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Éviter les pièges de la RCC

Idées | Juridique | publié le : 01.09.2018 |

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Éviter les pièges de la RCC

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Nombre d’entreprises en rêvaient, Muriel Pénicaud l’a fait. Et ce fut la surprise des ordonnances du 22 septembre 2017, même si la loi du 29 mars 2018 a légitimement renforcé les obligations patronales en matière de reclassement externe.

Vu côté employeur, comment réduire (au pire) ou restructurer (au mieux) ses effectifs sans entrer dans le complexe droit du licenciement économique et a fortiori du PSE, avec sa lourde procédure, malgré les simplifications apportées en septembre 2017 ?

Dix ans après la naissance de la rupture conventionnelle individuelle à l’exceptionnel succès statistique (421 000 en 2017), la RC collective semble, en droit, un miracle pour DRH : aucun seuil d’effectifs, aucun chiffre minimum ni maximum de postes supprimés ; aucun motif économique à fournir, et simple information finale du comité social et économique ; ni ordre des licenciements ni priorité de réembauche, et embauche possible sur les postes devenus vacants permettant de repartir vite si le marché se retourne, tout de suite ou dans les mois qui suivent.

Mais trois pièges sont à éviter :

1. RCC réussie et mort de l’entreprise

L. 1237-19-1 : « L’accord portant rupture conventionnelle collective détermine (…) les conditions que doit remplir le salarié pour en bénéficier, et les critères de départage entre les potentiels candidats au départ. »

Les critères de cette double sélection sont essentiels, surtout au pays de l’Égalité, Côté Direccte délivrant sa « validation ». Le très pédagogique questions / réponses du ministère du Travail, mis en ligne le 19 avril 2018, rappelle que les règles d’éligibilité au départ volontaire doivent être « préalablement définies et objectives ». Et que l’administration s’assurera que ces critères « tiennent compte de la viabilité du projet professionnel du salarié. L’accord peut notamment subordonner le départ volontaire d’un salarié, à la condition qu’il présente une offre sérieuse de reclassement externe ou un projet sérieux de création ou reprise d’entreprise ». Sinon, refus de validation.

Côté entreprise, attention aux règles de départage ! Car quantitativement, le nombre de volontaires est souvent supérieur au chiffre souhaité ; et qualitativement, si l’on écarte les collaborateurs proches de la retraite, ce sont les meilleurs qui partent, a fortiori avec la reprise actuelle. Sans même évoquer la productivité décuplée et l’esprit constructif des candidats recalés.

Il faut donc trouver des critères objectifs et licites (pas seulement l’âge ou l’ancienneté), différents de l’ordre des licenciements ne s’appliquant pas ici (CS., 1er juin 2017).

L’arrêt du 7 juin 2018 montre que l’exercice est délicat, et en cas de contentieux, qui doit prouver quoi ? Un accord de mobilité externe prévoyait la possibilité de ne pas donner suite à une candidature, « si le salarié possède une compétence ou un savoir-faire particulier rendant son remplacement particulièrement délicat, ou conduisant directement ou indirectement à un recrutement externe pour le remplacer et dont le départ serait en conséquence préjudiciable pour la société ». À l’employeur plaidant que la bonne foi était présumée, c’était au salarié de prouver que le refus de sa candidature était abusif. La Cour de cassation répond vertement que, « sans inverser la charge de la preuve, la cour d’appel a déduit à bon droit qu’il incombait à la société, qui entendait refuser le départ du salarié, de justifier de la réalité du caractère préjudiciable de ce départ au bon fonctionnement de la nouvelle organisation ».

2. Refus de validation par la Dirrecte

C’est un risque statistique mineur, mais socialement majeur, y compris pour le DRH signataire licenciable pour insuffisance professionnelle, et peut-être déjà séquestré par les ex-futurs volontaires furieux, car ils s’étaient déjà construit de beaux châteaux en Espagne.

Comme l’indique L. 1237-19, la Direccte doit être mise dans la boucle dès le début de la négociation ; mais les vrais professionnels RH la rencontrent bien avant pour faire le point sur ses exigences, nationales mais aussi locales. Le questions / réponses du ministère du Travail donne tous les éléments de procédure et de fond pour éviter un tel désaveu. À éviter avant tout :

• Toute discrimination par l’âge : « La RCC ne doit pas être détournée de son objet en faisant peser sur les comptes publics et l’assurance chômage des charges supplémentaires du fait d’un ciblage inapproprié sur les personnes seniors. La Direccte ne validera pas un accord ne comportant que le versement d’indemnités de départ visant des salariés sélectionnés sur le seul critère de l’âge ou de l’ancienneté. »

• Une RCC-RCV (Rupture chèques-valise) : « La Direccte vérifiera que les mesures prévues dans l’accord sont précises et concrètes au regard de l’objectif d’accompagnement et de reclassement externe des salariés. »

Rappelons que les syndicats ont le téléphone, qu’ils utilisent volontiers si la négociation leur semble porter sur des points contestables, tout mettant la pression sur la prime. Des échanges Direccte-employeur, conseils puis mises au point qu’il vaudra mieux suivre, malgré l’absence d’injonction administrative existant pour les PSE.

Certes, un refus anéantissant la RCC n’interdit pas de monter ensuite un PSE, mais les syndicats déjà échaudés risquent de ne pas signer (donc PSE unilatéral, soumis à homologation) ; et c’est toujours la Direccte que l’employeur trouvera au bout de son chemin…

Si enfin un avocat évoque un contentieux administratif en annulation du refus, mieux vaut en changer. Car c’est beaucoup de temps perdu et d’honoraires versés, alors que le Code donne la solution : « En cas de refus, un nouvel accord peut être négocié, qui tient compte des éléments de motivation accompagnant la décision de l’administration. » (L. 1237-19-6).

En France, où une relation harmonieuse avec l’autorité administrative aux pouvoirs très étendus est essentielle au moral des services RH, ne pas oublier enfin de l’associer au suivi de la RCC.

3. Ne pas se frotter au licenciement économique

La RCC « exclut tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois » (L. 1237-19). C’est la première chose à laquelle doit penser l’employeur avant d’entrer en négociation. Une RCC ne peut, en effet, constituer un pré-PSE.

Or, peut-il vraiment s’engager à ne procéder à aucun licenciement économique si le chiffre des 138 départs souhaités n’est pas atteint ? Car RCC ou PSE unilatéral ou négocié, dans tous les cas, la Dirrecte devra se prononcer : et on plaint le DRH lui présentant un PSE dans la période d’interdiction des licenciements économiques.

S’il s’agit de fermeture de sites, la RCC est donc a priori exclue, y compris en termes de vice du consentement. Un salarié à qui on propose de partir librement, tout en lui expliquant que quoi qu’il arrive, il sera parti dans trois mois… Comme le rappelle le ministère du Travail : « les juges pourraient considérer qu’il s’agit en réalité d’un licenciement économique déguisé et l’employeur pourrait se voir infliger de lourdes sanctions à la fois civiles (nullité des licenciements) et pénales… ».

Mais à l’inverse, la RCC n’a tué ni les PSE, ni les plans de départs volontaires. Et si aucun accord RCC ou PSE ne peut être signé, les postes en cause pourront être supprimés à la suite d’un bon vieux PSE unilatéral, homologué par la Dirrecte.

Où l’on reparle de la responsabilité sociétale des entreprises

Ces départs triplement consensuels (syndicats majoritaires + Direccte + salariés volontaires) limitant le contentieux peuvent être d’une redoutable efficacité en termes de rapidité et d’absence de conflits.

Mais rarement ciblés sur les jeunes collaborateurs les plus prometteurs et en pleine santé, ils ne correspondent pas toujours à la « gestion des emplois et des parcours professionnels » tant vantée depuis 2005 (« Faire l’entreprise de demain avec les hommes d’aujourd’hui »). Ni à la volonté de maintien dans l’emploi de nos coûteux seniors… dont la plupart ne demandent qu’à partir.

En cours de discussion, la loi Pacte veut modifier l’article 1833 du Code civil, en affirmant la nécessité pour les sociétés « de prendre en considération les enjeux sociaux (…) inhérents à leur activité ». Or, des deux côtés de la table, nul n’ignore que tout dépend d’abord du montant du chèque, et les syndicalistes privilégiant les projets de reclassement externe prennent de grands risques en termes électoraux. D’où la légitimité de l’intervention de la Direccte voulant éviter fracture, et facture sociales.

Jean-Emmanuel Ray

Jean-Emmanuel Ray, professeur à l’école de droit de Paris I – Sorbonne, est directeur du Master 2 en apprentissage DRH et droit social. Il publie mi-septembre la 27e édition de Droit du Travail, droit vivant, (éd. Liaisons), à jour des lois de l’été 2018.