logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Entreprises : que sont les sciences sociales devenues ?

Idées | Bloc-notes | publié le : 01.09.2018 | François Dupuy

Image

Entreprises : que sont les sciences sociales devenues ?

Crédit photo François Dupuy

Le constat est aujourd’hui partagé par les spécialistes : les sciences sociales (la sociologie en particulier) n’ont plus guère droit de cité parmi les « outils » utilisés par les entreprises pour résoudre les problèmes humains et organisationnels auxquels elles font face. D’autres approches, pourtant souvent naïves et/ou artificielles, les ont chassées des territoires qui leur étaient auparavant acquis.

Manque de souplesse et d’agilité

Nul doute qu’il y ait plusieurs raisons à cet effacement. L’une d’entre elles pouvant être la difficulté des pratiquants de ces disciplines à trouver un vocabulaire et un argumentaire audibles et convaincants pour les dirigeants, principaux « acheteurs » de conseil. Si tel est bien le cas, c’est aux sociologues qu’il appartient de faire leur autocritique et « d’écouter » ceux à qui ils souhaitent proposer leurs services. Ce ne sera pas facile tant lesdits spécialistes sont parfois accrochés – à juste titre certes – à une rigueur ressentie par leur environnement, comme manquant cruellement de souplesse et d’agilité.

Mais il y a plus : l’utilisation de ces disciplines est aujourd’hui menacée de deux côtés. Elles mettent les entreprises et leurs responsables face à une complexité exigeante, impliquant de leur part un réel effort pour la maîtriser, les obligeant à raisonner autrement et à sortir ainsi des schémas simplistes, des recettes et de la vacuité des modes managériales qui tiennent aujourd’hui le haut du pavé. Et il est vrai qu’il est difficile d’accepter la notion « d’intelligence de l’acteur », qui renvoie chacun à sa responsabilité dans la construction du contexte, dans lequel s’exprime cette intelligence. Il est plus aisé de s’en tenir à des injonctions contradictoires (coopérez/soyez autonomes par exemple), à des « valeurs » lancées sans connaissance des univers dans lesquelles elles vont venir « s’écraser », tout en démonétisant la parole de ceux qui les ont émises.

Le mot-clé vient d’être lâché : la connaissance, qui constitue – et c’est navrant – la deuxième menace. C’est en effet ce qu’apportent en priorité les sciences sociales, en affirmant que l’action sans la connaissance remet la vie des organisations et les résultats des politiques mises en œuvre, entre les mains du hasard ou de la bonne volonté des acteurs. Une étude récente a montré que le mode comportemental dominant chez les cadres est celui de l’action précédant la réflexion et donc s’exerçant à partir des résultats obtenus. Les sciences sociales suggèrent l’inverse et sont donc perçues comme « lentes » et créatrices d’une complexité artificielle, qui constitue pourtant la réalité de n’importe quel ensemble humain. Et il est vrai qu’aujourd’hui, plutôt que d’affronter cette embarrassante complexité, les entreprises ont fait le choix de « psychologiser » les comportements. Le marché du conseil ne s’y est pas trompé. Il a vu une éclosion impressionnante des « coachs », chargés de gérer un humain individualisé, donc plus simple et surtout débarrassé de ses contraintes systémiques.

Un changement nécessaire

Nous en sommes là et tant que chacun des deux acteurs – les dirigeants d’un côté, les sociologues de l’autre – restera sur ses positions, ce sont les sciences sociales qui seront les plus visiblement perdantes. Mais compte tenu de l’évident rapport de force, et si ces dernières veulent survivre dans les entreprises qui les ont autrefois aimées, elles doivent aider à la formation de cadres qui puissent à la fois comprendre leur apport et ne pas les considérer comme « passées de mode », mais aussi les pousser vers une adaptation de leurs méthodes, sans laquelle le combat est perdu d’avance.

Auteur

  • François Dupuy