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Métiers de l’immobilier demain : le retour des grands vendeurs ?

Décodages | publié le : 01.10.2018 | Lucie Tanneau

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Métiers de l’immobilier demain : le retour des grands vendeurs ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Avec les évolutions technologiques et juridiques et la multiplication des agents mandataires, les métiers de l’immobilier sont en plein chamboulement. Existeront-ils encore demain ? Et sous quelle forme ? Les réseaux investissent dans des formations et parient sur les « softs skills ».

Ce sont des métiers qui ont toujours changé. Bien que les agents immobiliers n’aient pas bonne presse dans l’opinion, ils gagnent chaque année des parts de marché. Loin d’imaginer que les sites de mise en relation entre clients et la technologie peuvent les tuer, les professionnels de l’immobilier s’imaginent un futur… teinté de changements à préparer. « On a toujours annoncé notre disparition. Certains avaient peur d’Internet, mais au contraire, les nouvelles technologies ont facilité le rapport entre professionnel et client », pose le directeur général du réseau Guy Hoquet. « Il y a vingt ans les professionnels du métier détenaient 35 % des ventes, aujourd’hui 68 % », insiste Fabrice Abraham. Pour tous les interlocuteurs interrogés, la relation commerciale, à la base du métier, restera. Sous quelle forme ? « Je suis convaincu qu’on va arriver à un retour du grand vendeur : dans la société de surabondance d’information, ceux qui savent apporter un service supplémentaire resteront », prédit Laurent Vimont, le président de Century 21. « Ceux qui ont oublié que la vente n’est pas qu’un échange de papier contre terre, les “Robocops” de la vente, vont devoir s’adapter : on est remonté d’un cran dans l’acte commercial », pressent-il.

Des nouvelles pratiques.

Ainsi, l’agent immobilier et le directeur d’agence évolueront sans doute, au gré des nouvelles pratiques qui commencent à se mettre en place dans le secteur. Utilisation de la décoration et du « home-staging » virtuel pour permettre au client d’anticiper son futur logement, visite des logements en vidéo, sans se déplacer, outils de communication, de partage sur les réseaux sociaux… « Avant, les négociateurs rédigeaient les annonces à la va-vite, avec le fameux BHSP pour belle hauteur sous plafond », rappelle Fabrice Abraham. « Aujourd’hui les robots les ont remplacés avec de belles phrases, et les renseignements sur le quartier, l’école : les annonces sont de bien meilleure qualité », félicite-il, persuadé qu’ils laissent néanmoins un nouveau rôle aux agents. « Les clients n’ont plus besoin de nous pour trouver des biens, mais nous devons savoir leur parler au bon moment, pour être l’intermédiaire utile entre le vendeur et l’acheteur. » Pour le DG de Guy Hoquet, le secteur doit se préparer à utiliser les techniques du marketing prédictif dans les dix ans. « Si vous m’achetez un bien aujourd’hui, je sais qu’en moyenne vous allez le revendre dans sept ans : je dois vous recontacter dans six et demi pour être prêt à vous accompagner », anticipe-t-il.

« Nos métiers se font aussi de plus en plus en mobilité », complète Jean-Marc Torrolion, président de la Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM) qui rassemble un quart des agences. Une pratique qui demande des outils adaptés et de nouveaux process, tant au niveau des transactions immobilières que de l’administration de biens locatifs. « Depuis deux ans, nous faisons les états des lieux sur tablette, et désormais nous expérimentons la signature électronique des baux de location : ça demande une adaptation de nos salariés, et de bons outils. »

Des nouvelles technologies.

Outre les pratiques, les nouvelles technologies et leurs outils, sont en effet l’un des changements majeurs à prévoir. « Au niveau de la gestion locative, on est au début de la fluidification des process, d’ici trois ans on sera capable de louer un bien sans visite », poursuit Jean-Marc Torrolion. Une évolution qui a commencé avec Internet en 1997 mais qui s’accélère aujourd’hui. « La technologie représente environ 10 à 15 % du chiffre d’affaires quand avant elle ne coûtait rien », acquiesce-t-on chez Guy Hoquet qui mutualise les coûts pour ses 500 agences. Investissement dans la vidéo, les outils de réalité virtuelle, achats de licence, prospection de start-up…

« Demain tous les agents devront être capables de twitter, liker, partager », résume Fabrice Abraham. Pour y parvenir, les réseaux misent sur la formation. Si les jeunes générations n’auront pas besoin de se former aux technologies, elles qui sont nées avec ; les questions juridiques, environnementales, et économiques, qui évoluent très vite, devront être régulièrement revues. « On pousse la filière énergétique : on doit avoir la culture des enjeux énergétiques sur le bâtiment. On insiste aussi sur la fiscalité, et la gestion de patrimoine, et sur les achats pour que les syndicats sachent trouver les meilleurs fournisseurs au meilleur prix », cite en exemple Jean-Marc Torrolion. « Nous avons un salarié chargé de faire évoluer nos formations en permanence » reconnaît quant à lui Laurent Vimont. Century 21 mise notamment sur les « soft skills ». « On réapprend à dire “Bonjour Monsieur”, et pas “Bjr”. On répète les vertus de l’écoute, on revient sur les formes comportementales, comme la poignée de main, car les gens sont plus sensibles qu’avant au contact humain », décrit-il. « Le législateur a imposé 42 heures de formation tous les trois ans (avec la loi Alur en 2016), nous en faisons trois fois plus », se félicite quant à lui Roland Tripard, le DG d’IaD France, un réseau d’agents mandataires.

Un nouveau statut.

Les mandataires… l’une des évolutions majeures du secteur. « Nous portons la révolution de l’entrepreneuriat ouvert à tous » résume Roland Tripard. Avec ses 6 300 agents partout en France, IaD défend fermement ce modèle « gagnant-gagnant « : « Le client économise les coûts liés à l’agence physique, avec une baisse d’honoraire de 30 à 40 %, le conseiller gagne en autonomie et en flexibilité, et il gagne mieux sa vie que s’il était salarié », défend-il, avançant un chiffre d’affaires moyen supérieur de 30 000 € chez ses mandataires après un an de présence. Précurseurs du modèle, Capi et Optimum ont été créés au milieu des années 2000. Aujourd’hui les agents mandataires seraient entre 15 000 et 20 000 en France, en plus des 100 000 agents immobiliers salariés d’agence avec la carte professionnelle. « Le basculement du modèle salarié vers l’auto-entreprise est enclenché », résume la Fnaim, qui craint une baisse de l’investissement en formation et donc une baisse de qualité de service avec l’apparition de ces acteurs. Ce changement de statut est en tout cas en train de modifier l’ensemble de la profession qui compte déjà environs 35 000 indépendants rattachés à une agence traditionnelle. Chez Guy Hoquet par exemple, 60 % des 480 agents recrutés depuis le début de l’année sont des indépendants. « Aujourd’hui nous avons encore 70 % de salariés, mais dans cinq ans le ratio sera inversé », prédit Fabrice Abraham. Avec un risque dénoncé régulièrement par les observateurs : l’accroissement de la précarité dans le secteur. « L’immobilier est un métier où il est plus dur de rester que de rentrer », analyse Lise Bernard, sociologue auteur du livre La précarité en col blanc, enquête sur les agents immobiliers (PUF, oct 2017). « Les agents immobiliers sont confrontés à une certaine précarité, mais le métier attire beaucoup car il apparaît comme un domaine où l’on peut bien gagner sa vie rapidement », décrit-elle. « C’est aussi un métier de reconversion. Un quart des agents qui entrent dans le métier étaient auparavant au chômage. » Avec les nouvelles qualifications requises, évoquées précédemment, la typologie des nouveaux entrants évoluera-t-elle ? « Aujourd’hui, aucun diplôme n’est requis pour devenir négociateur : on peut apprendre le métier sur le tas. Dans le même temps, les diplômés du bac et les diplômés d’un bac + 2 sont surreprésentés. Si, dans le futur, la formation – notamment juridique – devient un prérequis, il se pourrait que la morphologie sociale du secteur évolue et que les négociateurs soient plus diplômés. »

« Aujourd’hui, il n’y a pas un statut qui paye mieux que l’autre » note Laurent Vimont. « Mais on va devoir remettre à plat les modèles de rémunération pour que dans les deux ans, que l’on soit indépendant ou salarié, le plus performant touche plus que celui qui démarre », justifie-t-il. D’autant qu’une autre qualification pourrait bientôt être demandée : la pratique de langues étrangères. Un atout pour suivre la clientèle, qui traverse de plus en plus les frontières, pour le travail ou la retraite. L’évolution est lancée, malgré les contraintes juridiques. « On permet à nos collaborateurs de développer une activité internationale, 100 le font déjà », confirme Roland Tripard.

De nouveaux métiers.

Pour accompagner ces évolutions, qui transforment les métiers de négociateur et de directeur d’agence, de nouveaux métiers apparaissent. Des développeurs pour les nouvelles interfaces back ou front, des architectes systèmes, des community managers, des product managers pour imaginer les produits de demain, des spécialistes de la sécurité des données, des data base managers, des x-designers (dessinateurs 2D ou 3D)… Chez IaD, cette équipe technologique est déjà composée de 60 personnes. Les autres agences ont préféré en taire le nombre. « Nous avons une filiale avec des community managers et des data scientists pour faire évoluer le système », décrit seulement Laurent Vimont. Des personnes aujourd’hui au siège qui seront sûrement en agences demain, prévoit le président de Century 21. « Je plains ceux qui n’en ont pas », avoue Fabrice Abraham. Pour le côté administration de biens, la Fnaim a aussi recruté un salarié pour suivre en temps réel les signatures électroniques. « C’est nouveau » reconnaît Jean-Marc Torrollion qui craint cependant un danger : « Va-t-on continuer à avoir un contact physique avec le client ? Les banques sont allées trop loin, nous devons faire attention. »

Une relation client approfondie.

La relation client, essentielle dans l’immobilier, est l’un des enjeux de ceux qui survivront à l’investissement en outils et formation. « Les consommateurs actuels se sont renseignés sur Internet et sont comme les patients chez le médecin après avoir consulté Doctissimo : ils croient en savoir plus que celui qui doit produire le service », décrit Laurent Vimont. « Le bon agent sera celui qui écoutera le client et le fera passer du rêve à la réalité : les outils sont une aide à la relation commerciale, mais la machine ne se substitue pas au collaborateur, elle l’oblige à être plus réactif. » « Hier, on pouvait rappeler le client le lendemain, désormais si on n’a pas renvoyé un mail dans l’heure on perd le client. L’immédiateté est nouvelle dans l’immobilier », remarque-t-on aussi dans le réseau Guy Hoquet. Les biens à vendre et les acheteurs existeront toujours. Reste à leur donner confiance. « L’utilisation de plus en plus intense des technologies peut transformer le métier et notamment les relations avec la clientèle. Mais l’agent devra continuer de gérer des interactions avec les clients. Or, dans ce métier, les compétences interactionnelles sont prépondérantes. Des formes de démarchage nécessitent d’avoir de l’aplomb face au client. De plus, il faut savoir parler au client plus ou moins diplômé, au primo-accédant comme à l’habitué, au plus ou moins jeune… pour tout ça, les compétences interactionnelles font la différence », observe Lise Bernard.

Il y a 70 ans, 85 % des transactions s’effectuaient directement entre particuliers, et les 15 % restantes revenaient aux notaires. Désormais les agents gèrent 70 % des échanges de biens, et les particuliers se débrouillent seuls pour le reste. Les réseaux interrogés croient tous que cette part qui revient aux professionnels va continuer d’augmenter. Après les marchands de liste dans les années 1980, et Internet dans les années 1990, les notaires et Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) ne leur font pas peur. « On s’adapte et on s’adaptera », philosophe Fabrice Abraham. « Les professionnels de l’immobilier sont passés d’un statut de négociateur à celui de communicant. Nous étions un intermédiaire, mais le client n’a plus besoin de nous pour trouver des biens, nous devons seulement trouver le bon moment pour communiquer avec lui. »

Auteur

  • Lucie Tanneau