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Entrepreneurs sociaux : ils veulent changer le monde

À la une | publié le : 01.10.2018 | Sophie Massieu

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Entrepreneurs sociaux : ils veulent changer le monde

Crédit photo Sophie Massieu

Des entreprises qui se dotent d’un objet social et dont le but premier n’est pas de réaliser des bénéfices financiers. C’est le social business, en plein essor depuis une décennie. Plus professionnalisé et davantage financé, le secteur devrait croître encore davantage, porté par les attentes de la société et l’évolution législative. Et créer une société plus juste ?

« Je me suis toujours questionnée sur ce qui pouvait avoir un impact sur l’évolution de notre société contemporaine. Et j’ai rapidement constaté que les entrepreneurs sociaux œuvraient à tenter de résoudre les déséquilibres créés par les humains. » Après des études à Sciences Po, puis à l’Essec, au sein de sa chaire d’entrepreneuriat social, Florence Rizzo, 37 ans aujourd’hui, a cofondé, en 2012, l’association Syn-lab qu’elle codirige encore. La structure accompagne les enseignants dans leur pédagogie, notamment au moyen d’une plateforme, etreprof.fr, qui, en moins d’un an, avait déjà rassemblé 100 000 utilisateurs actifs. « J’ai choisi d’intervenir dans le domaine de l’éducation, parce qu’elle est à la racine de la transformation de nos sociétés. » Syn-Lab compte une quinzaine de salariés, et une cinquantaine d’intervenants ponctuels. La recherche de nouveaux modes de financement occupe une place non négligeable dans les préoccupations de l’équipe dirigeante, qui sait devoir ne pas compter exclusivement sur les financements publics, dont elle a bénéficié au travers du Pia 2 (Programme d’investissement d’avenir) opéré par la Caisse des dépôts. « J’ai suivi les enseignements de l’Essec pour me doter d’outils, et dépasser une vision purement idéaliste de l’entrepreneuriat social », précise la jeune femme.

Sage précaution. Parce que l’entrepreneuriat social n’est pas une œuvre de philanthropie. Si la finalité sociale prime, une entreprise sociale doit trouver son équilibre financier.

Le partage des richesses, une donnée identitaire forte.

C’est le prix Nobel de la paix 2006 Muhammad Yunus qui en a posé les sept principes en 2009 à Davos. Pour l’inventeur du microcrédit, le social business vise la suppression de la pauvreté ou s’attaque à un problème social ou environnemental (santé, éducation, accès à la technologie…). Si l’objectif n’est pas la maximisation du profit, l’entreprise sociale doit pour autant assurer sa viabilité économique. En troisième lieu, elle ne verse aucun dividende, les investisseurs ne récupérant que leur mise de départ. Une fois les bailleurs remboursés, 4e principe, les bénéfices, car rien ne les interdit bien au contraire, doivent être réinvestis au profit du développement de la structure. Elle doit enfin respecter l’environnement, fournir aux salariés de bonnes conditions de travail, et le tout doit se réaliser dans la joie.

Ce que Caroline Neyron, directrice générale du Mouves, fondé en 2009, et qui regroupe des acteurs du secteur, résume en disant : « Ce qui dessine notre identité, c’est le partage des richesses, celui du pouvoir et le souci de notre impact social. Bien plus que tel ou tel statut, voilà ce qui nous différencie. » Elle précise : « Sur le plan économique, si notre croissance est souvent moins rapide que celle du secteur capitalistique classique, elle montre une remarquable stabilité. Une façon de démontrer que les acteurs économiques peuvent, aussi, être ceux de la transition économique. »

« Une entreprise sociale peut, même doit, faire des bénéfices, appuie Emmanuel Verny, délégué général d’Ess France, la chambre française de l’économie sociale et solidaire. Simplement, ils constituent un moyen, pas une fin. »

Impact social et implantation territoriale.

Un moyen mis au service de la revitalisation économique et sociale de villages isolés, par exemple, avec Comptoir de campagne, créé par Virginie Hils, 41 ans. Après un parcours dans le secteur agroalimentaire classique, elle a voulu « donner plus de sens à [son] travail, œuvrer pour un commerce plus équitable, mettre [son] savoir-faire au service de l’artisanat ». Cette Esus (entreprise solidaire à utilité sociale, un statut créé en 2014) compte aujourd’hui quatre boutiques et une en ligne. Mais l’enjeu est de s’étendre bien au-delà de ce territoire initial et, à l’échelle nationale, de créer un réseau de franchisés. Tous devront prendre l’engagement, écrit dans les statuts, d’être des entrepreneurs sociaux et de remplir leur mission : apporter au cœur des campagnes des services comme la banque et l’assurance, notamment au moyen de la visioconférence, et assurer la vente de produits locaux, grâce aux circuits courts.

Cette volonté d’avoir un fort impact social positif sur son territoire compte aussi parmi les raisons de la création de Palanca. Sous plusieurs statuts, l’entreprise développe diverses activités : un bureau d’études pour aider les acteurs locaux dans leur transition énergétique, mais aussi une conciergerie ou un tiers lieu pour maintenir du lien social dans le quartier toulousain où réside son fondateur, Jérémie Loevenbruck, 33 ans. En lançant en 2012 cette structure, qui compte aujourd’hui une soixantaine de salariés, le jeune homme, issu d’une école d’ingénieurs, voulait donner un « sens politique » à son travail.

Jean-Michel Pasquier affiche un souhait identique. À 45 ans, en 2009, il a créé Koeo, après un parcours classique dans les ressources humaines. Cette entreprise solidaire (l’ancêtre des Esus) intervient auprès des sociétés capitalistiques classiques pour les aider à développer le mécénat de compétences et auprès des associations pour connaître leurs besoins en la matière. Riche de trois salariés et trois intervenants indépendants, l’entreprise applique la règle des trois tiers : un tiers de bénéfices réinvestis, le 2e réparti entre les salariés, le dernier réservé à l’investisseur.

Un secteur en croissance.

Plus que le statut, donc, ce sont les missions que se donne l’entreprise qui font qu’elle est, ou non, sociale. Mais ce sont aussi les hommes qui la font vivre : « Il faut avoir un brin de folie pour entreprendre, estime Jacques Berger, directeur de l’action Tank Entreprise & Pauvreté, créée en 2010 par de grandes entreprises classiques, Danone en tête, pour lutter contre la pauvreté. Et il s’avère encore plus audacieux de se lancer dans le social business. » Plus audacieux mais pourtant aussi plus fréquent, à en croire Thierry Sibieude, qui a créé la chaire d’entrepreneuriat social de l’Essec : « Au début des années 2000, 5 % des étudiants disaient vouloir créer leur entreprise. Aujourd’hui, un sur cinq le souhaite et près d’un sur dix le fait. »

Il y aurait donc de plus en plus d’entrepreneurs sociaux. Mais au vu de ce qui fait l’identité de ce secteur, il est aujourd’hui impossible de disposer de chiffres précis sur le nombre des entreprises sociales. On peut créer une coopérative mais ne pas se donner de missions d’entreprise sociale. On peut se doter d’une telle mission mais conserver la forme d’une PME classique. Bref, entre ceux qui se contentent d’un affichage et ceux qui inversement sont des entrepreneurs sociaux sans le dire, il s’avère difficile d’être précis sur le poids économique du secteur. Seule donnée communément admise : on s’accorde à dire que l’ESS représente 10 % du PIB, et salarie un peu plus de 2 millions de personnes. De son côté, le Mouves revendique un millier d’adhérents, « sans faire campagne », précise sa directrice générale.

Impossible, de même, de déterminer si des secteurs seraient plus en pointe que d’autres en matière d’entrepreneuriat social, du moins selon Rémi Leservoisier, directeur général du fonds d’investissement Noves. Porté par Mandarine Gestion, cet outil, créé en 2016, est né d’une initiative gouvernementale, pour, au nom de la Caisse des dépôts, financer le secteur de l’ESS, et notamment lui permettre de changer d’échelle : « Nous constatons une telle diversité dans les projets qui nous sont soumis et que nous cofinançons qu’il semble difficile d’établir une cartographie des secteurs qui seraient surreprésentés, ou absents. »

Un certain nombre d’incertitudes persiste, donc. Et l’arrivée annoncée, voire espérée, des entreprises à mission, après l’adoption de la loi Pacte cet automne, devrait encore compliquer le tableau.

Alignement des planètes.

Mais une unanimité se fait jour pour observer que depuis une dizaine d’années, l’entrepreneuriat social prend de plus en plus d’ampleur. Même accord pour expliquer les raisons de cet essor. D’abord, une crise économique en 2008 qui a amené à interroger les modèles existants. Ensuite, l’arrivée d’une génération en quête de sens au travail. Globalement, la prise de conscience qu’il est urgent d’agir, une volonté de l’ensemble des citoyens de consommer autrement. Enfin, et cela pèse beaucoup, la structuration des modes de financement et le développement de l’épargne solidaire, salariale notamment.

Comme le financement, les entreprises elles-mêmes se professionnalisent. Leurs dirigeants sont aujourd’hui diplômés, parfois de très grandes écoles (voir encadré) et l’approche de l’objet social revêt une dimension plus solidaire que caritative. Ce qui fait dire à Jacques Berger que « la France est la Silicon Valley de l’économie sociale. Si elle voit le jour, c’est dans l’hexagone que s’inventera l’économie renouvelée au XXIe siècle ».

Utopie ou réalité ? Nombreux sont en tout cas ceux qui croient que l’entrepreneuriat social a de beaux jours devant lui et bénéficie d’un bel alignement des planètes. À l’image de Caroline Neyron, du Mouves, qui estime que les débats sur la loi Pacte et les entreprises à mission permettront à l’entrepreneuriat social « de polenniser d’autres acteurs ». Même optimisme chez Marie-France Bonnet, à la tête du cabinet Nuova Vista, engagé pour le développement des entreprises à mission : « Si la loi consacre le principe de la possible création des entreprises à mission, cela va grandement accélérer les choses. On sait maintenant à quel point l’enjeu de transformation de la société est important. » « La RSE est en effet aujourd’hui au cœur du business de l’entreprise, confirme Olivier Classiot, cofondateur du cabinet Des enjeux et des hommes. Auparavant, on parlait aux directeurs du développement durable. Aujourd’hui, nos interlocuteurs sont les membres des comités de direction. » De quoi réjouir Emmanuelle Wargon, en charge de la responsabilité sociale de l’entreprise, chez Danone, qui affirme : « On a gagné le débat philosophique ! L’entreprise, on l’a admis, doit se préoccuper de son impact social et améliorer le monde qui l’entoure. »

Les entreprises investissent le champ de la formation et de la recherche

Petites ou grandes, les entreprises participent à la recherche et à l’enseignement sur l’entrepreneuriat social. Les unes, à l’image de Comptoir de campagne, accueillent des chercheurs qui se penchent sur leur modèle de gouvernance ou sur leur impact social. Les autres, multinationales, financent des chaires au sein des plus grandes écoles.

L’Essec a créé une chaire d’entrepreneuriat social en 2002. Et en 2008, au sein de l’Institut Antropia, un incubateur et un accélérateur d’entreprises, ont complété l’édifice. Des entreprises comme Deloitte et BNP-Paribas comptent parmi les financeurs, aux côtés de plus classiques intervenants du secteur de l’entrepreneuriat social, comme de grandes mutuelles.

HEC propose elle aussi une offre conséquente de formation et de recherche en matière d’entrepreneuriat social, et, en lien avec l’action tank entreprise et pauvreté, elle rassemble autour d’elle dans une chaire du même nom de grandes entreprises comme Danone, Schneider, Renault… L’objectif revendiqué par sa directrice exécutive, Bénédicte Faivre-Tavignot ? « Contribuer au développement d’un business plus inclusif et plus respectueux de l’environnement et doter les dirigeants d’une double perspective : la performance économique et l’impact sociétal de leurs décisions. »

Auteur

  • Sophie Massieu