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Jean Wemaëre, la statue du Commandeur

Décodages | publié le : 01.09.2018 | Dominique Pérez

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Jean Wemaëre, la statue du Commandeur

Crédit photo Dominique Pérez

Personnage balzacien, Jean Wemaëre, n’en est pas moins un homme de son temps : un des inspirateurs de la réforme de la formation a su pendant trente ans jouer de son relationnel et de son sens stratégique pour dépoussiérer le secteur de la formation. À marche forcée…

Toujours tiré à quatre épingles, Jean Wemaëre affiche à 72 ans une grande sérénité. Celle d’un homme qui a le sentiment du devoir accompli, au moment où il transmet les rênes de la Fédération de la formation professionnelle (FFP) à Pierre Courbebaisse, le dirigeant du groupe AFEC : « Je l’ai dirigé pendant sept septennats ! », lance-t-il, avec un air de fausse lassitude. Vingt-sept années où, sous sa férule, le secteur s’est structuré, développé et a appris à s’adapter dans un environnement agité : éclatement de la bulle Internet, crise économique, adaptation permanente des compétences et montée en puissance des soft skills, digitalisation, big data et intelligence artificielle… Rien n’aura été épargné au capitaine.

Un nombre croissant d’adhérents.

L’organisation patronale, affiliée au Medef, a tenu bon et a installé sa légitimité. Le nombre d’adhérents n’a cessé de croître. Une trentaine de nouvelles demandes sont enregistrées chaque année. Les candidats sont attirés par l’opportunité d’être accompagné par la FFP pour obtenir la certification de l’OPQF. Créée en 1994, à l’initiative de la FFP et du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, elle est la garante de la qualité de leur offre. Un atout non négligeable dans un contexte concurrentiel où le chiffre d’une trentaine de millions d’euros, dépensés pour la formation continue, est régulièrement jeté en pâture à l’opinion publique pour mettre en avant l’inefficacité d’un système ne profitant qu’à 36 % des salariés contre 56 % en Allemagne et plus de 70 % dans les pays du Nord. « Notre Graal reste cependant d’avoir obtenu non seulement la reconnaissance des pouvoirs publics mais la participation d’un de leurs représentants à nos assemblées générales », mentionne Marie-Christine Soroko, la très fidèle secrétaire générale de la fédération qui, pendant vingt ans, de sa création à 2011, a constitué un duo de choc avec Jean Wemaëre. « À lui la stratégie, à moi le déploiement », résume-t-elle.

Le sens des rapports sociaux.

Mais le combat dont Jean Wemaëre est le plus fier c’est d’avoir imprimé sa marque dans la rédaction de la future réforme de la formation professionnelle, actuellement en discussion au parlement. « Je l’ai beaucoup inspiré », reconnaît l’intéressé. Peu disert sur les discussions avec la ministre du Travail et son cabinet, il glisse au détour d’une phrase : « Muriel, je l’ai connue quand elle était au cabinet de Martine Aubry. » L’ancien jeune giscardien, attaché parlementaire du député de l’Yonne Jean-Pierre Soisson, entre 1968 et 1970, n’a jamais cessé de cultiver des affinités éclectiques au sein des Gouvernements successifs. Un coup à droite, un coup à gauche, il rend un hommage appuyé à Gérard Larcher tout comme à Arnaud Montebourg avec lesquels il a débattu et croisé le fer.

L’homme qui parle à l’oreille des puissants « a surtout le sens des rapports sociaux. C’est une de ses principales qualités, comme sa fermeté et sa diplomatie », observe Guillaume Huot membre du board de Cegos, l’organisme rival de Demos, et vice-président de la FFP. À en croire les protagonistes, la hache de guerre est enterrée depuis des lustres… « En 2005, nous avions même envisagé de fusionner ! », confie Jean Wemaëre. De quoi aurait accouché le mariage de la carpe et du lapin si le projet avait été mené à son terme ? Difficile d’imaginer deux entités au profil aussi différent… À cette époque, le siège du 2e organisme de formation hexagonal se trouvait encore dans un hôtel particulier à deux pas de la Madeleine, quand les stratèges de Cegos menaient l’offensive dans un immeuble impersonnel d’Issy-les-Moulineaux. Depuis, Demos, le deuxième organisme de formation professionnelle hexagonal, fondé en 1972 par Jean Wemaëre qui occupe toujours le poste de « président fondateur », a bien failli boire la tasse. Au bord du dépôt de bilan, il est passé en 2016 sous pavillon chinois quand son concurrent, le leader tricolore, poursuit sa course en tête. « Jean, qui a connu au cours de sa carrière des hauts et des bas, a une forte capacité de résilience ! », raconte Guillaume Huot.

Au choc des cultures, les intéressés ont finalement préféré jouer la carte de la prudence pour mieux porter un message commun : faire de la formation professionnelle la réponse au maintien de la compétitivité de l’entreprise France. « C’est mon côté “service public” », sourit Jean Wemaëre. L’ancien étudiant de Sciences Po ne s’est jamais totalement consolé de ne pas avoir pu entrer à l’ENA. Quelques-uns de ses camarades de promotion de la rue Saint-Guillaume, tel Laurent Fabius, avec lequel il avait occupé l’établissement en mai 1968 – même si on imagine mal l’homme sur les barricades – ont réussi le concours… « J’ai été admissible mais recalé à l’oral car ils m’ont trouvé trop… agité ! », s’amuse-t-il aujourd’hui. C’est un texte de Benjamin Constant qui l’a fait trébucher. Passé ensuite par Assas où il a été chargé de cours après avoir décroché un diplôme de 3e cycle en économie, il en retire un goût pour l’acte de former et une connaissance des chiffres et agrégats monétaires. De quoi se rendre compte que derrière les professions de foi généreuses, se cachent des réalités beaucoup plus terre à terre : promouvoir la formation pour tous est aussi un moyen de générer des revenus pour les adhérents de la FFP.

« Évangéliser les parlementaires ! »

Opportuniste alors, Jean Wemaëre ? « C’est avant tout un homme de conviction », rétorque le député LR des Vosges, Gérard Cherpion. Le politique, en première ligne quand il s’agit de formation professionnelle, lui reconnaît tout au plus une certaine habileté. Celle d’avoir rallié à sa cause des cautions extérieures : rédacteur du livre blanc « Libérer la formation – manifeste pour une formation réellement continue et inclusive », commandité par la FFP en 2016, l’économiste Nicolas Bouzou y déroule nombre de propositions reprises dans la dernière réforme. Un an plus tard, c’est au tour du prestigieux conseil en stratégie Roland Berger d’être enrôlé par le bouillant président de la FFP. Son étude a montré le lien entre retour sur les bancs de l’école et croissance du PIB, une façon d’inciter le nouvel exécutif à remettre l’ouvrage sur le tapis en accentuant les marges de manœuvre laissées aux entreprises et surtout aux individus dans la prise en main de leur destin. « Le système est trop contraint par la réglementation. Ce ne sont pas les besoins qui orientent l’offre mais les possibilités de financement », remarque-t-il.

Coup de canif dans le paritarisme, ce lobbyisme de haute volée a fini par payer : retoquée par l’exécutif pour des raisons financières, la possibilité pour les particuliers de bénéficier pour se former d’un crédit d’impôt, a été introduite par un amendement déposé au sénat. « Il faut évangéliser les parlementaires ! », expliquait déjà en mai dernier Jean Wemaëre, prêt à endosser le costume de missionnaire voire même de chef d’armée et à sortir, si nécessaire, de ses bonnes manières, pour faire porter son message : « Pierre Gattaz se trompe, il n’y a pas d’étatisation de la formation professionnelle ! », déclarait-il en mars dernier sur BFM TV, face aux craintes du patron des patrons de voir la collecte des fonds formation passer des mains des OPCA – et donc des branches – à celles de l’Urssaf, comme le prévoit le projet de loi.

À coups d’intrigues et parfois de fins de non-recevoir, il a bâti cette « statue du commandeur », raillée par ses détracteurs. « Libéral, voire hyperlibéral quand il prône la dérégulation du marché de la formation, il n’est pas prêt à accepter les autres quand on parle de l’avenir de la branche ni de partager son pouvoir », lâche Michel Clézio, président du Syndicat national des organismes de formation de l’économie sociale. En dépit de la reconnaissance par l’État de la représentativité du syndicat, la FFP et son président, jusqu’au mois d’avril dernier, refusait d’en attendre parler alors que l’organisation ne représente que 30 % des acteurs du secteur… Le président de l’organisation a-t-il aussi voulu avoir la peau de l’Afpa, bien mal en point en menant « un lobbying tous azimuts », pour faire échouer sa transformation en établissement public, comme l’a accusé l’ancienne secrétaire d’État à la formation professionnelle Clotilde Valter ? L’APA a en effet toujours été considérée par les organismes privés de formation comme un concurrent déloyal bénéficiant de fonds publics.

Le Mouvement des hiboux.

Reste que les anciens rivaux de Jean Wemaëre se font aujourd’hui bien discrets. Même ses plus fidèles collaborateurs hésitent à prendre la parole. Tout au plus quelques remarques sur son côté « vieille France ». « C’est le grand-père qu’on aimerait tous avoir, à la fois intelligent, charmeur et élégant, mais aussi le symbole d’une autre époque ! », persifle, non sans une certaine tendresse, Arnaud Partanelli, cofondateur de l’organisme de langue en ligne Lingueo. En 2014, critique envers la FFP, vue par le jeune frondeur comme « un club de pêcheurs à la ligne » peu soucieux de relayer les craintes des petits organismes sur la mise en œuvre du compte personnel de formation (CPF), il crée le Mouvement des hiboux. Devenant un des interlocuteurs du ministère du Travail, il a secoué la FFP qui est parvenue à arracher quelques avancées. Le bouillant quadra s’est aujourd’hui assagi et attend avec impatience les premières mesures de la nouvelle équipe aux commandes de la FFP concernant l’accélération du passage au digital. « Jean s’en va au bon moment, après avoir lancé le mouvement et préparé sa succession. Plus tôt, la FFP n’était pas prête, plus tard, elle aurait fini par rater le coche », poursuit Arnaud Partanelli.

Pas sûr que l’intéressé, devenu président fondateur de la FFP, un poste créé sur mesure, apprécie. Ni même qu’il souhaite tirer aussi rapidement sa révérence… Cet amateur d’opéra et d’art, plus proche de Balzac que de Chateaubriand et plus présent aux vernissages des grandes expositions que sur les réseaux sociaux, selon ses détracteurs, n’a pas l’intention de succomber à la « tentation de Venise ». Il a été chargé d’une nouvelle mission : le rapprochement des organismes de formation et les établissements privés de l’enseignement supérieur, dans le cadre des réflexions sur la recomposition des branches professionnelles. « Je me donne deux ans pour lancer cette grande fédération des métiers de l’intelligence ! », conclut-il. Une dernière bataille pour cet homme, qui dans la lignée de son grand-père maréchal d’Empire, a toujours rêvé de conquérir de nouveaux territoires…

1968 : Diplômé de Sciences Po Paris

1959-1972 : Chargé de travaux dirigés en sciences économiques, université Paris Assas

1972 : Création du groupe Demos

1991 : Président fondateur de la FFP, issu du regroupement de trois structures professionnelles

2016 : Prise de contrôle de Demos, au bord du dépôt de bilan, par le groupe chinois Weidong Cloud Education

2017 : Publication de l’étude du cabinet de conseil Roland Berger qui pointe les principales mesures pour une réforme de la formation professionnelle

2018 : Président fondateur de la FF, un poste créé sur mesure

Auteur

  • Dominique Pérez