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Diagnostic partagé

Dossier | publié le : 01.10.2018 | Muriel Jaouen

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Diagnostic partagé

Crédit photo Muriel Jaouen

C’est aujourd’hui un sujet de consensus. Des entreprises à l’État, en passant par l’évaluation et la recherche, la prévention des risques professionnels devient une priorité publique. Une condition indispensable à l’avancée de la réflexion et des pratiques.

En France, l’obligation générale de sécurité qui incombe à l’employeur doit le conduire à évaluer les risques éventuels et à prendre toutes les mesures nécessaires (prévention, formation, information, organisation) pour assurer la sécurité et protéger la santé de ses salariés. Pierre angulaire de cette disposition générale : l’élaboration et la mise à jour du document unique d’évaluation des risques (DUER) qui recense l’ensemble des risques pour la santé et la sécurité du personnel dans l’entreprise. Voilà pour l’aspect légal. Mais au-delà de la mise en conformité légale, où en est la prévention des risques professionnels en France ? À quels enjeux répond-elle ? Sur quelles politiques et quelles approches s’appuie-t-elle ? Pour quels effets ?

« La prévention des risques professionnels constitue aujourd’hui un vrai sujet au sein des organisations du travail ainsi que pour les instances publiques et politiques. Mais ce consensus désormais partagé cache des situations très variables d’une entreprise à l’autre. C’est aussi cette distorsion de réalités qu’il faut tenter de comprendre pour faire progresser une vraie culture de la prévention », affirme Pierre-Yves Montéléon, épidémiologiste et responsable santé au travail à la CFTC.

Accidents à la baisse, maladies psychiques en forte hausse

Que disent les statistiques de l’Assurance Maladie, qui font référence, en matière d’accidents du travail et arrêts maladie (AT-AM) ? Côté risque accident, la sinistralité se stabilise à un niveau historiquement bas, avec une moyenne de 33,8 accidents du travail pour 1 000 salariés en 2016, quand elle était de 120 accidents pour 1 000 salariés lors de la création de la branche en 1946. De manière globale, 53 % des accidents du travail sont causés par des manutentions manuelles, 25 % par des chutes (de hauteur ou de plain-pied). Certains secteurs restent particulièrement accidentogènes, comme le BTP ou les aides et soins à la personne. Mais, si la tendance est fortement baissière dans le bâtiment et les travaux publics (– 29 % en dix ans), elle est alarmante dans les services à la personne : + 45 %. « Il y a 98 accidents du travail pour 1 000 salariés dans le secteur des services à la personne, soit trois fois plus que dans la moyenne des secteurs d’activité », souligne Hervé Laubertie, directeur du département prévention des risques professionnels à la direction des risques de l’Assurance Maladie. Côté maladies professionnelles, l’Assurance Maladie pointe une diminution importante (– 4,1 %) des troubles musculo-squelettiques (TMS) – qui représentent encore 87 % des maladies professionnelles – ainsi que des pathologies liées à l’amiante (– 9,5 %). En revanche, le nombre de cancers (hors amiante) augmente (+ 1,1 %). Mais la tendance la plus marquée est la montée des risques psychosociaux et la véritable explosion (+ 40 % !) des pathologies psychiques prises en charge comme maladies professionnelles.

Un enjeu de santé publique

« Fatigue, déprime, douleurs, palpitations, crises d’angoisse, troubles du sommeil, dépression, burn-out sont autant de symptômes stimulés par la pression numérique, les tensions du marché de l’emploi, l’injonction de performance, le recul des contrepoids et contre-pouvoirs (DRH, syndicats, médecine du travail), avec des conséquences parfois très lourdes pour la santé des salariés », commente Philippe Rodet, médecin, consultant spécialisé dans le bien-être au travail. La pression s’est installée dans toutes les organisations de travail. En 2017, 54 % des salariés et 66 % des managers déclarent subir un stress régulier au travail (selon l’enquête « climat social et qualité de vie au travail » réalisée par la Cegos). Le risque professionnel constitue donc un réel enjeu de santé publique. En 2002, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail avait chiffré le coût du stress d’origine professionnelle pour l’Europe à environ 20 milliards d’euros par an. En France, le coût social du stress (dépenses de soins, liées à l’absentéisme, aux cessations d’activité et aux décès prématurés) a été estimé en 2007 par l’INRS entre 2 et 3 milliards d’euros. Mais il s’agit d’une évaluation au minimum, l’étude ayant essentiellement pris en compte le « job strain » ou « situation de travail tendue » (combinaison d’une forte pression et d’une absence d’autonomie dans la réalisation du travail), qui représente moins d’un tiers des situations de travail fortement stressantes.

Le Plan santé au travail s’en mêle

D’abord envisagée dans une stricte logique de réparation, puis de protection, la prévention a ensuite été éclairée par une lecture technique, pour aboutir aujourd’hui à la notion de prévention primaire, qui consiste à agir avant l’apparition de la maladie pour empêcher sa survenue. Mieux : pour la première fois, le Plan santé au travail (PST3) – qui exprime les ambitions de la politique de santé au travail partagée entre l’État, les partenaires sociaux, la Sécurité sociale et les organismes et acteurs de la prévention – fait de cette prévention primaire la priorité politique absolue des politiques de santé au travail.

Selon l’agence Santé publique France, le nombre de salariés signalant des comportements hostiles dans leur milieu de travail est passé de 2013 à 2016 de 37 % à 30 %. L’exposition à un manque de reconnaissance ou à des conflits éthiques a également baissé. On peut supposer que le recul de ces risques résulte d’une plus grande attention des managers et des salariés aux conflits interpersonnels au travail, elle-même nourrie par la sensibilisation médiatique et politique au harcèlement moral et aux risques psychosociaux. Auquel cas, le PST3 et l’accord national interprofessionnel sur la qualité de vie au travail de 2013 pourraient avoir eu un réel effet. « La polarisation du PST3 sur la culture de la prévention vient acter la position défendue par nombre d’acteurs et d’observateurs du travail, qui appellent de longue date les entreprises et les professionnels de la santé à passer d’une logique de stricte mesure des expositions et de réparation à une démarche d’anticipation », souligne Pierre-Yves Montéléon (CFTC).

Investir pour la santé est bon pour l’entreprise

Reste qu’en matière de prévention, toutes les entreprises ne sont pas égales entre elles. Ce qui relève de la norme pour les plus grandes organisations demeure aléatoire chez les patrons de TPE, au demeurant peu perméables aux arguments du retour sur investissement ou du point de PIB gagné par million d’euros investis. Prévention égal investissement… L’antienne est claironnée à l’unisson par les acteurs de la santé et de la sécurité au travail. Mais les entreprises ne pourront se rallier à cette équation que quand elles pourront mesurer un ROI. Or, rien de moins évident. Les études existantes pointent les coûts du risque professionnel. Elles ne démontrent pas de manière scientifique et incontestée la rentabilité de la prévention. « Ne mélangeons pas tout… Vouloir trouver un lien entre prévention et performance globale, ce n’est pas raisonnable. Essayons de préciser les liens successifs : la prévention permet une meilleure santé au travail, c’est prouvé depuis longtemps. La santé au travail contribue au bien-être et à la performance des individus, c’est certain. Quant à la performance globale… encore faudrait-il la définir précisément », affirme Emmanuel Abord de Chatillon, professeur des universités chaire management et santé au travail à l’IAE Grenoble. En 2015, la Rand Corporation Europe a analysé les programmes conduits dans 82 entreprises britanniques de 50 salariés et plus. Sa conclusion : l’ampleur des coûts liés à l’absentéisme pour cause de maladie (estimés à 140 millions de journées non travaillées) justifie l’investissement des entreprises dans des programmes d’accompagnement de leurs salariés.

En France, l’Assurance Maladie estime que les accidents du travail représentent 233 000 ETP. « Nous allons travailler avec la DARES, les universités et l’INRS pour tenter de mettre sur pied une méthodologie de mesure scientifique de l’impact de la prévention sur la performance des entreprises », souligne Hervé Laubertie, directeur du département prévention des risques professionnels à la direction des risques de l’Assurance Maladie.

On avance, donc. Volonté politique, consensus des partenaires sociaux, engagement de la recherche, relais médiatique : jamais le terrain n’a été aussi favorable à la promotion et au développement d’une culture de prévention des risques professionnels. L’occasion n’en est que plus belle pour les entreprises de s’emparer plus avant encore de ce chantier.

Auteur

  • Muriel Jaouen