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DRH d’un jour, DRH toujours ?

Décodages | publié le : 01.10.2018 | Lucie Tanneau

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DRH d’un jour, DRH toujours ?

Crédit photo Lucie Tanneau

Tous ne sont pas tombés dans la marmite avant d’exercer ! Certains CV de DRH ne comportent aucune expérience dans le secteur. Zoom sur ces profils caméléons afin de comprendre ce qui les a amenés à cette fonction.

Du jour au lendemain, ils se retrouvent à la tête de services RH ! Aussi surprenant que cela puisse paraître, on trouve dans certaines entreprises des DRH en poste qui n’ont pas de carrière antérieure dans le domaine. Comment peuvent-ils alors se retrouver à ce poste à responsabilité sans même pouvoir revendiquer d’avoir fait leurs armes dans le secteur ? « Certains ont envie de se lancer et ont déjà des compétences transférables dans les RH. Typiquement ce sont des managers qui à la quarantaine sont à un tournant de leur vie professionnelle et font le projet d’aller vers la fonction RH. Les femmes souvent trouvent un sens pour la profession, elles se disent qu’elles vont s’occuper de la dimension humaine, être dans un rôle d’influence pour agir sur le collectif. D’autres, souvent ceux qui ont exercé à l’international, veulent rester dans ce domaine, développer le leadership et les compétences de la fonction, et donner aux RH une réelle place dans la stratégie de l’entreprise », constate Michel Haristoy, directeur de la formation continue inter-groupe du Groupe IGS, à propos des profils de professionnels qui ne viennent pas des RH et qui se forment dans son école1. Ils y apprennent les bases du métier de DRH et les codes nécessaires pour exercer. Mais tous ne passent pas par la case « formation » et certains « DRH novices » se retrouvent blackboulés à ce poste. « Le plus souvent les DRH qui ne viennent pas des RH, notamment ceux du CAC 40, ne se sont pas proposés à ce poste mais ils y ont été nommés. À ce moment-là, l’enjeu pour l’entreprise pouvait être d’œuvrer à la transformation de l’organisation, de faire évoluer le business avec des profils qui venaient justement du business. Cela permettait aussi de redonner de la crédibilité à une fonction qui traversait une crise et perçue comme déconnectée du terrain », analyse Charles-Henri Besseyre Des Horts, professeur émérite à HEC Paris, président de l’AGRH et co-auteur d’un ouvrage qui traite notamment du sujet2.

Une double compétence.

Si on regarde de plus près les profils de ces « nouveaux DRH », on constate que la plupart d’entre eux ont une longue carrière dans l’entreprise dans laquelle ils ont été appelés aux manettes avant d’être à ce poste. « Une nomination au poste de DRH au sein de la même société est assez fréquente pour quelqu’un qui n’a pas eu un parcours RH mais qui a une légitimité interne. Ces DRH d’un autre type sont repérés par les dirigeants en place pour leurs qualités humaines et de management et avec lesquels ils peuvent travailler en toute confiance. Et c’est surtout possible quand le DRH dispose autour de lui d’une équipe composée de spécialistes », analyse de son côté Frank Bournois, directeur général de ESCP Europe et Président de la Commission Formation de la Conférence des grandes écoles. De l’avis d’experts, ces « nouveaux DRH » ont précédemment eu des postes à hautes responsabilités à l’international ou dans différents services de l’entreprise. Michel Haristoy constate que les professionnels en reconversion qui sont à l’IGS dans ses formations RH viennent principalement du management, des services juridiques, des SI, de la communication ou du marketing. « Les managers nommés DRH dans les entreprises du CAC 40 ont souvent été précédemment directeurs de grosses business units, de grands départements ou même de pays », complète Charles-Henri Besseyre Des Horts. Et la majorité d’entre eux ont déjà été confrontés à des problématiques RH au cours de leur carrière. De par leurs fonctions, ils ont, par exemple, déjà été amenés à recruter des collaborateurs, ils savent ce qu’est le dialogue social en entreprise… « Ceux qui viennent des SI ont pu travailler sur des projets de SIRH, les communicants ou les personnes du marketing ont été amenés à promouvoir des politiques et des offres de service de l’entreprise et donc de fait une démarche proche des RH… », détaille Michel Haristoy.

Et quand ils arrivent concrètement en poste, ces nouveaux DRH vont s’appuyer sur les services RH déjà en place. « Dans les plus petites structures, le DRH, qui peut être seul avec une assistante, va davantage avoir le temps de se former au contact du terrain tandis que ce sera moins le cas pour le DRH de plus grosses entreprises qui va s’appuyer sur les équipes en interne pour résoudre les questions opérationnelles. Le DRH de grands groupes s’attache, lui, plus aux aspects politiques en internes et externes », précise Frank Bournois.

Il leur faut aussi un certain temps d’adaptation à leur fonction. Ils savent les défis inhérents à ce poste souvent décrié dans les médias et par les salariés. « Quand on prend le poste de DRH et que l’on ne vient pas des RH cela ajoute une pression supplémentaire. Tout le monde attend ce nouveau DRH au tournant et il se dit qu’il a des chances d’échouer, complète encore le directeur général de ESCP Europe. Il appréhende d’être bien intégré et d’être accepté par l’équipe qu’il va diriger et qui connaît ses insuffisances techniques. Il est moins rôdé aux jeux politiques et à la sociologie des organisations, les risques de faux pas sont accrus et des pièges peuvent être parfois tendus par ses collègues du comité de direction. Mais ceux qui acceptent le poste sont des personnalités audacieuses, sûres d’elles et connaisseuses de la culture interne. Ils mesurent mieux les risques et en jouent, ce qui légitime finalement donc bien leur nomination. Tout ceci est vrai quelles que soient les cultures nationales. »

Un poste tremplin.

Une fois aux commandes, la majorité de ces pros reconnaissent d’ailleurs volontiers que la fonction n’est pas « facile ». Il la qualifie de « complexe », notamment de par les aspects juridiques et financiers qu’elle implique. Et en fonction de leur profil, ils maîtrisent mieux certains pans de leur nouvelle profession que d’autres. « Le DRH qui vient des SI sera plus à l’aise sur les sujets data, le e-bulletin de salaire, par exemple alors que celui qui a un profil juridique cherchera davantage notre appui sur ces sujets-là, relate Laurent Prost, associé Grand Thornton, qui conseille certains de ses clients DRH qui ne viennent pas des RH sur des problématiques de transformation d’entreprise (digital process, stratégie d’entreprise…). J’observe que ceux qui ne viennent pas des RH ont parfois plus de difficultés à traduire la stratégie en actions, en besoins de recrutement, d’évolutions de compétences, en réalité de composer avec l’humain pour atteindre un objectif. »

Enfin, ceux qui réussissent au poste de DRH pourront prétendre briguer des postes à encore plus haut niveau. Un tremplin de carrière ? « Prendre la direction RH c’est être capable de manager des hommes, on peut leur donner des responsabilités opérationnelles encore plus grandes par la suite. Ils peuvent, par exemple, devenir directeurs de business units encore plus grosses ou prendre la tête de grands pays », conclut le président de l’AGRH. Et pourquoi pas un jour celle de l’entreprise ?

Philippe Autran, 60 ans, DRH du groupe In Extenso1

« La première année où j’ai pris le poste de DRH, j’ai été accompagné par un coach. » Philippe Autran, à la tête des RH d’In Extenso, confie sans pudeur qu’il a été aidé dans sa prise de poste par un professionnel du management qui l’a aussi conseillé aussi dans le domaine des RH. Un coup de pouce pour ce pro au cursus académique d’expert-comptable, novice dans les RH avant sa prise de poste actuelle. Arrivé aux commandes, il s’est appuyé sur sa connaissance de l’entreprise et ses collaborateurs. « À la DRH, j’ai une équipe au siège d’une dizaine de personnes et une quinzaine en région. Il y a plutôt des techniciens autour de moi qui ont une spécialisation RH comme les SIRH ou la formation. Pour réussir à ce poste, il faut être entouré de personnes qui sont expertes en la matière », assure-t-il.

Après 22 ans passés dans l’entreprise (Philippe Autran a d’abord été responsable d’une agence In Extenso en 1996 puis d’une région où il manageait 250 personnes avant d’être nommé directeur général adjoint de l’entreprise en septembre 2014, soit en même temps que DRH), ses qualités de manager ont primé comme son expérience d’opérationnel et du terrain. Cela lui a notamment permis d’être plus convaincant auprès de certains de ses interlocuteurs notamment les directeurs des 250 agences In Extenso en France. « Les DRH qui viennent 100 % des RH doivent beaucoup aller sur le terrain pour comprendre le quotidien de nos directeurs d’agences alors que je le connais très bien pour avoir exercé cette fonction. Quand ces derniers sont un peu frileux sur des sujets, comme la mise en place du télétravail qui est une demande de plus en plus forte des salariés, je peux aller plus facilement les persuader que c’est faisable », explique-t-il.

Sa nomination (le DG du groupe lui a proposé le poste), il l’a vue comme une « reconnaissance ». « On peut avoir de l’appréhension en prenant ce poste parfois décrié. Même s’il faut parfois être ferme et faire preuve de courage, je crois que si l’on reste à l’écoute, on peut désamorcer les conflits », argue-t-il. Ce qui différencie la fonction RH d’une fonction business selon lui ? Son côté « transverse », répond-il sans hésitation. « L’humain est complexe, c’est ce qui fait la richesse des RH. On apprend tous les jours. Les RH sont indispensables pour préparer le futur qui sera digital. On travaille beaucoup sur la fidélisation. » Pour la suite de sa carrière, il ne dévoile pas ses intentions mais reconnaît que le poste de DRH est un bon « tremplin » pour continuer vers des fonctions de direction générale.

Bruno Danet, 54 ans, DRH du groupe Keolis1

Bruno Danet a 28 ans de carrière chez Keolis. De son premier poste d’auditeur interne dans l’entreprise, après une formation en école de commerce, à son titre actuel de DRH, il a occupé une succession de postes à responsabilités qui ont touché de près ou de loin les RH. « La première fois, c’était lors de la mise en place des 35 heures quand j’ai dû négocier avec les organisations syndicales la réduction du temps de travail », se souvient celui qui était à l’époque directeur du réseau urbain de Keolis à Alès (de 1998 à 2001). En poste ensuite à Rennes en tant que secrétaire général du réseau de transport urbain (2002-2007), il travaille à la mise en place de la première ligne de métro automatique. « Le challenge était de préserver une entreprise unique exploitant des modes de transport aux contenus technologiques très différents. Nous voulions que la majeure partie des emplois liés à cette nouvelle ligne de métro automatisée soient pourvus par des salariés présents dans l’entreprise. Il y avait des enjeux d’accompagnement à la transformation de l’entreprise, de développement des compétences par la formation et de réorganisation. Je m’occupais notamment de la paie et de l’administration du personnel », se remémore-t-il. Après plusieurs affectations de directeur en région et de directeur général du réseau de Bordeaux, il rejoint le siège où il prend le poste de directeur général adjoint France en charge de la branche regroupant les Grands réseaux Urbains. En mai 2016, il se voit proposer le poste de DRH. « Mon président m’a appelé car il voulait nommer quelqu’un qui venait du business. J’ai accepté ce poste car les enjeux de cette fonction au sein d’un secteur et d’un groupe en pleine mutation m’intéressaient. D’autre part, l’accession au Comex me permettait d’avoir une vision plus globale de la stratégie du groupe », assure-t-il.

Ses qualités pour le job ? Sa connaissance de l’entreprise bien sûr, ses aptitudes managériales et son expérience opérationnelle. « Je ne viens pas des RH et mon regard extérieur peut être un atout compte tenu de nos enjeux. Quand je suis arrivé à mon poste, par exemple, je trouvais que le sujet de la relation sociale avait une place prédominante dans cette fonction et je voulais que d’autres enjeux soient pris en compte ou renforcés comme la marque employeur ». Ce qui l’a le plus étonné à son nouveau poste ? Le « temps RH » plus long que le « temps opérationnel ». « Dans mes précédentes fonctions, dans 90 % des cas je voyais les résultats de mes décisions sous quelques semaines ou mois. Dans mes nouvelles responsabilités, les effets s’étalent sur plusieurs mois ou années ». Comme il le résume, sa fonction actuelle nécessite de prendre en compte le passé, traite du présent et anticipe le futur. Quel sera le sien ? « Mon travail m’enrichit de par les nouvelles interactions que j’ai (actionnaires, ministères, branche d’activité, dimension internationale..). Je ne fais pas de calculs. Dans ma carrière, je fonctionne en saisissant des opportunités ».

Christophe Foglio, 51 ans, DRH du groupe M6

Il a fallu 18 mois à Christophe Foglio, 51 ans, le DRH d’M6, pour se sentir complètement à l’aise dans son costume. « C’est le temps qui a été nécessaire pour que j’appréhende toutes les thématiques du métier de DRH. J’ai bénéficié d’un accompagnement par mes équipes qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour me faire monter en compétence ainsi que de la confiance de mon management », reconnaît celui qui est en poste depuis mai 2013. Ce professionnel, qui vient du domaine de la production, des métiers techniques et des SI, a en effet passé la moitié de sa vie professionnelle antérieure à encadrer des projets technologiques et d’ingénierie au sein de différentes chaînes de télévision.

Au Groupe TF1, chez TPS/Infosport puis à Eurosport ou il occupait le poste de directeur technique (300 personnes sous sa responsabilité) et enfin chez M6 où il fut directeur des moyens technologiques du groupe entre 2008 et 2013 (un peu moins de 200 collaborateurs encadrés). À l’époque, il travaille sur la modernisation des moyens de production, de diffusion et des systèmes d’information pour l’ensemble des chaînes du Groupe M6, un projet de transformation et d’accompagnement au changement, préalable nécessaire pour permettre aux équipes de M6 Web de développer toutes les offres de télévision de rattrapage M6 Replay, devenue depuis 6play. Il travaille aujourd’hui à la fusion des trois radios RTL, RTL2 et Fun Radio au sein du groupe, même s’il a dû gagner ses galons. « Ma nomination au poste de DRH a pu surprendre mais ma connaissance des métiers de l’entreprise a été un atout. Ce changement de profession ne me semblait possible qu’au sein de la même entreprise. »

Au concret sur le terrain, il a découvert un métier difficile qu’il qualifie volontiers d’exigeant et d’expert. « Le risque lorsque l’on est DRH groupe, c’est peu à peu de ne plus être au contact de la réalité du terrain, des salariés et du middle management, parce que trop occupé à gérer les changements de législation, par exemple », analyse Christophe Foglio. Selon lui, il est nécessaire d’avoir certaines qualités pour réussir à son poste : savoir faire preuve de « souplesse » notamment et être très à l’écoute. « Nous sommes là pour défendre les intérêts de l’entreprise mais aussi ceux des salariés. C’est un métier passionnant mais aussi très exigeant. » Et pour la suite de sa carrière, Christophe Foglio ne fait pas de plan. Il pense toutefois qu’être DRH peut ouvrir des portes. « On dit souvent que les DRH peuvent ensuite briguer des postes de direction générale. Mais on voit aussi souvent des DRH devenir entrepreneurs, pour accompagner par leur expertise et leur expérience, soit des entreprises, soit des dirigeants. Cela dépend évidemment aussi de la personnalité de chacun ». Dont acte !

(1) Le groupe IGS propose deux formations en RH : le master II « Responsable en management et direction des ressources humaines » qui forme les DRH en France et l’« Executive HR MBA International Human Resources » qui forme les futurs DRH à l’international.

(2) « Comment la DRH fait sa révolution » (éditions Eyrolles), François Eyssette et Charles-Henri Besseyre Des Horts, 2014.

(1) In Extenso est une société spécialisée dans l’expertise comptable et le conseil aux TPE-PME.

(1) Keolis est un opérateur privé de transport public de voyageurs.

Auteur

  • Lucie Tanneau