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Le big bang et après ?

Dossier | publié le : 01.09.2018 | Benjamin d’Alguerre

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Le big bang et après ?

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Presque une année de négociations et de travail parlementaire aura été nécessaire à l’accouchement, le 1er août dernier, du big bang de la formation promis par Muriel Pénicaud. Si le Gouvernement vante surtout l’individualisation des droits et la désintermédiation de l’accès à la formation, la vraie révolution consiste surtout en un nouveau fléchage des fonds vers les politiques de l’emploi. Que reste-t-il aux autres ?

« Et bien voilà. Ça y est. Ils ont tout cassé ! », soupire ce syndicaliste, résigné. « Enfin, ça aurait pu être pire : dans son bouquin de campagne1, Macron parlait carrément de tout nationaliser. Ce n’est pas le cas… même si on n’en est pas loin ! » Ce qui est « cassé », à en croire ce responsable syndical en charge des dossiers sociaux pour sa confédération, c’est le système de formation professionnelle des salariés fondé par la loi Delors de 1971. Un système basé sur le principe d’un triptyque collecte-mutualisation-redistribution des fonds des entreprises à la main des partenaires sociaux, pour y substituer un nouveau paradigme « personnalisé et désintermédié », reposant sur le libre choix des individus. « Il s’agit non d’une réforme de tuyauterie, mais d’une réforme s’inscrivant dans le long terme et ayant pour but de bouleverser en profondeur les structures de la formation professionnelle », analyse Jean-Marie Luttringer, consultant et expert en droit de la formation. Ce que confirme d’ailleurs Muriel Pénicaud : « Nous avions eu une loi formidable en 1971. Le système français constituait alors un marqueur pour les autres pays. Mais aujourd’hui, nous sommes en retard sur les autres membres de l’OCDE alors que la bataille des compétences fait rage », explique la promotrice du « big bang » de la formation.

« Cette réforme, c’est un pari », expliquait Antoine Foucher, son directeur de cabinet, voici quelques mois aux dirigeants des OPCA réunis rue de Grenelle. Pari ? Le terme utilisé par l’ancien directeur des affaires sociales du Medef avait alors fait tiquer les intéressés. « Parce qu’un pari, on peut le perdre… », confie aujourd’hui l’un d’eux. Pourtant, l’évolution du système vers davantage d’individualisations des droits était prévisible, assure Sabrina Dougados, avocate au sein du cabinet Fromont-Briens : « On reste dans une continuité historique : la réforme de 2003 a accouché du droit individuel à la formation (DIF) ; celle de 2009, du DIF portable ; celle de 2013, du CPF… », énumère-t-elle. Si le compte personnel de formation a effectivement vu le jour en 2013, les partenaires sociaux avaient choisi, à l’époque, de le comptabiliser en heures de formation plutôt qu’en euros. L’actuelle réforme corrige le tir. Et ce changement de braquet est tout sauf anodin, affirme Bertrand Martinot, senior fellow de l’Institut Montaigne : « La monétisation du CPF n’est pas qu’une mesure technique : elle atténue la mainmise des branches professionnelles sur les prix de la formation », explique-t-il. Dans une note du think tank, publiée en janvier 20172 celui-ci plaisait déjà pour la valorisation en euros pour aider le dispositif à décoller. De facto, selon les conclusions d’une étude de la Dares de juillet 2018, les abondements au CPF accessibles en fonction des OPCA de rattachement des salariés pouvaient varier de 9 à 80 euros l’heure de formation.

Appli smartphone et CPF en euros

Cette monétisation du CPF – à raison de 500 euros par an pendant dix ans (800 pour les moins diplômés) jusqu’à des plafonds de 5 000 ou 8 000 euros – constitue justement la pierre angulaire de la réforme telle que présentée par Muriel Pénicaud. Le ministère ne craint pas de présenter cette valorisation comme un coup de pression psychologique sur les individus afin de les inciter à s’emparer de « leur » CPF, là où l’ancien calcul horaire n’avait donné que des résultats mitigés. Pour preuve : en janvier 2018, le site CPF de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) n’enregistrait que 5 millions de comptes ouverts sur les 30 millions d’actifs du pays. Quant aux dossiers de formation réellement engagés, ils ne s’élevaient qu’à quelque 300 000 : pour moitié des demandeurs d’emploi « incités » par Pôle Emploi à mobiliser leur compte. « Le principe d’universalité du CPF s’est rapidement heurté aux mécanismes concrets de financements de la formation professionnelle continue construite « en silos », dans lequel le compte personnel de formation a été intégré », observe la Dares.

C’est justement la volonté de détruire cette logique de silo qui a poussé le Gouvernement à imaginer un CPF monétisé accessible via une application smartphone, opérationnelle en juillet 2019, à partir de laquelle tout un chacun pourra mobiliser son compte, choisir son organisme de formation et le payer « en trois clics », selon les vœux de la ministre. Cette volonté de simplifier l’accès au dispositif aura une autre conséquence : la disparition des listes des certifications éligibles au CPF élaborées depuis 2015 par les partenaires sociaux du Copanef. Demain, tout organisme de formation accrédité par le Comité français d’accréditation (Cofrac) pourra proposer ses formations via l’appli. Dommages collatéraux : la jungle des labels qualité, censés prouver la bonne foi des prestataires de formation, devrait disparaître. De même que le « DataDock », cet annuaire tenu par les Opca recensant les organismes pouvant démontrer du respect de vingt-et-un critères de qualité. Simplification générale, donc, même si de nombreux doutes subsistent quant à la capacité du grand public à se convertir massivement à l’usage de l’appli.

Priorité à la lutte contre le chômage

Plus problématiques, en revanche, risquent d’être les conséquences de la disparition du CIF, ce congé individuel de formation grâce auquel les salariés pouvaient espérer faire financer une reconversion professionnelle. Aujourd’hui géré par des organismes à la main des partenaires sociaux (Fongecif et Opacif), il doit disparaître au profit d’un « CPF de transition », confié à de futures commissions paritaires interprofessionnelles régionales (CPIR). Si les organisations syndicales et patronales sont parvenues à sauver la gestion paritaire du dispositif, l’emploi des quelque 1 000 salariés des organismes amenés à disparaître risque d’en pâtir. Le plus lourd tribut social risque d’être payé par les Fongecif qui perdent, en outre, la gestion du Conseil en évolution professionnel (CEP). Ce service destiné à accompagner les salariés en désir de reconversion que, demain, des opérateurs (publics comme privés) pourront délivrer pour peu qu’ils répondent à des appels d’offres régionaux passés par France Compétences, la future agence quadripartite (État – Régions – partenaires sociaux) qui naîtra de la fusion des actuels Cnefop, Copanef, RNCP et FPSPP et sera chargée de chapeauter le nouvel écosystème de la formation.

Individualisation des droits, appli mobile… selon Joël Ruiz, directeur général d’Agefos PME, ce que le Gouvernement présente comme le moteur de la réforme n’en est que la carrosserie. La véritable nouveauté est à chercher sous le capot : « Le vrai big bang, c’est le fléchage d’une majorité des fonds de la formation vers les politiques de l’emploi, notamment pour lutter contre le chômage des jeunes et réussir la transition numérique des entreprises » explique-t-il. Illustration pratique avec la nouvelle grille de répartition des contributions formation et alternance des employeurs qui seront prélevées par les Urssaf dès 2021. Sur les 1,68 % de la masse salariale des entreprises de plus de onze salariés (1,23 % en deçà), la part susceptible de revenir dans la poche des employeurs au titre de la mutualisation du plan de formation des entreprises ne devrait pas excéder 0,1 % ou 0,2 % du total (le montant exact fera l’objet d’un futur décret). Et encore ne concernera-t-il que les boîtes de moins de 50 salariés ! Charge aux autres de financer la formation des leurs sur leurs fonds propres ou via des co-constructions financières réalisées à partir du CPF monétarisé de leurs collaborateurs. Pour le reste, la part du lion des contributions sera orientée vers l’alternance (0,68 %, désormais aux mains des branches professionnelles via les OPCO) ou vers le PIC, ce « plan d’investissement dans les compétences » budgété à 15 millions d’euros sur la durée du quinquennat et destiné à former 1 million de chômeurs longue durée et autant de jeunes sans emploi aux métiers en tension, aux emplois « verts » ou liés à la transition numérique. Son financement devrait reposer sur une part d’au moins 0,3 % des contributions, si l’on s’en tient au fléchage imaginé par les partenaires sociaux lors de la négociation de l’ANI du 22 février, mais qu’il appartiendra à un autre décret de venir préciser.

Quant à la fraction dévolue au financement du CPF des actifs, elle fera, elle aussi l’objet d’un décret, mais devrait, toujours selon les clés de répartition de l’ANI, osciller autour de 0,2 % des contributions. Insuffisant pour imaginer un recours massif à ce dispositif, selon Jean-Marie Luttringer. « La question est de savoir ce que cette ressource permet d’acheter. À l’évidence, elle ne sera pas suffisante. Très logiquement, on ira vers du co-investissement, c’est-à-dire une contribution beaucoup plus importante des ménages au financement de leur propre formation. Aujourd’hui, en France, cette contribution s’élève à 1,5 milliard d’euros contre 15 ou 16 en Allemagne », estime-t-il. La Fédération française de la formation professionnelle (FFP) s’inscrit dans la même logique en demandant au Gouvernement l’instauration d’une ristourne fiscale pour les acheteurs de formation. Inciter les actifs à mettre la main à la poche pour se former… et si c’était ça, à terme, le véritable enjeu de la réforme ?

Arnaud Portanelli, cofondateur de Lingueo
« Le marché de la formation n’est pas configuré pour une guerre des prix »

Qu’est-ce que la réforme va changer pour l’offre de formation ?

Elle va connaître une modification radicale. Le vrai changement qu’apporte la réforme, c’est la monétisation du CPF. Elle va permettre au marché de connaître les prix réels d’une action de formation, ce qui n’avait jamais été le cas jusqu’à présent, puisque les prix étaient largement déterminés en fonction du mode de prise en charge financière des individus. Preuve que les organismes de formation (OF) n’avaient jamais réfléchi à cette question du juste prix : je suis aujourd’hui incapable de déterminer quel type de formation on peut s’offrir avec 500 euros !

Vous prédisez une future « guerre de l’offre » entre organismes de formation ?

Bien sûr ! Dès la mise en place de la monétisation prévue pour janvier 2019, les OF vont baisser leurs tarifs pour pratiquer des prix plus attrayants. Avant, les individus ne s’en souciaient pas, mais maintenant que ça va devenir « leur » argent, les prestataires vont devoir calculer leurs tarifs à l’euro près. Ça risque d’être sanglant car le marché n’est pas configuré pour une « guerre des prix ». On va peut-être voir apparaître de nouveaux acteurs qui colleront leur offre au tarif CPF sans souci de la qualité.

L’appli par laquelle tout un chacun choisira sa formation « en trois clics », vous y croyez ?

J’ai envie d’y croire, mais l’appli risque de faire un flop si elle n’est pas pensée en termes de « service utilisateur ». Or l’actuel site de la Caisse des dépôts ne l’est pas puisqu’il est conçu en fonction des certifications accessibles et pas des formations. Existe-t-il d’ailleurs une base de données de l’offre de formation à interfacer avec l’appli ? Il y a bien celle des Carif, mais elle n’est pas adaptée à un CPF monétisé. Bref, ça risque d’être difficile. Le pire à mon avis serait de mettre en ligne en juillet 2019 une appli « 1.0 » qui ne fonctionnerait pas ou mal en attendant une update. Rien de mieux pour faire fuir le public et ne jamais le ramener…

(1) Révolution, XO Éditions.

(2) Un capital emploi-formation pour tous, co-écrite avec Estelle Sauvat ex-Haute commissaire à la transformation des compétences.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre