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Benoît Genuini : « Il nous faut décloisonner notre monde »

À la une | publié le : 01.10.2018 | Sophie Massieu

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Benoît Genuini : « Il nous faut décloisonner notre monde »

Crédit photo Sophie Massieu

Après 30 ans de carrière dans une entreprise classique, Benoît Genuini a choisi en 2005 de s’investir dans le champ de l’entrepreneuriat social. À ses yeux, les premières ne s’impliquent pas suffisamment dans la transformation de la société et les secondes manquent d’ambition. Il en appelle à une collaboration plus étroite entre les unes et les autres pour lutter contre les inégalités.

Pourquoi, personnellement, après 30 ans de carrière dans le secteur de l’économie capitaliste classique, avoir choisi de basculer vers l’entrepreneuriat social ?

Benoît Genuini : Ce que je faisais chez Accenture me plaisait beaucoup. Je traitais des dossiers très divers et le facteur humain avait beaucoup d’importance. Et puis en 2005, j’ai malgré tout eu envie de faire autre chose. Avec l’idée que, maintenant que ma situation personnelle le permettait, je voulais rendre un peu aux autres, témoigner de ma reconnaissance pour la chance qui m’avait été donnée toutes ces années. Je voulais m’engager davantage au service des autres et de la société. Et c’est à ce moment-là que j’ai rencontré dans un avion Martin Hirsch, qui était alors président d’Emmaüs France. Et c’est comme ça qu’est née l’idée de la création de l’agence nouvelle des solidarités actives, qui a, entre autres, expérimenté le RSA. En parallèle, j’ai aussi créé Passerelles numériques, une association qui vise à éduquer aux nouvelles technologies les enfants défavorisés d’Asie du Sud-Est.

Aujourd’hui, vous œuvrez principalement pour Passerelles numériques, une structure à but non lucratif donc. Est-ce à dire que selon vous, les entreprises sont impuissantes à transformer la société ?

B. G. : C’est l’homme qui peut changer le monde. Les appareils, les organisations, ne peuvent être efficaces que si l’homme a une véritable volonté de les mobiliser pour changer l’ordre établi. Certaines institutions bien sûr ont pour mission de redistribuer les richesses produites par les entreprises, les gouvernements notamment. Les rôles des pouvoirs publics et des sociétés privées devraient être complémentaires. Mais on est arrivés aujourd’hui à une situation caricaturale, où l’État doit assumer seul la redistribution des richesses tandis que les entreprises, depuis les années 1990, commencent par enrichir leurs actionnaires. Cela engendre une grande violence sociale. On commence à en prendre conscience et, depuis les années 2000, de nombreuses entreprises tentent d’afficher une plus grande responsabilité sociétale.

Leur démarche vous semble-t-elle sincère ?

B. G. : Cela reste souvent un engagement de façade. Les entreprises se montrent de plus en plus sensibles à leur image et voilà ce qui motive de nombreuses initiatives prises au nom de la RSE. On ne prête pas attention au sens profond de cette expression. On ne désabrège pas le sigle. On oublie le sens pourtant fort de ce beau mot : « responsable ». Résultat ? L’entreprise n’est pas un acteur majeur du progrès social.

Selon vous, est-ce là une explication du développement parallèle de l’entrepreneuriat social ?

B. G. : Oui. Les entreprises classiques n’assument plus leur rôle social. Alors on le fait porter par d’autres organisations, à côté. On ferait mieux de travailler ensemble !

Les débats actuels, notamment sur les entreprises à mission, vous semblent-ils favoriser cette collaboration possible ?

B. G. : L’idée est en effet de permettre à l’entreprise de cesser de fonctionner en vase clos avec pour seul objectif de maximiser le retour sur investissement des actionnaires. L’État aura du mal à imposer de nouvelles formes à des structures privées. Mais cela va malgré tout dans le bon sens, celui d’une prise de conscience. Les jeunes générations, qui veulent s’engager davantage, vont aussi pousser les entreprises à ouvrir les yeux. Si elles veulent conserver les talents, elles vont devoir agir.

Les entreprises sociales ne doivent pas avoir honte de grandir.

Les entreprises classiques pourraient donc être amenées à évoluer. Et que pensez-vous de la situation des entreprises sociales ?

B. G. : En arrivant dans ce secteur, j’ai trouvé que ces formes d’entreprises aidées étaient timides et ne cherchaient pas à se développer. Elles restent frileuses sur le côté entrepreneurial. Elles se disent que les subventions sont limitées, alors elles n’osent pas se développer. Elles restent petites, repliées sur leur mission. C’est un tort ! À l’inverse, chez les Anglo-Saxons, les entreprises sociales peuvent être très importantes, et gérées comme de grandes entreprises. Elles n’ont pas cette pudeur qu’ont les entrepreneurs sociaux en France. Les entreprises sociales ne doivent pas avoir honte de grandir, se développer et gagner de l’argent. Ce faisant, on aiderait davantage de monde encore. D’un autre côté, il est vrai que cette petite taille permet une agilité et d’expérimenter des innovations sociales. Or, c’est sans doute grâce au bottum up qu’on peut véritablement lutter contre la pauvreté.

Certains estiment qu’actuellement, on observe un bon alignement des planètes pour le développement de l’entrepreneuriat social. Est-ce votre sentiment ?

B. G. : Je perçois en effet une volonté de progresser. J’aurais aimé que les entreprises donnent le tempo et prennent conscience de leur rôle social. Rien ne les empêcherait par exemple de prendre en charge davantage de personnes éloignées de l’emploi, ou d’accueillir des activités à moindre valeur ajoutée… Lorsqu’elles le veulent, ou y sont contraintes, comme avec le quota obligatoire d’emploi de 6 % de personnes handicapées, elles se donnent les moyens de remplir leurs objectifs. Donc si elles voulaient changer la société, elles le pourraient ! Certains dirigeants commencent à en avoir conscience. Ils sont le bon levier de transformation. Mais on est encore loin d’avoir résorbé tous les problèmes de la planète.

Si les entreprises voulaient changer le monde, elles le pourraient.

Quel est pour vous l’enjeu essentiel ?

B. G. : Nous vivons dans un monde de plus en plus inégalitaire. Il y a de plus en plus de richesses, qui sont de moins en moins équitablement réparties. Pour lutter contre ce phénomène, il nous faut décloisonner notre monde, travailler ensemble, et ne pas penser que l’État pourrait tout faire tout seul.

Mais que peut faire l’État ?

B. G. : Instaurer des mécanismes d’incitation au développement de l’entrepreneuriat social. Par exemple mettre en place des allègements de charges sociales pour favoriser leur croissance.

Quelle est selon vous la position de la France par rapport au reste du monde ?

B. G. : Je pense que nous sommes plus sensibles à l’entrepreneuriat social. Nous avons une tradition, une culture, une volonté d’aider et de valoriser le désintérêt. Alors que dans certains pays, l’idée d’aider les pauvres paraît bizarre. Mais je ne suis pas certain que nous soyons plus efficaces !

Biographie

Après 30 ans de carrière (1976/2005) chez Accenture, qu’il a présidé les dix dernières années, Benoît Genuini, 65 ans, a choisi de travailler dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. En 2006, il a fondé avec Martin Hirsch l’Agence nouvelle des solidarités actives, qui a expérimenté le RSA. Il en est toujours administrateur. En parallèle, il crée l’association Passerelles numériques, qu’il préside toujours actuellement, et qui œuvre en faveur de l’accès à l’éducation des enfants pauvres d’Asie. Il a également été médiateur national de Pôle emploi à sa création, durant 18 mois, de 2009 à 2010.

Auteur

  • Sophie Massieu