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Opérateurs de compétences : les grandes manœuvres

Dossier | publié le : 01.09.2018 |

La réforme prévoit la transformation des actuels Organismes paritaires collecteurs agréés en Opérateurs de compétences (OPCO) aux missions étendues sur l’alternance et l’assistance à la politique de formation des branches. En attendant la date butoir du 31 décembre 2018, où tout devra être joué, la reconfiguration du paysage a débuté.

C’était le 11 juin dernier. Les partenaires sociaux de la branche du commerce des fruits et légumes, de l’épicerie et des produits laitiers ont décidé de quitter le giron d’Agefos PME, l’OPCA interprofessionnel auquel le secteur adhérait depuis 2012, pour rejoindre le Forco, celui du commerce et de la distribution. Anecdotique ? Loin de là. Ce virement de bord de la part de la branche démontre que les grandes manœuvres ont débuté en prévision de la transformation des actuels OPCA en futurs opérateurs de compétences, comme l’exige la réforme. Quelques jours auparavant, le 5 juin, c’est l’Anfa, l’OPCA des services automobiles, qui ouvrait le bal en déposant officiellement sa demande d’agrément en tant qu’OPCO auprès des pouvoirs publics, en conservant le même périmètre économique qu’auparavant. Pourquoi cette hâte ? « L’objectif des partenaires sociaux de l’Anfa est de passer un message fort aux entreprises adhérentes : l’OPCA est dès à présent organisé pour continuer à travailler à leur service au moment où les besoins du secteur en formation sont énormes », répond Patrice Omnès, son délégué général. En coulisses, on murmure une autre explication : la peur de l’Anfa de se faire absorber par OPCAIM, l’OPCA de la métallurgie. « L’Anfa a raison d’avoir peur puisque la majorité de ses branches est couverte par la même convention collective que celle de la métallurgie. Le rapprochement serait cohérent », analyse un connaisseur du dossier. Opcaim ne cache d’ailleurs pas ses appétits : « La question de l’élargissement de notre périmètre se pose. Nous ne serions pas opposés à l’idée d’un grand opérateur de compétences étendu à tout le secteur de l’industrie », explique Fabrice Nicoud, le président (CFE-CGC) de l’OPCA.

Nouvelles missions

Une précédente réforme (celle du 24 novembre 2009), avait déjà sensiblement réduit le nombre d’OPCA. De 65, ils étaient passés à 20 après deux années d’une intense restructuration au terme desquels les organismes avaient fusionné bon gré, mal gré. Le critère de rapprochement de l’époque avait été le bénéfice de la collecte des fonds de la formation auprès des entreprises. Un seuil minimal de 100 millions annuels devait être atteint pour pouvoir prétendre à demander l’agrément en tant qu’OPCA. Aujourd’hui, cependant, le temps n’est plus à la rationalisation du nombre de collecteurs, mais à une redéfinition complète de leur activité puisque la réforme du 1er août 2018 évacue ce qui constituait leur ADN historique (la collecte, la mutualisation et la redistribution des fonds du plan de formation des entreprises) au profit de nouvelles missions : le financement « au contrat » des centres de formation d’apprentis (CFA), l’appui aux branches dans la co-construction des diplômes accessibles par l’alternance et la formation professionnelle et le conseil de proximité aux entreprises. Seuls reliquats de leur activité passée : les OPCO continueront à assurer la gestion du plan de formation des PME de moins de 50 salariés et à leur servir de chaperon sur leurs politiques de formation. « La perte de la collecte n’est pas grave en tant que telle. Mais l’exercice avait le mérite de constituer notre porte d’entrée vers les TPE et PME pour les conseiller sur l’évolution de leurs compétences », regrette Joël Ruiz, directeur général d’Agefos-PME, l’un des deux OPCA interprofessionnels (avec Opcalia).

La grande nouveauté pour ces nouveaux organismes sera la gestion des fonds de l’alternance qu’elles prendront en charge au nom de leurs branches. Et notamment de l’apprentissage qui relevait jusqu’alors des conseils régionaux. Si ce nouveau paradigme permettra, de l’aveu de plusieurs dirigeants d’OPCA, d’augmenter sensiblement les fonds gérés par les opérateurs de compétences (passant de 6,7 milliards à 9 ou 10 au plan national), il les contraindra cependant à imaginer de nouveaux partenariats avec les Régions et à revoir leurs politiques en matière d’alternance. « Auparavant, OPCA et OCTA pouvaient prioriser certaines formations en apprentissage. Demain, ils seront tenus de financer tout contrat signé, qu’importe qu’il s’agisse d’un CFA de branche ou d’un autre. Demain, les OPCO devront aussi financer les contrats « interprofessionnels », ceux qui mènent à des diplômes transverses à plusieurs branches. Dans certaines d’entre elles, la moitié des fonds « apprentissage » pourrait partir aux CFA interpros… », annonce Ambroise Bouteille, consultant en politiques de formation. Belles migraines en perspective pour réguler tout ça, d’autant que la manière dont France Compétences, la future agence nationale chargée de piloter les politiques de formation, procédera à la péréquation des fonds entre OPCO n’est pas encore connue.

« Filières économiquement cohérentes »

En attendant l’agrément des futurs Opérateurs de compétences programmé le 31 décembre 2018, le mercato des OPCA et des branches bat son plein. En grande partie à l’aveuglette, car le seuil minimal de collecte à partir duquel l’agrément sera accordé ne sera défini par décret que… « très prochainement », à en croire le ministère du Travail. Et le rapport Marx-Bagorski chargé d’établir les règles du jeu, initialement prévu pour le début de l’été n’a finalement été remis que le 31 août. Dans le flou, branches et OPCA s’en sont donc tenus aux déclarations initiales de Muriel Pénicaud pour planifier leurs grandes manœuvres : à savoir un nombre final d’OPCO compris dans une fourchette de 10 à 15. Et selon ce scénario, les plus petits collecteurs et gestionnaires de fonds sont en première ligne pour fusionner ou être absorbés par de plus gros poissons. Parmi les plus menacés : OPCA 3+ (bois et matériaux de construction, d’ores et déjà tenté par un rapprochement avec OPCA Défi, son homologue des industries chimiques, pharmaceutiques et plasturgiques), le Fafih (hôtellerie-restauration), l’Anfa, l’Afdas (culture et communication), Opcalim (agroalimentaire) ou encore Intergros (grossistes). Sachant que les OPCO devront demain embrasser « une logique de filière économique cohérente », les possibilités de rapprochement sont nombreuses… : « On ne peut pas mettre n’importe quoi dans les filières. Mon entreprise travaille dans la menuiserie, donc le bois. Mais pour autant, ai-je une activité commune avec l’emballage ou l’exploitation forestière qui en relèvent aussi ? Bien sûr que non », détaille François Asselin, président de la CPME.

Pendant ce temps, les appétits s’aiguisent : le Cinov (fédération des activités intellectuelles, de conseil et du numérique) et le Syntec (informatique, ingénierie, bureaux d’études) ont donné carte blanche à leur OPCA, le Fafiec, pour se muer en « OPCO des professions de service à forte valeur ajoutée ». Qui pourrait lorgner vers d’autres branches. Celle de la pub, par exemple ? Pas question ! répondent ses dirigeants qui ont préventivement adressé un courrier à la ministre du Travail pour lui faire savoir qu’ils souhaitaient demeurer dans le giron de l’Afdas.

Et dans ce paysage mouvant, d’autres acteurs cherchent d’ailleurs à s’imposer, à commencer par les artisans et professionnels libéraux de l’U2P qui viennent d’entamer une négociation avec leurs syndicats pour bâtir un nouvel OPCO interprofessionnel à partir d’Actalians (professions libérales et hospitalisation privée, mais qui pourrait perdre cette dernière). Encore faudra-t-il que les artisans du bâtiment de la Capeb acceptent de quitter Constructys, l’OPCA du BTP, ce qu’ils n’ont pas l’intention de faire pour l’instant vu le poids qui est le leur dans l’organisme. L’économie sociale et solidaire (ESS) est aussi sur les rangs puisqu’elle a lancé le processus de fusion de ses deux OPCA, Uniformation (secteur associatif et mutualiste) et Unifaf (social et médico-social non lucratif) en vue d’un « opérateur de la cohésion sociale, de la santé et de l’autonomie ». La reconfiguration du paysage des opérateurs de compétences s’annonce sportive.

Joël Ruiz, directeur général d’Agefos PME
« Notre métier devient la gestion du multi-financement »

Quel avenir pour les deux OPCA interprofessionnels dans un paysage rénové où les « OPCO » devront s’organiser selon les logiques de filières ?

Durant l’examen parlementaire, la notion de « filières » a été remplacée par celle de « secteurs ». Ce qui est plus cohérent car en droit, la « filière » reste une inconnue juridique. Toutefois, l’interpro (Agefos PME et Opcalia) échappe à cette exigence puisque nous ne sommes pas assujettis à la notion de « cohérence de champ ». Pour autant, Agefos-PME compte dans ses adhérents des branches qui « font secteur », comme les industries gazières, par exemple. Dans le même temps se pose la question de la cohérence du champ des OPCA de branches, car elle suppose une présence territoriale que certains n’ont pas, mais aussi l’éclatement de secteurs entre plusieurs OPCA. C’est le cas de la banque (partagée entre l’interpro, Opcabaia ou le Fafsea pour le Crédit Agricole) ou de l’agriculture (la branche du machinisme agricole adhère à Agefos-PME).

La transformation d’OPCA en OPCO est-elle synonyme de changement de métier ?

Pas vraiment. Agefos PME s’était réorganisée depuis longtemps autour de la question de service aux entreprises. De plus, rien ne nous interdit de collecter les contributions conventionnelles des branches ou volontaires des entreprises. Mais dans les faits, quatre missions nouvelles nous sont attribuées : la gestion administrative et financière des contrats d’apprentissage qui rejoignent de plus en plus ceux de professionnalisation, un rôle de gestion des observatoires des branches pour armer leurs politiques GPEC, l’animation des politiques de branches sur la construction des titres, diplômes et CQP et l’accompagnement des organismes de formation sur le terrain, notamment des CFA. Notre métier devient la gestion du multi-financement.