmarker en interne et sur la concurrence, au regard des indicateurs des Carsat », explique Anne-Solen Lahaye, directrice santé sécurité et conditions de travail du groupe.

Le document unique, pierre angulaire réglementaire

Avant d’agir, encore faut-il établir un diagnostic. Depuis 2001, les entreprises sont tenues de réaliser leur document unique d’évaluation des risques (DUER) et de le mettre à jour chaque année. Longtemps freiné dans sa mise en œuvre par des postures dilatoires, il est aujourd’hui présent dans plus de huit entreprises de plus de 50 salariés sur dix, si l’on en croit l’édition 2018 du baromètre des actions en matière de prévention santé sécurité au travail (STT) de Prévisoft. Mieux : 95 % des entreprises ayant réalisé leur DUER en ont compris la nécessité. Du coup, la mise à jour progresse elle aussi, de 5 %. Mais le diagnostic peut-être rendu difficile par certaines configurations. La taille des entreprises influe en effet sur la manière d’appréhender les risques. Les TPE, du fait de leurs effectifs très réduits, sont peu confrontées aux accidents. Difficile dès lors de convaincre un patron qu’il doit engager une démarche de prévention alors qu’un accident ne survient que tous les 50 ans. L’activité et l’organisation du travail peuvent aussi orienter les pratiques. Une étude de poste s’avérera beaucoup plus difficile pour une aide à domicile travaillant sur plusieurs sites que pour un agent administratif sédentaire.

Le spectre des risques peut également être plus ou moins fourni. L’Assistance publique – Hôpitaux de Paris doit ainsi gérer un grand nombre de risques, dont l’évaluation et la hiérarchisation requièrent un fort niveau d’expertise. « Nous devons composer avec des organisations complexes, un environnement métier très anxiogène, des conflits de valeur. Certains risques diminuent, notamment les troubles musculo-squelettiques (TMS), qui étaient encore il y a trois ans la première cause d’accident du travail. Mais d’autres apparaissent, comme les violences verbales et physiques, le harcèlement moral, les comportements sexistes », explique Pierre Colonna, chef du département qualité de vie santé au travail au sein de la DRH d’AP-HP.

De manière générale, la complexité de la prévention s’accroît avec la diversité des activités exercées dans l’entreprise. Il y a quatre ans, le groupe Sodexo, qui par ses activités de restauration collective, de nettoyage, d’accueil, compte plus de 100 métiers sur 4 000 sites en France, a refondu sa stratégie santé sécurité. « Nous nous sommes calqués sur la pyramide de Maslow, en construisant notre approche en fonction des besoins essentiels des collaborateurs : santé et sécurité, besoin d’appartenance et de reconnaissance, besoin d’accomplissement de soi. En quatre ans, nous avons réduit de 2 000 le nombre d’accidents », note Lydie Breton, directrice de l’innovation sociale et des projets qualité de vie.

La formation progresse doucement mais sûrement

La formation constitue un des leviers d’action les plus fréquemment mobilisés par les entreprises. C’est par exemple l’un des cinq grands axes du dispositif de prévention définis par Veolia. « La santé sécurité représente 40 % du total des heures de formation dispensées dans le groupe, ce qui correspond à 10 heures de formation par salarié et par an. En 2017, 56 % de nos collaborateurs auront reçu une formation », explique Frédéric Goetz. Des sessions parfois très pointues (intervention en atmosphère confinée, consignation et déconsignation) qui peuvent, pour certaines, durer plus de trois jours. Entre 2010 et 2017, le taux de fréquence des accidents chez Veolia est tombé de 18 – par million d’heures travaillées – à 9,5. Le groupe s’étant fixé un objectif inférieur ou égal à 6,5 en 2020.

Selon le baromètre Prévisoft, la proportion des entreprises ayant mis en place un plan de formation relatif à la santé sécurité au travail progresse doucement (85 % en 2018 vs 82 % en 2017). Pour autant, l’effort de formation pour les postes à risques nécessite d’être intensifié : seulement 68,4 % des entreprises l’assurent systématiquement (65 % en 2017). Le groupe Casino a choisi de s’associer à la Carsat pour développer des formations ad hoc sur la prévention des TMS dans les rayons. « Elles ont permis de rendre autonomes les magasins concernés dans l’analyse des situations réelles de travail et de construire des plans d’actions locaux très concrets : investissements dans des chariots de manutention, plateformes de mise en rayon en hauteur… », précise Anne-Solen Lahaye.

Repenser les organisations du travail

La prévention des risques est surtout l’occasion de revoir les organisations en place. À commencer par les horaires atypiques ou inadaptés, dont les observateurs s’accordent à penser qu’ils sont l’un des premiers facteurs de stress, de fatigue et de surexposition aux risques. L’enquête « familles employeurs » de l’INED montre d’ailleurs que dans leur grande majorité, les employeurs ont connaissance de la situation familiale de leurs salariés. « Ils sont même 77 % à revendiquer une responsabilité en matière de conciliation travail-famille. Mais dès lors qu’on les interroge sur les mesures concrètes envisagées, seulement un quart y a réfléchi », note Ariane Pailhé, directrice de recherches à l’Institut national des études démographiques (INED).

Horaires, postes de travail, relations hiérarchiques… Quelle que soit la cause de l’exposition au risque, l’amélioration tient en grande partie à la capacité du management à considérer que le salarié sait mieux que quiconque ce dont il a besoin pour s’épanouir dans son travail. Quand il a pris il y a quatre ans la direction générale de Toolog, la filiale logistique de Spartoo, Stéphane Bulliod a souhaité subordonner à l’avis de salariés toutes les décisions relatives aux process et à l’achat d’outils. « Tout ce que nous mettons en œuvre répond avant tout à de stricts critères d’usage : est-ce que cela va faciliter la tâche des opérateurs ? Quelle courbe d’apprentissage cela permet-il ? », explique-t-il. Distribution de tablettes et de smartphones, applications configurées pour que chaque opération ne nécessite pas plus de deux clics, mécanisation en flux tiré et non en flux tendu, postes de travail co-conçus avec les collaborateurs. Jusqu’à l’entretien annuel devenu mensuel. « Il ne faut pas rêver : un entretien par an ne peut suffire à identifier les poches de dysfonctionnement, à établir un diagnostic précis de l’adaptation du poste au collaborateur et du collaborateur au poste. Si la prévention est un continuum, le dialogue doit l’être également », insiste le DG. L’approche semble payer. Le taux d’absentéisme de Toolog ne dépasse pas 4 %. Dans un secteur où les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail pour les salariés permanents sont, selon l’INRS, plus de deux fois supérieurs à la moyenne nationale, l’entreprise logistique affiche la couleur : zéro accident dans les 12 derniers mois.

Dans le BTP, la prévention, ça rapporte

La prévention est-elle un coût net pour l’entreprise, ou bien contribue-t-elle à la performance globale ? En 2013, l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP) a tenté de répondre en décortiquant de manière comptable 101 cas d’actions de prévention menées par des entreprises du BTP. Cette étude révèle d’abord un rendement (rapport gains/coûts) égal à 2,19. Ainsi, en moyenne, pour 100 euros dépensés dans une action ayant un effet sur la prévention, une entreprise retire 219 euros de gains, soit un bénéfice net de 119 euros. Le payback moyen (durée de mise en œuvre de l’action pour couvrir l’investissement initial) est égal à une année et demie, pour des actions de prévention dont la durée moyenne est de 5,2 ans. Les gains proviennent en grande partie de l’amélioration des temps de production. Ceux-ci ont été valorisés au prix de revient des heures travaillées (soit du fait d’une meilleure productivité, soit par un chiffre d’affaires additionnel). Mais ils peuvent aussi être imputables à une réduction ou une suppression d’achats (équiper les salariés de masques à ventilation assistée évite d’acheter en permanence des masques jetables), à une amélioration de la qualité de la production (approvisionner les étages en châssis vitrés à l’aide d’un monte-meuble diminue la casse de châssis ainsi que les dégâts dans les cages d’escalier) ; à un abaissement des primes d’assurances, à l’obtention d’aides ou d’incitations financières.