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Responsables formation : une valeur ajoutée à prouver

Dossier | publié le : 01.09.2018 |

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Responsables formation : une valeur ajoutée à prouver

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La réforme de Muriel Pénicaud bouleverse la fonction de responsable formation dans les entreprises. Jusqu’alors adossée à une obligation fiscale, la profession va devoir apprendre à séduire les directions et les salariés pour bâtir l’architecture financière des futurs plans d’adaptation et de développement des compétences avec des moyens en baisse. Faute de quoi, elle pourrait disparaître.

Responsable formation : profession en danger ? Sylvain Humeau, président du Groupement des acteurs et responsables de formation (Garf) et ancien responsable du centre d’expertise SynerForm (l’université d’entreprise du groupe Engie) tire en tout cas la sonnette d’alarme sur les risques que la réforme de la formation fait peser sur le métier. « La réforme va faire entrer les responsables formation dans une logique darwinienne : ceux qui ne s’adapteront pas ne survivront pas. Je n’aimerais pas être à la place de ceux qui s’inscriront dans un refus du changement… » Le péril en la demeure qui pèse sur sa corporation, c’est celui du big bang, c’est-à-dire de la réforme de la formation portée par Muriel Pénicaud et notamment le grand chamboule-tout des contributions des entreprises aux fonds mutualisés de la formation.

La fin du « former ou payer »

Finie l’obligation de « former ou payer » qui prévalait depuis la loi fondatrice de 1971 et pour laquelle les employeurs cotisaient auprès d’un organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) qui faisait office de banque de la formation, répartissant les fonds en fonction des demandes de ses entreprises adhérentes. La précédente réforme, en date du 5 mars 2014, avait déjà rebattu les cartes en supprimant la contribution obligatoire des entreprises de plus de 300 salariés. Celle-ci redescend le seuil de plusieurs crans en ne conservant qu’une cotisation à destination exclusive de celles de moins de 50 salariés. Les plus grandes seront tenues de financer leur plan d’adaptation et de développement des compétences (qui remplace le plan de formation) sur leurs fonds propres ou, éventuellement, en co-construisant des parcours de formation avec le compte personnel de formation (CPF) de leurs salariés, désormais monétisé.

Plus question, non plus, d’arrondir les angles en mobilisant la période de professionnalisation, ce dispositif destiné à faire évoluer professionnellement ou à maintenir dans l’emploi les salariés les moins qualifiés, dont les directions formation se servaient pour compléter discrètement leurs plans. Celle-ci disparaît dès le 1er janvier 2019 au profit d’un nouvel outil (Pro-A) aux ambitions semblables, mais passant, cette fois, par la voie de l’alternance et un encadrement sur l’usage des fonds beaucoup plus strict. Pour certains, c’est une mauvaise affaire. « Je viens de recevoir un courrier d’un directeur formation de Strasbourg : avec la fin de la période de professionnalisation, son budget formation est amputé de 25 % », raconte Sylvain Humeau. « Ces 70 heures annuelles de formation au titre de la période de professionnalisation pouvaient être bien utiles… », reconnaît pour sa part Sébastien Lecat, responsable du développement des compétences de Castorama France.

Faire plus avec moins

Car c’est tout le défi qui se présente aux directeurs et responsables formation : faire plus avec moins, à l’heure où la seule alternative aux baisses de dépenses formation des entreprises constatées depuis la précédente réforme (jusqu’à 30 % selon un responsable d’OPCA) sera de convaincre les salariés de mobiliser leur CPF dans le cadre de parcours co-construits. « Ce sera difficile : la monétisation du compte formation va renforcer le sentiment de propriété des salariés. Ce sera leur argent, sonnant et trébuchant. Pourtant, ils ont tout intérêt à co-investir. Il va falloir leur expliquer qu’avec un CPF à 14,28 euros de l’heure, ils sont perdants par rapport aux actuels abondements OPCA, qui peuvent monter jusqu’à 60 euros dans notre branche. Avec les nouvelles règles, 100 heures de CPF correspondent à presque 1 500 euros, soit à peine les trois quarts d’une journée de formation… », calcule Sébastien Lecat. Lui, cependant ne s’inquiète pas : l’investissement formation de son groupe a doublé en cinq ans pour atteindre 4 % de la masse salariale que pèsent les 13 700 collaborateurs de Castorama France. Et les partenaires sociaux de l’entreprise se disent disposer à négocier un accord sur la coconstruction du CPF entre l’entreprise et les salariés.

En revanche, dans les entreprises où la contribution formation n’était perçue que comme un impôt, la situation est plus tendue. Certains responsables formation se sentent légitimement en danger, faute de pouvoir désormais justifier leurs budgets… et à terme, leur emploi ! « Pour l’instant, il n’y a pas lieu de paniquer, mais attention, nous n’échapperons pas à une réflexion de fond sur notre métier. Il va falloir sortir de la logique d’ingénierie financière qui était trop souvent la nôtre pour réfléchir en termes de marketing interne », prévient Stéphane Diebold, président de l’Association française pour la formation en entreprise et les usages numériques (Affen), un think tank composé de responsables formation. En clair : apprendre à expliquer aux employeurs que la formation constitue un investissement plutôt qu’un coût. « L’exercice aurait été plus facile si la réforme avait été jusqu’au bout et avait permis à la comptabilité des entreprises d’intégrer les dépenses de formation dans les investissements amortissables. Hélas, ce n’est pas le cas », déplore André Perret, ex-DRH de Saint Gobain, reconverti dans le consulting.

Démontrer la valeur ajoutée

Cyril Parlant, avocat spécialiste en droit de la formation au sein du cabinet Fidal, tempère toutefois la catastrophe annoncée : « L’obligation formative formelle a disparu, mais elle a été remplacée par une obligation de développement des compétences. On ne mise plus sur les moyens, mais sur les objectifs. Sans oublier que la contrainte faite aux employeurs de mettre en œuvre au moins une action de formation à destination de leurs salariés tous les six ans est maintenue sous peine de pénalité financière ». À quoi s’ajoute, selon lui, le risque pour les employeurs d’une multiplication des recours aux prud’hommes pour non-respect de l’obligation de maintenir l’employabilité des salariés. Une disposition qui existe dans la jurisprudence depuis 2007. Conclusion, selon le juriste : les entreprises intelligentes ont tout intérêt à ne pas négliger leurs obligations formatives. Et les responsables formation, pour les épauler, vont devoir devenir les meilleurs ambassadeurs de l’intérêt des salariés à se former pour développer leurs compétences et leur employabilité. « On change de métier. Hier, nous étions avant tout des ingénieurs financiers : demain, nous renouerons avec la conception pédagogique, ce qui aurait toujours dû être l’essence de notre métier », annonce Sébastien Lecat.

Mais face à des DAF aux yeux vissés sur leurs bilans financiers, les responsables formation vont devoir mouiller le maillot pour convaincre leurs directions financières d’investir dans d’autres dispositifs que des outils à bas coût. Exercice difficile en l’absence de toute preuve de la valeur ajoutée de la formation, selon André Perret : « 60 % des entreprises n’évaluent pas les résultats de leurs formations. Elles ne peuvent donc pas calculer leur retour sur investissement : tant que les directions formation n’auront pas mis en place des indicateurs pour mesurer les bénéfices de la formation, elles risquent d’avoir du mal à convaincre leurs Codir de dépenser », explique-t-il. Reste un public à séduire : les salariés eux-mêmes et leurs représentants dans les IRP. Cyril Parlant avance une piste de réflexion : « Si les salariés sont réticents à investir de leur CPF, alors les directions devront prendre les frais de formation à leur seule charge… ce qui se traduira par des blocages de salaires. Il est donc urgent pour les IRP d’ouvrir des négociations concernant la mise en œuvre de co-investissements ! » Le jeu peut aussi en valoir la chandelle sur le plan social. « La négociation du plan de développement des compétences peut devenir un outil de renforcement du dialogue social dans les entreprises à condition que les partenaires sociaux se montrent créatifs », lance Stéphane Diebold. À condition aussi que le responsable formation sache mettre en musique les règles de ce dialogue. « C’est à eux de prouver la valeur ajoutée de leur métier. Ils y jouent leur survie », prévient Sylvain Humeau. Sacré challenge.