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Voyage au terroir du plein-emploi

Décodages | publié le : 01.09.2018 | Dominique Pérez

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Voyage au terroir du plein-emploi

Crédit photo Dominique Pérez

Vertigineux ! Le taux de chômage des Herbiers, au cœur du bocage vendéen, ne cesse de baisser, pour atteindre 4, 3 % de la population. Elle a ainsi dépassé la commune francilienne d’Houdan jusqu’alors détentrice du plus bas taux de chômage en France. Reportage au pays du plein-emploi.

Ici, dans le centre-ville, les commerces n’ont pas disparu au profit des grandes surfaces. En ce mois de juin, la ville pavoise encore, et les calicots des supporters de l’équipe de foot locale voisinent avec les banderoles « On recrute » qui interpellent les candidats potentiels aux façades des entreprises et de ses… 17 agences d’intérim. Les Herbiers, 18 000 habitants, au cœur du haut bocage vendéen, est le contraire d’une ville morte. Elle cumule même les bons points sur différents tableaux. Second bassin d’emploi français au chapitre du dynamisme économique, elle bénéficie de l’attractivité touristique du Puy du Fou, situé à 15 minutes, et s’enorgueillit de la performance exceptionnelle du Vendée les Herbiers Football (VHF), le club parvenu en finale de la Coupe de France en mai 2018 contre le prestigieux PSG. Mais la plus grande fierté de la commune se concentre, à n’en pas douter… sur ses entreprises. La commune vit depuis des années un petit miracle économique qui lui a valu, en juin dernier, la visite d’Emmanuel Macron, venu y rencontrer une soixantaine de chefs d’entreprise, dont, bien entendu, les fleurons du territoire (voir encadré). Les réponses des entrepreneurs et des élus à la question : « Comment faites-vous ? » montrent que le système herbretais est difficilement reproductible en l’état. Pour expliquer ce dynamisme économique exceptionnel, on n’hésite en effet jamais à faire référence à l’histoire, qui aurait forgé une génération d’entrepreneurs durs à la tâche, qui ne doivent leur prospérité qu’à eux-mêmes. Discours porté haut et fort par sa première édile, la maire Véronique Besse. « La Vendée a été anéantie, humiliée pendant des décennies et “montrée en exemple” comme un département en retard sur les autres. Et pourtant, elle s’est reconstruite. Cette volonté de vivre est chevillée au corps. Et va de pair avec un sens aigu de l’autonomie. Les Vendéens savent qu’ils ne doivent pas attendre tout de l’État ou d’une entité extérieure. Ils savent que seule leur volonté leur permet d’aller de l’avant. La seule chose qu’ils attendent des autres, d’ailleurs, c’est d’avoir cette liberté d’entreprendre. » Des fleurons industriels, la commune des Herbiers et alentours en compte beaucoup. Jeanneau, Groupe Briand, Concept Alu… autant d’entreprises familiales « parties de rien, poursuit la maire. D’un garage, d’une grange, d’un sous-sol… Les entrepreneurs des années soixante et soixante-dix ont tout risqué pour se lancer (en hypothéquant leur maison par exemple…). Les chefs d’entreprise vendéens savent que sans risques, il n’y a pas de réussite possible. » C’est dit.

Une pénurie criante.

Pourtant, la question, brûlante, se pose aujourd’hui : le système aurait-il atteint ses limites ? Tout n’est en effet pas rose au pays du plein-emploi. La pénurie de main-d’œuvre, qui dans certains domaines impacte tout le territoire national, est ici une source d’inquiétude montante. « On est bien conscients d’avoir des soucis de riches, sourit Éric Grignon, patron de l’agence locale de Leroy Logistique, et président de l’association des entreprises de la commune, les Herbiers entreprise, qui regroupe 130 entrepreneurs de la communauté de communes. Depuis quatre ou cinq ans, beaucoup d’entreprises font en moyenne 10 à 12 % de chiffre d’affaires en plus… mais certaines entreprises doivent renoncer aujourd’hui à s’installer sur le territoire ou à s’étendre faute de pouvoir recruter. » La Boulangère par exemple, spécialiste de la boulangerie et viennoiserie emballée, a choisi d’installer sa septième usine de production à La Chaize-le-Vicomte, à cinquante kilomètres des Herbiers, notamment dans l’espoir d’y trouver plus aisément de la main-d’œuvre. Pas tout à fait une délocalisation, peu à l’ordre du jour pour ces entrepreneurs attachés au terroir vendéen, mais un signe… « Toutes les entreprises souhaitent recruter, résume Alain Soullard, directeur de l’agence Pôle emploi. Chaque artisan a besoin, par exemple, d’au moins un salarié. » Les entreprises les plus petites, plus fragiles, semblent particulièrement en danger. Une PME, spécialisée dans la mécanique automobile, a fermé ses portes dernièrement. « Elle fonctionnait très bien, déplore Éric Grignon. Mais sur les quatre mécaniciens, deux sont partis. Le patron a dû vendre. Solidarité entre entreprises et situation pénurique de compétences jouent à plein. Ici, quand une entreprise ferme, le reclassement rapide est quasiment assuré. « Quand Multilap, un abattoir de lapins, a fermé ses portes en 2017, les salariés ont été réembauchés par des entreprises locales, explique Alain Soullard. Quand un pan d’une activité s’effondre, comme ce fut le cas avec les abattoirs, d’autres prennent le relais. »

La formation, la solution ?

Dans ce contexte régional, où le secteur industriel en particulier se bat pour attirer des diplômés professionnels dans des métiers en hypertension comme la soudure ou la maintenance, la question de la formation initiale qui ne fournirait pas assez de jeunes qualifiés à l’économie locale ne semble pas se poser. La proximité de la Roche-sur-Yon et même de Nantes, la présence des maisons familiales rurales et du lycée professionnel Jean Monnet, qui offre une majorité de formations industrielles, semblent répondre à la demande. « Les jeunes ne rencontrent pas de difficultés à se former sur le territoire, confirme Anne Nanet, directrice d’agence Manpower des Herbiers. Mais chaque organisme a tendance à faire sa propre communication, et on n’a pas vraiment de vision globale de l’offre. Le comité local école entreprise (Clee) a cependant renforcé ses activités, en organisant des visites d’entreprises par exemple. » Sur certaines activités spécifiques, qui nécessitent expérience et/ou qualification pointue, les plus grandes entreprises forment uniquement en interne. « C’est le cas par exemple du secteur des composites, pour lequel il y a très peu de formations internes », explique Isabelle Decroocq, responsable ressources humaines de Jeanneau, constructeur de bateaux à moteur et de voiliers né aux Herbiers. Alors, l’heure est à l’introduction de profils nouveaux. « Dans notre école interne, nous formons en particulier des personnes qui n’ont pas de compétences techniques particulières à la base, mais sont en capacité d’apprendre. »

Former les chômeurs du territoire.

Sur le terrain, la mission principale de Pôle emploi est très claire : adapter les compétences des demandeurs d’emploi actuellement en recherche sur le territoire. Ils étaient 2 200 chômeurs de catégorie A (sans activité pendant le mois) en juin 2018. Pour Laurent Soullard, directeur de l’agence, l’accent doit être mis sur la reconversion, et la lutte contre « une certaine suspicion des employeurs vis-à-vis de personnes sans emploi sur ce secteur où tout le monde, en théorie, peut trouver du travail. » Un travail de conviction de part et d’autre, qui passe par différents dispositifs. Immersion dans les entreprises pour y découvrir les métiers proposés, recrutement par simulation, notamment chez K-line, qui fabrique des fenêtres industrielles et reste la première entreprise du secteur, (150 personnes y ont passé les tests de simulation, pour 17 recrutements effectifs), ou La Boulangère… mise en place de formations notamment par le dispositif de la préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC)… « Depuis 2016, entre 560 et 600 demandeurs d’emploi sont entrés en formation », résume Alain Soullard. Les organismes de formation locaux sont mis à contribution pour imaginer des parcours collectifs, souvent sur mesure. « Les besoins sont de plus en plus importants, notamment en conducteurs de lignes et maintenance, explique Laurence Adrien, conseillère en formation continue au Greta de Vendée. Nous ratissons tous assez large sur les profils, et utilisons beaucoup Le Bon Coin pour identifier des personnes susceptibles d’être intéressées par une reconversion. Même s’il faut encore combattre certains préjugés : un “soudeur” se dit plus facilement qu’une “soudeuse”… Pour Alain Soullard, la formule est souvent gagnante : il y a 70 % de reclassements au bout de six mois », constate-t-il. Exemple chez « Chic et style », société de confection travaillant pour des marques de haute couture, employant 44 salariés et recrutant deux à trois salarié(e)s par an. La recherche de compétences en couture, particulièrement de monitrices en confection, ou piqueuses, ouvrières qualifiées devenues des perles rares avec la crise de l’industrie textile, est maintenant très ardue. Même si la diversification des profils est à l’ordre du jour, ce sont des femmes qui continuent de se former au sein de l’atelier, les candidatures masculines n’étant pas légion. Elles sont douze, encadrées par une formatrice externe, dans le cadre d’une POEC, financée par l’organisme collecteur Opcalia, qui « leur apprend les bases, explique Jean-François Girault, PDG. Notre métier demande de la régularité, de la polyvalence également, car nous travaillons tous types de textiles, naturels ou synthétiques, du coton naturel aux étoffes précieuses. Les femmes en reconversion qui se préparent ici à nos métiers ont tous types de profils. Elles peuvent avoir des bac professionnels ou des BTS dans un tout autre domaine ». Un peu plus loin sur la même zone d’activités, même problématique pour Jeanneau, marque du groupe Bénéteau depuis 1995, groupe engagé en 2017 dans un plan de recrutement de 500 postes sur ses différents sites, dont 330 en Vendée. Et qui avait, en fin d’année 2018, couvert un tiers de ses besoins. « C’est un problème que l’on pourrait qualifier de positif, tempère Isabelle Decroocq. Les entreprises du territoire se portent bien, le chiffre d’affaires est en hausse, mais cela nous oblige à nous remettre en question sur nos modes de recrutement, d’aller chercher les candidats, en communiquant sur les médias, nationaux et locaux, en allant sur les Salons de l’emploi, mais également professionnels pour communiquer sur nos métiers… à utiliser les réseaux sociaux… La performance de l’équipe des Herbiers en Coupe de France nous a également amené quelques candidats… et a été très porteuse pour l’image de la commune. »

Des freins à lever.

Cependant, la formation, si elle a le double avantage de faire baisser le taux de chômage et de permettre de recruter localement, n’est pas la seule réponse à apporter pour une commune qui a des atouts, mais également les défauts de ses qualités. Fière de son dynamisme économique, elle a acquis peu à peu une image de marque assez enviable au premier abord, susceptible d’attirer vers elle des compétences venues d’autres territoires. C’était l’un des objectifs du premier Salon de l’emploi organisé en mars 2018, qui a rencontré un succès dont tout le monde se glorifie encore. Une réussite ? Certes. « Le bilan de cette journée est très positif et l’événement sera très certainement reprogrammé à l’avenir. En effet, l’objectif initial était d’au moins 50 entreprises présentes et 1 000 visiteurs. Il y a eu pas moins de 70 entreprises présentes, 1 000 emplois à pourvoir et 6 000 visiteurs venus de toute la France. », constate la maire. Mais quid des recrutements effectifs ? Difficiles à évaluer. « Les employeurs n’ont pas tous eu la réactivité nécessaire pour répondre aux candidats, souligne un observateur. Il leur faudra changer leurs process de recrutement et prendre conscience qu’ils vont devoir s’adapter aux candidats et non l’inverse, que les temps ont changé. » Si la communication de la ville et la marque employeur des entreprises se développent autour du dynamisme de la ville (400 associations sportives et culturelles…), pour attirer des candidats et les fidéliser sur le territoire, des obstacles restent à lever. La question salariale d’abord, souvent évoquée du bout des lèvres ou comme un faux problème, ne serait pas, et c’est un euphémisme, la source d’attraction principale des entreprises du cru. Les rémunérations proposées seraient en moyenne de 15 à 20 % moins élevés qu’au niveau national pour des postes équivalents… Les propositions salariales surprennent voire découragent des candidats pourtant volontaires pour une mobilité dans la région, malgré des politiques de primes et d’intéressement considérées comme avantageuses… « Les entreprises vous disent qu’historiquement, elles proposent beaucoup d’avantages aux salariés, qu’il y a une véritable politique sociale, explique la directrice de l’agence Manpower. C’est vrai. Il est vrai aussi qu’il est difficile ou impossible de prévoir des augmentations de salaires de l’ensemble des salariés, au nom de l’égalité. » Autre difficulté : le logement, qui lui aussi tend à devenir pénurique… « La Ville travaille cette problématique car celle-ci est intrinsèquement liée au problème du recrutement, souligne la maire. Il est nécessaire de pouvoir offrir une diversité de logements qui réponde aux besoins de tous les salariés, notamment ceux qui souhaiteraient venir s’installer aux Herbiers. » Un travail de longue haleine, pour répondre à une urgence réelle. Et pendant ce temps, la courbe du chômage continue de baisser…

Des besoins d’emploi dans tous les secteurs

Les quelque 2 000 entreprises présentes sur la communauté de commune des Herbiers représentent un tissu économique diversifié. 5 533 projets de recrutements était enregistré en 2018, dont près de 70 % étaient jugés difficiles. L’industrie arrive en tête, avec 82,3 % de recrutements problématiques, suivi de la construction (80 %) et du commerce (68,5 %). Parmi les métiers les plus recherchés, les ouvriers non qualifiés de l’industrie agroalimentaire, les ouvriers non qualifiés du gros œuvre (bâtiment), les aides à domicile, les soudeurs, les ouvriers de maintenance… et les ouvriers et techniciens de la métallurgie (moulistes, usineurs…).

Source : enquête BMO 2018.

Auteur

  • Dominique Pérez